Dans sa guerre contre le Hamas, l’armée lutte aussi contre l’impatience du gouvernement
Les chefs militaires avaient averti que la guerre serait longue, difficile. Elle l'est - dans un contexte de critiques ministérielles, d'hostilité globale mais aussi de soutien américain déterminant
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Quatre-vingt jours après le début de la guerre menée par Israël pour démanteler le Hamas, les avertissements lancés par les responsables militaires israéliens qui, dès le début, avaient mis en garde contre une campagne longue, laborieuse, s’avèrent avoir été avisés.
Tsahal détruit, petit à petit, les capacités militaires du groupe terroriste – elle a affaibli significativement ses effectifs dans le nord de Gaza où plusieurs de ses bataillons ne sont plus opérationnels ou luttent pour l’être encore. Les militaires ont démoli des kilomètres de souterrains et ils ont élargi leurs raids terrestres à la fois dans le centre de l’enclave côtière et à Khan Younès, le bastion du Hamas, dans le sud.
Mais le groupe terroriste reste très largement intact dans le sud de la bande – aucun de ses leaders de premier plan n’a été éliminé et Yahya Sinwar, son commandant en chef, garde la conviction qu’il pourra, avec les forces monstrueuses qu’il a nourries, repousser les troupes israéliennes et survivre pour massacrer « encore et encore » les Israéliens à l’avenir.
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Mais l’assassinat brutal de 1 200 personnes dans le sud d’Israël, le 7 octobre – point de départ de la guerre ; journée la plus sombre de toute l’Histoire moderne d’Israël et la raison pour laquelle les forces militaires ne prendront aucun répit avant que le Hamas ne soit anéanti – a perdu toute pertinence à l’international.
Le seul pays qui reconnaît stratégiquement la signification du 7 octobre – qui reconnaît, en d’autres mots, qu’un État souverain revendiquant le caractère précieux de la vie humaine, et qui veut continuer à survivre dans un Moyen-Orient sans merci, ne sera pas en capacité de le faire dans l’ombre d’un État terroriste et barbare adjacent, bénéficiant de financements énormes – ce seul pays c’est les États-Unis. Et ce qui est une chance existentielle pour Israël, les États-Unis sont également le pays le plus désireux de soutenir l’État juif dans cette guerre, et le plus en capacité de lui apporter de l’aide.
Le soutien militaire pratique de l’Amérique est au cœur de la capacité quotidienne d’Israël à combattre le Hamas à Gaza.
Son soutien diplomatique a aussi été, encore une fois, mis en évidence vendredi dans le cadre du vote, devant le Conseil de sécurité de l’ONU, d’une résolution contraignante. Grâce à l’insistance des États-Unis, la motion s’est transformée et le texte initial qui réclamait un cessez-le-feu immédiat – soit une victoire du Hamas – est devenu un texte réclamant des moyens d’élargir, le plus rapidement possible, l’afflux d’aides humanitaires à Gaza, avec un langage ambigu qui exhorte à mettre en place les conditions nécessaires pour permettre une cessation future des hostilités. Des clauses avec lesquelles Israël peut très certainement réussir à survivre.
Le gouvernement américain subit les pressions du monde entier, ou presque. Et il doit faire face à une dissidence sur le sol américain, souvent attisée par des informations divulguées par le Hamas et prises pour argent comptant qui n’accordent que peu d’attention, par ailleurs, à l’utilisation effrénée, de la part du groupe terroriste, des civils Gazaouis comme autant de boucliers humains. Une dissidence qui est également due à une réticence certaine à faire la distinction entre la cause et les effets d’un conflit qui a commencé par le massacre commis en Israël par les hommes armés du gouvernement terroriste au pouvoir dans l’enclave côtière.

Pourtant, l’administration américaine n’a donné aucune échéance concernant la fin de la guerre. Et du plus haut de la hiérarchie – depuis le président Biden – jusqu’en bas, les États-Unis ont continuellement réaffirmé l’obligation, pour Israël, de détruire le Hamas, de manière à garantir que les Israéliens ne seront plus jamais massacrés dans leurs habitations et dans leurs communautés.
Le président et son équipe ont également été inflexibles concernant la nécessité, pour Israël, d’éviter, dans le sud de Gaza, le même bilan meurtrier « massif » en matière de vies civiles que dans le nord. Les responsables militaires israéliens ont dit que, dans tous les cas, les défis à relever dans des villes comme Khan Younès nécessitaient une approche différente de la part des soldats. Nous verrons.
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Pour leur part, l’état d’esprit des Israéliens, à ce stade de la guerre, se caractérise par l’incertitude.
Le nombre croissant de soldats tués au combat – des jeunes qui faisaient leur service militaire ; des réservistes plus âgés qui avaient avaient laissé derrière eux toute une vie, des familles et qui ne reviendront jamais – sont autant de coups quotidiens portés à la psyché nationale. Et les Israéliens, malgré les horreurs du 7 octobre, malgré les sondages qui révèlent le large soutien apporté par les Palestiniens au massacre, ne sont également pas indifférents à la mort des civils de Gaza.

