Des demandeurs d’asile accueillis pour un ‘Seder de la liberté’
En signe de solidarité, les membres de la synagogue de Kol Haneshama à Jérusalem, ont ouvert leurs portes aux migrants africains lors de la fête de Pessah
Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »

Une foule de plus de 250 personnes, dont des Israéliens et des demandeurs d’asile africains, s’est réunie samedi soir pour un « Seder de la Liberté » à la synagogue Kol Haneshama de Jérusalem, en signe de solidarité avec les Africains menacés d’expulsion.
« C’était l’idée de la congrégation », a déclaré le rabbin Yael Karrie, la dirigeante spirituelle de Kol Haneshama, au sujet du repas. « Cette synagogue est l’une des congrégations pionnières concernant les questions de demandeurs d’asile et ils ont traité le sujet de manière très intensive. »
Karrie estimait qu’environ un tiers des participants au second Seder – alors qu’il n’y a normalement qu’un seul Seder en Israël – étaient des demandeurs d’asile de Jérusalem, rejoints par des membres de la synagogue et des membres de plusieurs autres synagogues locales, dont certains avaient eux aussi accueilli les migrants africains chez eux pour le Seder de la veille.
La soirée a été organisée par la congrégation de la Réforme, connue pour son activisme, et était co-sponsorisée par le Centre africain de Jérusalem (JACC), le Centre d’action religieuse d’Israël (IRAC) et Miklat Israel, une organisation qui aide les demandeurs d’asile et leurs proches fondée par les rabbins Susan Silverman, Nava Hefetz et Tamara Schagas.
Des membres de Kol Haneshama se sont rendus régulièrement à Holot, le centre de détention récemment fermé dans le sud du désert du Néguev, où de nombreux demandeurs d’asile étaient détenus. Ils travaillent également avec diverses organisations impliquées dans le mouvement contre la décision du gouvernement d’expulser les demandeurs d’asile d’Israël.
« C’était une soirée pour eux, pour les demandeurs d’asile », a déclaré Karrie. « Il était important que la soirée réponde à leurs besoins. »
Le 12 mars, la Haute Cour de justice a temporairement gelé les expulsions et ordonné au gouvernement de résoudre certaines des questions juridiques entourant sa politique d’expulsion.
L’Etat a demandé que la date limite ordonnée par le tribunal pour qu’il soumette ses explications concernant la légalité de ce plan controversé d’expulser les migrants africains et d’incarcérer indéfiniment ceux qui refusent de partir soit reportée au 9 avril.
Le projet d’expulsion propose à chaque demandeur d’asile 3 500 dollars et un billet d’avion vers des pays tiers, qui n’ont pas été officiellement nommés, mais qui seraient l’Ouganda et le Rwanda. Les demandeurs d’asile précédemment expulsés en Ouganda et au Rwanda ont déclaré au Times of Israël qu’ils faisaient face à de graves dangers et même à des peines de prison après être arrivés en Afrique sans papiers appropriés.
Il y a environ 38 000 demandeurs d’asile africains en Israël, selon le ministère de l’Intérieur. Environ 72 % sont Erythréens et 20 % sont Soudanais. La grande majorité d’entre eux est arrivée entre 2006 et 2012, traversant illégalement la frontière depuis l’Egypte. Les Africains affirment avoir fui pour une question de survie et qu’ils courraient un grave danger s’ils revenaient en Afrique.
Israël considère que la grande majorité des demandeurs d’asile sont des demandeurs d’emploi – des migrants économiques dont la vie ne se trouve pas en danger dans leur pays d’origine – et affirme qu’il n’a aucune obligation légale à les garder. Les responsables israéliens les définissent comme des « infiltrés ». Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré la semaine dernière que le « déluge » de migrants était pire que celui des terroristes du Sinaï et que les demandeurs d’asile menaçaient Israël en tant qu’Etat juif et démocratique.
Des lieux avec peu d’espoir
Karrie a rejoint Kol Haneshama en tant que rabbin l’été dernier. Auparavant, elle travaillait dans les communautés israéliennes bordant la bande de Gaza, qui étaient souvent la cible de roquettes et d’attaques terroristes depuis Gaza.
