Des entraides pour contrer les difficultés croissantes pour les producteurs palestiniens
Les restrictions de mouvement et les violences des résidents d'implantations empêchent les agriculteurs de cultiver leur plus importante source de revenus ; des rabbins et des sœurs viennent les aider
Par une chaude matinée, en début de mois, l’agriculteur palestinien Khaled Muammar accompagné d’un groupe d’activistes-bénévoles se sont rendus dans une oliveraie située dans les collines bucoliques en terrasses qui se trouvent dans les environs de Battir, en Cisjordanie, pour y récolter les olives dont sa famille prend soin.
En descendant la colline escarpée aux reflets d’émeraude, les bénévoles se sont frayés un chemin dans le paysage automnal qui entoure ce village pastoral, entre vignobles récemment privés de leurs fruits et potagers débordant de courges et autres produits d’automne.
Depuis des dizaines d’années, Muammar et les siens cultivent des olives sur les terrasses agricoles anciennes des collines environnantes de Battir, déclarées en 2014 par l’UNESCO patrimoine mondial de l’humanité. Mais les oléiculteurs palestiniens disent que ces dernières années, les récoltes sont non seulement moins bonnes, mais surtout de plus en plus dangereuses.
Déjà mis à rude épreuve par les restrictions imposées par Israël à la liberté de circulation en Cisjordanie qui entravent les cultures agricoles, les agriculteurs sont de plus en plus menacés par les violences des résidents d’implantations, qui, d’après les militants, ont vocation à porter préjudice à l’économie des communautés rurales palestiniennes.
Si l’on ajoute les aléas de la production agricole, et de l’oléiculture en particulier, les Palestiniens se sentent pressés de toutes parts.
« Les oliviers et les figuiers sont bénis, le Coran en parle et dit que celui qui en a n’aura jamais faim », explique Muammar en montrant ses oliveraies et ses figuiers qui se trouvent non loin, sur ses terres.
Tout en parlant, il emmène les bénévoles vers les arbres qui n’ont pas encore été récoltés, dispose des bâches au sol pour récupérer les olives qui tombent au sol lorsque les bénévoles secouent l’arbre et ratissent les branches.
Les bénévoles venus à Battir font partie de Rabbis for Human Rights [Rabbins pour les droits de l’homme], organisation israélienne qui, depuis 20 ans, fait venir des militants en Cisjordanie pour aider les oléiculteurs palestiniens à récolter leurs cultures.
Cette initiative est née du constat que, pour les Palestiniens, la culture de l’olivier est devenue très difficile ces dernières années en raison du harcèlement et des violences des résidents d’implantations, et particulièrement des perturbations qui surviennent au moment de la récolte des olives. Or, la culture de l’olivier est une composante importante de l’économie palestinienne, en particulier pour les Palestiniens installés dans les communautés rurales.
Ces difficultés n’ont fait que s’accentuer depuis le début de la guerre, suite au massacre et aux atrocités commis par le Hamas le 7 octobre 2023 qui ont fait près de 1 200 morts et 251 otages.
Depuis, de sévères restrictions à la liberté de circulation ont été imposées par l’armée en Cisjordanie, ce qui a eu pour conséquence qu’un grand nombre d’oléiculteurs palestiniens n’ont pas pu récolter leurs olives en 2023.
Par ailleurs, les violences des résidents d’implantations envers les Palestiniens vivant dans la zone C de la Cisjordanie, sur laquelle Israël a la mainmise en matière de sécurité et de contrôle civil mais où vivent de nombreuses communautés palestiniennes rurales, ont atteint des sommets.
La reconduction de ces restrictions, parallèlement à celle des hostilités, ont empêché les oléiculteurs de cultiver leurs oliveraies au printemps dernier.
Muammar, 56 ans, montre du doigt la terre dure des cultures en terrasses, et explique que, faute de pouvoir labourer avant l’arrivée des pluies, l’eau s’écoulera sans pénétrer dans la terre et irriguer les arbres.
Avant, il labourait la terre quatre fois par an, fertilisait les arbres avec du compost et les taillait pour favoriser la croissance et la santé de ses oliviers. Cette année, rien de tout cela n’a été possible faute d’avoir eu régulièrement accès à ses terres.
Il a toutefois été autorisé à récolter ses olives cette année : l’armée israélienne lui a accordé trois jours pour récolter ses près de 300 arbres.
Le jour où ce correspondant de presse s’est rendu sur place dans les oliveraies de Mouammar était le troisième et dernier jour de récolte autorisé, et il avait accepté l’aide de l’organisation Rabbins pour les droits de l’homme et de sa vingtaine de bénévoles.
Compte tenu du calendrier extrêmement serré accordé par l’armée israélienne pour la récolte, l’aide de ces activistes a été essentielle pour récolter toutes les olives, avec de surcroît une main-d’œuvre totalement gratuite.
« C’est vraiment important que les gens viennent ici et nous aident, et c’est comme ça que ça devrait être. Israéliens, Arabes, Palestiniens tous ensemble. Cela devrait être comme ça partout dans le monde », dit Muammar en souriant.
Ce jour particulier a été désigné par les Rabbins pour les droits de l’homme journée « interconfessionnelle » : chrétiens, juifs et musulmans d’horizons divers sont venus à Battir pour prendre part à la récolte, se rencontrer et faire une prière interreligieuse.
« Nous croyons aux valeurs de paix, de justice, de droits de l’homme et d’égalité, et ces valeurs sont menacées par nos frères et sœurs, les juifs, dans ce contexte », explique Avi Dabush, directeur exécutif de Rabbins pour les droits de l’homme.
« Nous ne voulons pas parler que de cela, nous voulons être là où s’expriment ces valeurs de façon à changer les choses sur le terrain – pas de grands changements, mais un changement. »
La récolte de Muammar cette année n’est guère prometteuse, et ce, en dépit de l’aide reçue. Les bonnes années, il peut récolter suffisamment d’olives pour produire 40 récipients d’huile d’olive, chacun contenant 16 litres.
Cette année, il se dit heureux s’il peut en obtenir 15.
Les oliviers produisent normalement plus de trois litres d’huile d’olive chacun, mais les arbres de Muammar, comme ceux de nombreux producteurs palestiniens, ne sont pas irrigués, ce qui réduit considérablement la récolte.
Outre les difficultés pour cultiver ses arbres, Muammar dit que les conditions climatiques n’étaient pas propices cette année, et que c’est sans doute la principale raison de la baisse des récoltes.
Une mauvaise récolte signifie qu’il n’aura pas d’huile d’olive à vendre cette année puisqu’il donne une grande partie de l’huile qu’il produit à ses cinq enfants et à leurs proches, sans oublier celle qu’il garde pour son propre usage.
En raison de ce que Muammar qualifie d’utilisation intensive de l’huile d’olive dans la cuisine palestinienne, il ne restera plus grand-chose de ses 15 récipients après avoir fourni à ses proches ce dont ils auront besoin pour toute l’année.
Malgré les difficultés, il dit qu’il va continuer à travailler sa terre, cultiver ses arbres et récolter ses olives, et que la prochaine génération fera de même.
« Mes enfants continueront à faire ce travail et à récolter les olives, c’est ce que nous faisons depuis des générations, cela fait partie de nous, nous avons des fêtes au moment des récoltes, j’aime ça », déclare Muammar.
Cette fois, même avec l’aide des militants, tous les arbres ne seront pas récoltés à la fin du dernier jour de récolte autorisé. Mouammar explique que ses ouvriers et lui tenteront de terminer le travail le lendemain, même sans l’autorisation de Tsahal.
Aux prises avec les difficultés – l’impact des violences des résidents d’implantations et des restrictions de mouvement
Malgré la tranquillité relative de Battir, sans soldats de Tsahal ni résidents d’implantations hostiles en vue, de nombreux oléiculteurs palestiniens continuent de faire face, cette année, à de graves violences et à du harcèlement lorsqu’ils tentent de récolter.