Peu d’Israéliens, est-on en droit de penser, ont pu estimer que l’armée pourrait avancer relativement facilement dans une bande de Gaza qui prépare ses moyens de défense depuis quinze ans. Et la majorité des Israéliens, est-on aussi en droit de penser, ont été en mesure d’anticiper un bilan encore plus lourd dans les rangs de Tsahal.
Mais un grand nombre espérait de plus grands résultats dans la traque des leaders du Hamas. Et un grand nombre espérait, ce qui est déterminant, plus de réussite dans les opérations liées à la libération des otages.
Les jours et les semaines passent ; l’épuisement devient plus important. Les tensions exercées sur l’armée du peuple, les tensions vécues par les familles, les contraintes subies par l’économie israélienne et la perte, par le pays, de sa capacité à continuer à fonctionner deviennent plus pesantes.
L’armée sait qu’elle doit graduellement réduire le nombre de soldats déployés. Les hauts-responsables de Tsahal parlent de l’abandon de l’approche d’un conflit « à haute intensité » au cours des prochaines semaines. La question est de savoir si cette approche promise, qui sera plus « chirurgicale », sera efficace dans le sud de la bande. Elle est de savoir aussi si le bilan des morts, au sein de l’armée, augmentera si et quand ce changement de tactique doit survenir.
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Comme c’est souvent le cas dans ce pays si passionnant et si exaspérant qui est le nôtre, la bataille menée par la nation dans son ensemble et par ses troupes, sur le terrain, pour garantir la survie semble plus judicieuse, plus volontariste et plus porteuse d’union que celle initiée par les politiciens qui sont censés pourtant la diriger en première ligne.
Une nouvelle normalité hebdomadaire semble faire son apparition à travers des fuites des réunions du cabinet de sécurité ou par le biais de certaines critiques faites en public – celle de ministres profondément déconnectés des réalités complexes et écrasantes d’une guerre menée contre un ennemi amoral et pervers. Des ministres impatients d’assister à une victoire impossible par knockout. Des ministres se prêtant à de la politique politicienne, à des fins personnelles, avec des propos déformant les défis et les réalités de la guerre. Des ministres qui prennent des positionnements publics susceptibles de nuire à la confiance portée par les soldats dans ceux qui les dirigent.
« Affichez votre sens de la responsabilité ; faites preuve de retenue et attendez un peu plus longtemps pour lancer vos campagnes et pour transmettre vos messages politiques », a supplié, dimanche soir, le président Isaac Herzog. « L’ennemi attend de voir des fractures se révéler entre nous, il attend de nous voir en conflit les uns avec les autres ».
Le danger est que les dissensions et les querelles politiques ne viennent à se propager dans toute la nation – ainsi que dans les rangs de l’armée. En effet, nous avons parfois le sentiment qu’Israël ne fait pas que se battre dans une sorte de course contre la montre avant que les États-Unis n’en viennent à imposer des limitations qui seront impossibles à respecter pour les soldats sur le terrain. Il semble également, parfois, que l’État juif se hâte de combattre le Hamas pour détruire le groupe terroriste avant que ne survienne la déchirure politique – droite contre gauche, orthodoxes contre laïcs, autocratie contre démocratie – une déchirure qui était déjà bien visible lorsque le Hamas est arrivé.
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Alors que Tsahal consacre de plus en plus son attention au sud de Gaza, l’armée examine aussi le couloir Philadelphie, ce no man’s land de 14 kilomètres qui court le long de la frontière entre l’enclave côtière et l’Égypte.
Si cette frontière reste poreuse une fois que les armes se seront tues, l’objectif d’une bande de Gaza démilitarisée, qui ne pourra plus menacer Israël, sera impossible à atteindre, voire même à poursuivre.

