Crimes du nazisme : pourquoi une justice si tardive ?
La justice allemande, qui rend vendredi son probable dernier verdict contre un ancien nazi, concentre les critiques pour son traitement des crimes du IIIe Reich, accusée d'avoir trop peu condamné, trop faiblement et trop tard
Quelles suites judiciaires ont eu les crimes du nazisme ?
Selon l’historien allemand Andreas Sander, quelque 6 650 personnes ont été condamnées depuis 1945 par les Alliés occidentaux, la RFA puis l’Allemagne réunifiée.
Mais la plupart l’ont été pour dénonciations ou persécutions, contre 7 % pour « meurtres de masse » – incluant le génocide des Juifs.
Seules 9 % des peines ont dépassé les 5 ans de prison, avec 166 condamnations à perpétuité.
L’ex-RDA s’est montrée bien plus radicale, avec 12 890 condamnés entre 1945 et 1989 et des peines plus lourdes, d’après le juriste néerlandais Christiaan Rüter.
Pourtant son bilan judiciaire est « délicat à analyser », avertit Daniel Bonnard, de l’université de Marbourg : procès politiques et procès contre d’anciens nazis sont difficiles à distinguer, d’autant que les remplaçants des juges chassés par l’épuration étaient « plus enclins à rendre des décisions idéologiques ».
Pourquoi les crimes les plus graves ont-ils été si peu sanctionnés ?
En raison de la « présence d’anciens nazis dans l’administration et la justice », important frein aux poursuites, et des « choix politiques effectués en 1949 », lors de la fondation de la République fédérale d’Allemagne, explique Daniel Bonnard.
Soucieux d’oublier et de reconstruire, les Allemands de l’Ouest ont rejeté le bilan des procès menés depuis 1945 par les Alliés, perçus comme « une justice de vainqueurs ».
La jeune RFA a donc refusé d’intégrer à son droit la notion de « crimes contre l’humanité », qui permettait de prendre en compte la dimension collective de l’extermination. Elle ne l’a fait qu’en 2002, sans effet rétroactif.
Quelles conséquences a eu ce choix ?
« Avec le droit commun criminel, les juges étaient coincés », résume Andrej Umansky, chercheur en droit pénal à l’université de Cologne.
La qualification de « meurtre aggravé » entraîne mécaniquement la perpétuité (en pratique, 15 ans incompressibles), sans modulation possible. Or les magistrats « avaient devant eux des accusés déjà âgés et bien insérés », qui avaient agi dans le cadre « d’un Etat dictatorial », rappelle M. Umansky.
Pendant des décennies, les tribunaux ont donc posé deux principes. Ils exigeaient d’abord la preuve d’une participation individuelle. Il a fallu attendre la condamnation en 2011 de John Demjanjuk, ancien gardien de Sobibor, puis celle l’an dernier d’Oskar Gröning, ex-comptable d’Auschwitz, pour s’affranchir de cette preuve.
Par ailleurs, la justice réservait les condamnations les plus lourdes à ceux qui avaient tué de leur propre initiative ou avec une cruauté particulière. Tous les autres étaient traités comme des « complices », exécutants « dénués de volonté propre », relève Daniel Bonnard.
Pourquoi des procès aussi tardifs ?
La création en 1958 de l’Office d’enquête sur les crimes du nazisme a permis d’accélérer les poursuites. Mais il s’était déjà écoulé 20 ans depuis la guerre et les souvenirs des témoins s’estompaient, fragilisant l’accusation.
Surtout, en 1968, trois lignes glissées dans une loi forgée par un juriste au passé nazi ont entraîné la prescription discrète de nombre de procédures. Les membres de l’Office central de la sécurité du Reich (RSHA), chargés d’organiser la déportation des Juifs, ont ainsi échappé aux poursuites « malgré une énorme enquête », raconte Andrej Umansky.
Passé inaperçu, cet épisode a resurgi en 2012 avec le scandale provoqué par « L’affaire Collini », roman de l’avocat Ferdinand Von Schirach. La même année, le ministère de la Justice a confié à une commission d’enquête, dont la mission court encore, le soin de se pencher sur son passé.