« J’ai de l’expérience dans les endroits où il y a peu d’espoir », a-t-elle dit. « Et c’est ce à quoi je pensais hier soir. Les membres de Nahal Oz, un kibboutz très proche de Gaza, essaient de faire des choses pour les gens de Gaza. Après la guerre de 2014, un membre a fait venir 50 fermiers de Gaza pour leur apprendre les méthodes agricoles à Nahal Oz. Ce sont ces petites choses que les gens font – pas le gouvernement – qui vous donnent de l’espoir. »
Chaque participant du Seder de la liberté a reçu une fleur en entrant dans la synagogue, qui a ensuite été placée dans un vase, permettant à chaque table de construire son propre arrangement floral.
« L’idée était de commencer à faire quelque chose ensemble », a déclaré Karrie. « Pour créer le sentiment que nous sommes tous liés à cette histoire. »
La soirée, lors de laquelle a joué un groupe érythréen de Tel Aviv, a également permis à trois demandeurs d’asile de témoigner. Ils ont raconté leur histoire, la fuite de leur pays et leur périple jusqu’en Israël.
Karrie a parlé de l’allégorie des quatre fils de la Haggadah – un rappel, a-t-elle dit, que chaque personne a la capacité de se comporter mal, d’être sage, d’être simple et de poser des questions.
« Ce soir, nous essayons d’être simples et de poser des questions », a-t-elle dit. « Nous ne pouvons pas nous considérer comme étant dans la même situation que les demandeurs d’asile, parce que nous ne le sommes pas ; nous ne savons pas à quoi ressemble leur expérience. »
Les histoires des demandeurs d’asile et l’histoire de la Haggadah sont très similaires, a déclaré Berhane Nagasi, l’un des dirigeants de la communauté des demandeurs d’asile de Jérusalem. « Cela aide à faire des choses comme ça, ça nous fait nous sentir aimés, et nous savons qu’il y a toutes sortes de gens, y compris des gens qui veulent nous aider. »
@berhanenagasi #freedomseder
Posted by Refugees in Israel: Voices of Hope on Saturday, 31 March 2018
Sirnei, l’une des demandeuses d’asile présente au Seder, a raconté l’histoire de sa propre fuite de l’Erythrée avec son mari, un soldat qui s’est enfui plutôt que de servir dans l’armée érythréenne pour le reste de sa vie.
Leur histoire était familière aux demandeurs d’asile. Ils ont fui en Ethiopie puis au Soudan avant de se rendre en Egypte, où ils ont été emprisonnés.
Il a fallu plusieurs mois et le versement de grosses sommes d’argent avant qu’ils puissent finalement atteindre Israël, où ils ont été « accueillis avec de l’eau et de la gentillesse » par les soldats israéliens à la barrière frontalière, a déclaré Sirnei, qui a raconté son histoire en hébreu.

« J’ai rencontré beaucoup de gens formidables en Israël, sauf ceux du ministère de l’Intérieur », a-t-elle dit, un commentaire accueilli par des rires du public.
Elle n’a pas beaucoup de projets, dit-elle, que ce soit pour elle, son mari ou leurs enfants.
« Je ne sais pas de quoi demain sera fait », a-t-elle dit. « Je n’achète pas de casseroles et de poêles. J’ai peur que mon mari soit expulsé. Nous voulons simplement vivre dans un pays démocratique, qui a des droits, qui nous donnera un refuge. Nous avons besoin de votre aide. »
La communauté a terminé le Seder avec la Havdalah, une prière d’espoir récitée à la fin du Shabbat.
« Toute la nuit leur était dédiée et avait pour but de leur faire savoir que nous sommes là pour eux », a déclaré Karrie. « Nous avons cuisiné pour eux, nous leur avons parlé, nous les avons étreints et dansé avec eux. On ne peut pas faire beaucoup, alors on a fait ce qu’on pouvait. »
Les efforts visant à aider les demandeurs d’asile africains se poursuivront par d’autres événements à Jérusalem. Un concert sera notamment organisé au YMCA le 9 avril. Plus d’informations sont disponibles sur la page Facebook de Miklat Israel.
On trouve aussi sur Facebook une campagne destinée aux Israéliens et intitulée « Les réfugiés en Israël : voix d’espoir », avec des demandeurs d’asile qui s’adressent directement au public israélien et qui racontent leurs histoires.