Des chercheurs suivent sur 2 800 kilomètres le trajet d’une baleine en Méditerranée, un record
Selon les chercheurs, dirigés par un expert de l'Université de Haïfa, la compréhension du trajet des baleines dans les zones peu profondes et à risque pourrait éviter des morts accidentelles
Sue Surkes est la journaliste spécialisée dans l'environnement du Times of Israel.
Un collectif international de chercheurs dirigé par le Dr. Aviad Scheinin, expert en prédateurs marins de l’Université de Haïfa, a suivi ce qui pourrait bien être le plus long trajet d’ouest en est effectué en mer Méditerranée par un cachalot isolé – au cas d’espèce, un jeune mâle.
Dans une étude publiée dans Aquatic Conservation : Marine and Freshwater Ecosystems, les chercheurs expliquent avoir utilisé la surveillance acoustique et la photo-identification pour suivre l’itinéraire du cétacé qui aurait parcouru la distance, sans doute record, de 2 800 kilomètres entre la mer Ligure, au large des côtes italiennes, jusqu’au rivage de la ville de Haïfa, dans le nord d’Israël.
Les cachalots de Méditerranée y passent toute leur vie. La mer offre des zones peu profondes, des plaines profondes et des fosses délimitées par des pentes, autant d’habitats essentiels pour les cétacés de grande profondeur tels que les cachalots ou les baleines à bec de Cuvier.
La jeune baleine en question n’a pas seulement parcouru ce qui semble être la plus grande distance connue en mer Méditerranée : elle est par ailleurs passée par le détroit de Sicile, qui sépare les bassins méditerranéens oriental et occidental, d’une profondeur d’environ 300 mètres, et généralement peu emprunté par les baleines.
Les chercheurs estiment que le suivi des baleines dans ces zones peu profondes pourrait prévenir leur mort accidentelle.
« La surveillance acoustique passive automatisée de zones étroites et relativement peu profondes telles que le détroit de Sicile pourrait permettre de réduire la mortalité des individus qui couvrent de longues distances dans les bassins méditerranéens », peut-on lire dans l’article.
Scheinin, chercheur principal spécialisé dans l’étude des grands prédateurs à la station de recherche marine Morris Kahn de l’Université de Haïfa, a mené cette étude avec Kirsten F. Thompson, de l’Université d’Exeter, et les laboratoires de recherche de Greenpeace et Jonathan Gordon, de l’Université de St. Andrews, au Royaume-Uni.
Deux relevés acoustiques passifs ont été effectés en avril et mai 2022 à bord du navire SY Witness de Greenpeace, qui ont permis de détecter la présence de huit cachalots. L’un d’eux a été photographié et identifié comme un mâle immature, en raison de sa taille et de la forme de sa tête.
La comparaison avec huit catalogues de photo-identifications en Méditerranée a confirmé que cette baleine avait déjà été vue à douze reprises. La plus longue distance entre deux observations est de 2800 kilomètres, soit le trajet le plus long jamais enregistré de la part d’un cachalot isolé en Méditerranée.
À titre plus général, les chercheurs utilisent la surveillance acoustique passive et les relevés visuels pour générer des données sur la présence et l’écologie des cétacés dans la zone économique exclusive (ZEE) d’Israël. Les fonds qui les financent proviennent notamment d’une subvention obtenue par Scheinin en sa qualité d’explorateur pour le National Geographic.
« Le manque de connaissances sur la vie marine dans les eaux offshore de Méditerranée est abyssal », estime M. Scheinin.
« L’observation de ces cachalots est importante pour notre connaissance et compréhesion de la biodiversité : si une baleine est prête à parcourir pareille distance, avec les risques considérables que cela comporte, c’est le signe qu’elle a trouvé une source de nourriture diversifiée et abondante.
Le fait d’être de grands prédateurs des grands fonds marins en fait d’importants bio-indicateurs – des créatures vivantes de nature à aider les humains à évaluer la santé d’un écosystème.
La mer Méditerranée est l’une des mers fermées les plus sensibles de la planète. Des côtes très peuplées l’entourent et sa température augmente rapidement, ce qui en fait un laboratoire des effets du changement climatique.
Les populations de mammifères marins de Méditerranée sont confrontées à de nombreuses menaces, à commencer par le bruit des activités humaines, d’autres formes de pollution et une mauvaise gestion de la pêche.
Dans de nombreuses régions, en particulier en Méditerranée orientale, le nombre, la répartition et les menaces qui pésent sur la population de cachalots restent mal compris.
Sur la base de leurs conclusions, le ministère de l’Énergie a chargé les chercheurs d’entreprendre une nouvelle étude sur les mammifères marins de la zone économique exclusive d’Israël.
« J’espère que cela augure d’une étude à long terme sur la zone économique exclusive », a conclu le Dr. Scheinin. « Et que nous pourrons bientôt mieux comprendre les mammifères marins qui croisent au large de nos côtes, et explorer la biodiversité de notre Méditerranée. C’est mon rêve depuis 20 ans. »