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Derrière le jihadisme français, 20 ans d’islamisme dans des « enclaves » négligées

"Le jihadisme français. Quartiers, Syrie, prison", Hugo Micheron, chercheur au CNRS, explore les racines des attaques jihadistes de masse de 2015

Les experts médico-légaux près d'un camion dont le pare-brise est criblé de balles après un attentat contre la foule venue voir le feu d'artifice lors de la fête nationale dans la ville de Nice, le 15 juillet 2016 (Crédit : AP Photo/Claude Paris)
Les experts médico-légaux près d'un camion dont le pare-brise est criblé de balles après un attentat contre la foule venue voir le feu d'artifice lors de la fête nationale dans la ville de Nice, le 15 juillet 2016 (Crédit : AP Photo/Claude Paris)

Le jihadisme sanglant de 2015 n’est pas le fruit d’une génération spontanée, mais de plus de 20 ans d’essor de l’islamisme dans quelques « enclaves » françaises et belges négligées et dans les prisons, selon une étude parue jeudi.

Fin février 2019, Hugo Micheron, chercheur au Centre national français de la recherche scientifique (CNRS), met une toute dernière main à sa thèse sur le jihadisme français lorsqu’il apprend la mort des frères Clain, tués dans le dernier réduit syrien tenu par le groupe Etat islamique (EI).

Fabien et Jean-Michel Clain, originaires de la région de Toulouse (sud-ouest de la France) figurent parmi les personnages centraux de ce travail de cinq ans publié jeudi – « Le jihadisme français. Quartiers, Syrie, prison » (éditions Gallimard) – qui explore les racines des attaques jihadistes de masse de 2015 que les deux frères ont revendiquées depuis la Syrie.

« Ces attentats sont l’aboutissement de dynamiques ourdies depuis une quinzaine ou une vingtaine d’années dans certaines enclaves », explique à l’AFP Hugo Micheron. Entre 2012 et 2018, la France a été le premier pays européen pourvoyeur de jihadistes en Syrie et en Irak (2 000, soit 40 % du total européen).

Le chercheur a notamment interrogé 80 jihadistes en prison et enquêté dans leurs principaux fiefs : les régions de Toulouse, de Paris, de Nice (sud-est) et du nord de la France, ainsi que celle de Bruxelles-Molenbeek (Belgique) qui sera très impliquée dans les attentats du 13 novembre 2015 en France.

Les forces de police, les pompiers et les secouristes sécurisent la zone à proximité de la salle de concert du Bataclan à Paris, le 14 novembre 2015. (Crédit : AFP PHOTO / FRANCOIS GUILLOT)

Il souligne d’abord que cette carte des 10 à 15 petits foyers du jihadisme français « ne correspond pas à celle des banlieues et territoires marginalisés ».

Ainsi dans les Yvelines (région parisienne), 85 habitants de Trappes sont partis en Irak ou Syrie entre 2012 et 2018, mais aucun dans la ville voisine de Chanteloup-les-Vignes, « qui présente les mêmes handicaps socio-économiques ».

Différence notable entre les deux communes : la première a accueilli dans les années 90 des prédicateurs issus du jihad international, notamment les jihadistes du Groupement islamique algérien (GIA).

L’arrivée dans les années 90 de prêcheurs islamistes, issus notamment des filières afghane et algérienne, sera selon M. Micheron le premier facteur de basculement de ces « enclaves » dans le jihadisme.

« A Trappes, Toulouse, Strasbourg, Roubaix… ils vont continuer leurs prédications. Et leurs relais locaux, comme les Clain à Toulouse, vont mettre en place un maillage du territoire avec des écoles hors contrat, des associations loi 1901 », explique M. Micheron.

« Et les réseaux se tissent : dès 2000, 15 ans avant le 13-Novembre, les Clain font venir à Toulouse des prêcheurs de Molenbeek ». Ils se renforceront également dans les prisons au fil des arrestations de certains.

Les autorités françaises s’en inquiètent d’autant moins qu’entre 1996 et 2012, aucun attentat n’a lieu dans ce pays, souligne M. Micheron. Et lorsque survient Mohammed Merah (qui en mars 2012 a tué trois soldats, un enseignant et trois enfants dans une école juive de Toulouse – Imad Ibn Ziaten, Abel Chennouf, Mohamed Legouad, Gabriel Sandler, Aryeh Sandler, Myriam Monsonégo et Jonathan Sandler), elles le présentent un peu vite comme un « loup solitaire », oubliant qu’il est un pur produit de la filière toulousaine des années 2000.

Mohamed Merah (Crédit : Patrick Crasnier/CIT’images/Flash90)

Trois évènements auront, selon le chercheur, particulièrement dopé le jihadisme en France : le 11-septembre, les tueries de Mohamed Merah et l’instauration du « califat » de l’EI en 2014, promesse de rédemption pour beaucoup.

En prison, une des soeurs de Fabien et Jean-Michel Clain confie à Hugo Micheron sa fierté d’être « la matriarche respectée d’une dynastie de jihadistes », elle qui n’était auparavant « qu’une pauvre meuf divorcée trois fois ».

Du côté des autorités, une partie de l’appareil sécuritaire ne s’est pas opposée aux départs jusqu’en 2015, estimant qu’il valait « mieux qu’ils aillent se faire tuer en Syrie », note M. Micheron. « Mais on n’a pas anticipé que le ‘califat’ allait renforcer les liens entre réseaux, amener encore plus de départs, des retours, et des actions violentes en France ».

Comme celle de Larossi Aballa, meurtrier d’un couple de policiers en région parisienne en 2016, lié aux filières afghanes et qui prônait dès 2011 des attaques en France.

Si l’EI a aujourd’hui disparu territorialement, la menace idéologique perdure en France, souligne M. Micheron, notamment dans les prisons, « premier réservoir humain de la mouvance », avec 500 jihadistes incarcérés et 1 200 autres prisonniers radicalisés.

« Il faut comprendre et anticiper leurs projets », note le chercheur, qui prône une réponse très large, pas seulement sécuritaire, et évitant l’amalgame entre islam et jihadisme, car « c’est le piège sur lequel le salafisme prospère ».

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