Certains évoquent la possibilité d’y déployer l’armée à long-terme. De construire un mur à la frontière, avec une barrière souterraine qui empêchera le trafic d’armes. En reconnaissant qu’aucune solution de ce type ne sera possible, et qu’aucune autre ne pourra être viable, sans coordination et sans coopération avec l’Égypte.
Les responsables et les experts, en Israël, offrent des explications différentes sur le comportement de l’Égypte à la frontière depuis la prise de pouvoir du Hamas, en 2007. Des officiels tout à fait crédibles m’ont dit que le Hamas avait été en mesure de faire entrer des armes et des pièces détachées d’armement avec une grande facilité et que les Égyptiens avaient renforcé leurs initiatives visant à décourager de telles importations au cours de ces dernières années seulement.
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D’autres fronts sont eux aussi en jeu – avec la frontière libanaise qui est plus que jamais en état d’ébullition. Des dizaines de milliers d’Israéliens n’ont, pour le moment, pas de perspective de pouvoir retourner chez eux, dans les villes et dans les communautés du nord – et ils ne pourront pas y retourner tant que le Hezbollah se tiendra à la frontière ou à proximité de cette dernière, tirant des missiles anti-char en direction de dizaines d’habitations.
Le ministre de la Défense, Yoav Gallant, voulait attaquer le Hezbollah directement après le massacre du 7 octobre, avant que l’armée ne s’en prenne au Hamas à Gaza – mais ce projet avait entraîné l’opposition. Et Israël continue à mettre en garde l’armée terroriste de Hassan Nasrallah en affirmant que d’une manière ou d’une autre, le Hezbollah se trouvera dans l’obligation de reculer largement de la frontière, comme le prévoit la résolution 1701 qui avait été adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies à la fin de la Seconde guerre du Liban, en 2006.

Mais certains experts, notamment au sein de l’armée, suggèrent également que contrairement à Sinwar et au Hamas, qui méprisent profondément la vie des Gazaouis, Nasrallah et le Hezbollah ressentent une obligation à l’égard du bien-être des Libanais et qu’ils ne veulent pas voir un Beyrouth en ruines, comme peut l’être Gaza City – un sort que Gallant a pourtant promis si Nasrallah devait décider d’une escalade dans les hostilités.
Mais c’est ce type de conception ou d’évaluation qui, bien sûr, nous a amenés à connaître la « surprise » catastrophique du 7 octobre.
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Par ailleurs, Israël et ceux qui s’inquiètent pour nous pourront trouver une source d’inspiration dans la noblesse d’Iris Haim, dont le fils, Yotam Haim, a été abattu avec deux autres otages, Alon Shamriz et Samar Talalka, par les soldats de l’armée qui les avaient confondus avec des terroristes dans le nord de Gaza, le 15 décembre.
Le trio était parvenu à fuir la captivité ; il s’était caché pendant plusieurs jours et il avait préparé des panneaux – en vain – pour attirer l’attention des militaires. Apparaissant devant les troupes israéliennes, au vu de tous, ils avaient le torse nu et ils brandissaient un drapeau blanc improvisé – ils avaient fait tout ce qu’ils avaient pu pour montrer qu’ils ne représentaient aucun danger. Tous les trois ont malgré tout été tués, une tragédie sur laquelle une enquête militaire est encore en cours.
Cinq jours plus tard, Iris, la mère de Yotam, a enregistré un message d’amour et de pardon à l’intention des soldats qui ont tué son fils. Elle ne leur a dit de ne pas s’en vouloir ; que ce qui était arrivé n’était « pas de leur faute » et relevait de la responsabilité exclusive du Hamas, ajoutant que « vous devez faire attention à vous parce que c’est le seul moyen pour vous de vous occuper de nous ».

Elle les a invités à venir la voir, ainsi que sa famille, notant que tous ceux qui voudraient venir seraient les bienvenus. « Nous voulons vous voir de nos propres yeux et nous voulons vous dire que ce que vous avez fait – même si c’est très dur de le dire et que c’est triste – était, à l’évidence, la bonne chose à faire à ce moment précis ».
« Et personne ne va vous juger ou se mettre en colère », a-t-elle poursuivi. « Pas moi, ni mon mari Raviv. Ni ma fille Noya. Ni Yotam, que sa mémoire soit bénie. Ni Tuval, le frère de Yotam. Nous vous aimons très fort. C’est tout ».
Un membre du Bataillon a répondu à cette invitation dès le lendemain.
N’est-ce pas une personnalité qui sort de l’ordinaire ? Et n’est-ce pas une obligation qu’une telle humanité, qu’un tel esprit imposent aujourd’hui à Israël, à ses soldats, à ses leaders, à chacun d’entre nous – l’obligation de sortir de l’abîme de manière avisée, courageuse et humaine le pays d’Iris Haim et de lui rendre sa sécurité.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel