« Depuis le 7 octobre, quelque chose a changé dans notre cerveau »
La neuroscientifique Talma Hendler explique comment les structures et les systèmes cérébraux se dérèglent sous l'effet d'un stress extrême, et l'importance de se rééquilibrer
Tout Israël est traumatisé depuis le 7 octobre, le jour le plus dévastateur des 75 ans d’histoire du pays, et le jour le plus meurtrier pour la communauté juive mondiale depuis la Shoah.
Les neurosciences nous apprennent que le traumatisme causé par l’exposition aux événements horribles de ce samedi et au stress de la guerre qui a suivi se manifeste par des changements dans le cerveau humain.
Le 7 octobre, quelque 2 500 terroristes palestiniens du Hamas ont fait irruption en Israël depuis la bande de Gaza, par voie terrestre, aérienne et maritime, sous le couvert d’un déluge de milliers de roquettes tirées sur les villes israéliennes.
Les terroristes ont tué plus de 1 400 personnes en ravageant plus de 20 communautés du sud-ouest d’Israël et des bases militaires. Des familles entières ont été exécutées dans leurs maisons et au moins 260 personnes ont été massacrées lors d’un festival en plein air, au cours d’actes d’une horrible brutalité perpétrés par les terroristes. La grande majorité des personnes tuées étaient des civils, notamment des bébés, des enfants et des personnes âgées.
Le groupe terroriste palestinien du Hamas a également pris au moins 230 otages israéliens et étrangers de tous âges et les retient dans la bande de Gaza.
Selon des experts en neurosciences et en psychotraumatologie, comme la professeure Talma Hendler, neuroscientifique à l’Université de Tel Aviv et à l’hôpital Ichilov, le stress aigu dont souffrent les Israéliens est causé par l’hyperactivation d’une petite région du cerveau appelée amygdale, qui est principalement associée au système limbique et qui gère les émotions et la mémoire. L’amygdale est une structure jumelée, avec une partie de chaque côté du cerveau.
Cette hyperactivation est la raison pour laquelle de nombreux Israéliens marchent dans le brouillard depuis quelques semaines. Certaines personnes souffrent d’un manque de motivation et d’une incapacité à se concentrer, et ont donc cessé leurs activités habituelles et mis en pause leur vie sociale. Beaucoup se plaignent de troubles du sommeil, de cauchemars ou d’hypersensibilité à certains sons. D’autres sont anxieux, en colère ou ne peuvent s’empêcher de pleurer.
« L’amygdale s’emballe parce qu’il faut recruter tous les mécanismes de survie pour surmonter la menace aiguë du traumatisme et du stress », explique Hendler.
« Il est très préjudiciable à long-terme que le système limbique reste hyperactif et ne revienne pas à son niveau homéostatique [d’avant le traumatisme]. La bonne nouvelle, c’est que 80 à 90 % des personnes parviennent, avec le temps, à surmonter cette hyperactivation du système limbique. Elles ne développeront pas de pathologie post-traumatique », a-t-elle déclaré.
Tout d’abord, il est possible de réguler à la baisse le système limbique grâce à des techniques de relaxation, au biofeedback et à diverses méthodes cognitives. Selon Hendler, il est tout aussi important d’activer le système mésolimbique. Également appelé voie positive ou système de récompense, il s’agit d’être actif et de se fixer des objectifs.
Pr. Hendler précise toutefois que la réduction de l’activité de l’amygdale ne se fait pas naturellement. Il faut travailler dans deux directions.
Sortir de notre traumatisme dépend de nos ressources intérieures – notre capacité à nous tourner vers notre famille, nos amis et notre communauté pour établir des liens, et à retrouver un fonctionnement normal en termes de travail et de loisirs.
De nombreuses personnes trouvent que le fait d’aider les autres apaise leur sentiment de panique et de désespoir. C’est ce que prouve l’effort civique énorme et immédiat pour apporter secours et assistance aux 200 000 Israéliens déplacés de leurs maisons dans le sud et le nord du pays.
« Le maintien du système [de récompense] est aussi important que la capacité à réduire le système de menace », a souligné Hendler.
« L’équilibre entre les deux systèmes est essentiel à la récupération et à la résilience. Il est important de savoir que la résilience est un processus très actif. Une personne n’est pas résiliente ou non résiliente [de manière innée]. Il faut en réalité travailler ce muscle comme on le fait pour les autres muscles de notre corps. Il s’agit de rester activement en bonne santé malgré l’adversité », a-t-elle expliqué.
Certaines personnes peuvent calmer elles-mêmes leur système limbique pour le ramener à un niveau antérieur au traumatisme, tandis que d’autres peuvent demander l’aide d’un professionnel de la santé mentale. Contrairement aux périodes passées de guerre et de traumatisme national, le gouvernement et le système de santé israéliens se sont immédiatement préparés à fournir ce soutien aux centaines de milliers d’Israéliens qui l’ont demandé au ministère de la Santé, à leur organisme de santé ou à des organisations de santé mentale à but non lucratif.
Les personnes dont l’amygdale et le système limbique restent en surrégime même après plusieurs semaines ou plusieurs mois peuvent souffrir d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT). Ces personnes restent essentiellement dans un état de traumatisme aigu parce que le système de menace de leur cerveau a pris le dessus.
« Dans le cas du syndrome post-traumatique, de nombreux indices dans l’environnement – même ceux qui ne sont que légèrement liés à l’événement traumatique proprement dit – deviennent un rappel du traumatisme parce qu’ils ont été assimilés à tort à une menace potentielle. Ils restent des menaces potentielles au lieu de devenir des souvenirs », a dit Hendler.
« Ces personnes ne se remettent jamais du stress aigu. Il reste gravé dans leur cerveau », a-t-elle ajouté.
Grâce à l’imagerie du cerveau des médecins de Tsahal qui ont participé à la Seconde Guerre du Liban en 2006, Hendler a appris que ceux dont l’amygdale était plus activée avant d’être exposés à des événements traumatisants présentaient des symptômes plus inquiétants par la suite. L’étude de Hendler a été publiée en 2009 et des études ultérieures menées par d’autres chercheurs ont confirmé ses conclusions.
D’autres recherches qu’elle a menées sur le cerveau de soldats ayant combattu et n’ayant pas été diagnostiqués comme souffrant du syndrome de stress post-traumatique ont montré que les personnes souffrant du TSPT présentaient non seulement des niveaux d’activité plus élevés dans leur amygdale, mais aussi des niveaux d’activité plus faibles dans leur cortex préfrontal (la zone du cerveau responsable des fonctions exécutives, de certains aspects du comportement social, de la mémoire de travail, de l’élocution et du langage).
Cette constatation a conduit Hendler à préconiser l’utilisation de la technologie pour intervenir rapidement à la suite d’un traumatisme psychologique. Selon elle, cela est important pour les personnes physiologiquement prédisposées à développer un syndrome de stress post-traumatique, mais aussi pour toute personne qui subit ou a subi un stress aigu.
Hendler a mis au point la technologie qui sous-tend Prism, un produit mis sur le marché par GrayMatters Health cette année pour traiter le TSPT. Prism est un logiciel qui fonctionne en tandem avec une casquette équipée d’électrodes spéciales portées par le patient. La personne s’engage dans une interface audiovisuelle interactive unique qui est censée l’aider à moduler son activité cérébrale.
« Il s’agit d’un entraînement cérébral. On donne aux gens la capacité de moduler leur cerveau, de sorte que même s’ils sont réactifs, ils acquièrent une certaine capacité à modifier plastiquement leur cerveau relativement rapidement après l’événement. L’objectif est qu’ils ne restent pas bloqués dans cet état d’hyperexcitation et d’hyperréactivité, ce qui n’est pas bon pour leur cerveau », a déclaré Hendler.
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