Selon le Service de coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), l’an dernier, près de 9500 hectares d’oliveraies palestiniennes n’ont pas été récoltés à cause des restrictions d’accès imposées aux oléiculteurs par l’armée israélienne ou plus largement les autorités israéliennes.
Si l’on ajoute à cela les 113 cas de violences de résidents d’implantations contre les Palestiniens venus récolter des olives cette année-là, les agriculteurs palestiniens ont subi une perte totale estimée à plus de 1 200 tonnes d’huile d’olive, toujours selon OCHA.
Cette année, l’organisation Yesh Din, qui traque les violences des résidents d’implantations, a enregistré 115 cas de violences perpétrés par des résidents d’implantations ou des soldats de Tsahal pendant la récolte des olives en 51 endroits différents dans toute la Cisjordanie.
Ces attaques ont causé la mort d’au moins une personne, une Palestinienne âgée de 59 ans du nom de Hanan Abdel Rahman Abu Salama, qui aurait été abattue, manifestement par des soldats de Tsahal, alors qu’elle récoltait des olives près de son village de Faqqua, dans le nord de la Cisjordanie. Le commandant de l’unité a été suspendu jusqu’à la fin de l’enquête.
Dans d’autres cas, des ouvriers ou militants ont été violemment agressés et menacés par des résidents d’implantations, des oliveraies incendiées, des arbres abattus sans oublier le matériel agricole et les olives récoltées volés.
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אתמול בואדי סוסיא הסמוך ירדו חיילים מההתנחלות יחד עם מתנחלים רעולי פנים וחמושים באלות וסכין ואיפשרו להם לשבור לאישה צלע בחבטות אלה ולברוח חזרה בביטחה להתנחלות, בזמן שהחיילים מעכבים את כל הנוכחים בטענה שאסור להם לאסוף את הזיתים שכבר נמסקו. pic.twitter.com/1dYXCiV6Oy— מחוץ לעדר (@masafering) October 19, 2024
Yesh Din affirme que dans près de la moitié des cas, des membres de Tsahal, de la police ou des agents de sécurité des implantations étaient présents et ont participé aux attaques aux côtés des résidents d’implantations.
Trop près pour être en sécurité – les avant-postes illégaux posent des problèmes à Battir
Battir, et Mouammar lui-même, ont également connu des problèmes avec les résidents d’implantations. Mouammar explique que ces dernières années, il y a eu plusieurs tentatives pour établir un avant-poste agricole illégal à l’est de Battir, ce que les autorités israéliennes n’ont pas laissé faire.
L’avant-poste a été rétabli peu de temps après le début de la guerre, le 7 octobre, à seulement 500 mètres de Battir, et il est en place depuis ce temps.
Muammar explique que cet avant-poste illégal l’empêche d’accéder à 30 de ses oliviers, qu’il ne peut donc plus cultiver, et que d’autres agriculteurs de Battir ont le même problème.
Selon l’organisation La Paix Maintenant, qui fait campagne contre les implantations, ce nouvel avant-poste a été établi sur des terres déclarées par Israël « terres d’État » en 1982, mais le gouvernement n’y a jamais approuvé l’établissement d’une implantation, ce qui la rend illégale aux yeux de la loi israélienne.
Toutefois, lorsque les habitants de Battir tentent d’accéder à leurs terres, l’armée israélienne est appelée à la rescousse et on les chasse, dit Muammar.
D’autres habitants de Battir ont eu des problèmes semblables avec l’avant-poste illégal nommé Neve Ori – également connu sous le nom de Mahrour – établi en 2019 par un résident d’implantation du nom de Tal Lior, à une courte distance à l’est du nouvel avant-poste.
À l’instar de ce nouvel avant-poste, Neve Ori empêche elle aussi les habitants de Battir de se rendre sur les terres qu’ils cultivaient avant l’arrivée de Lior.
Un jour seulement après avoir assisté à la récolte à Battir, un groupe de bénévoles des Rabbins pour les droits de l’homme qui aidait à récolter des olives à Deir Jamir, à l’est de Ramallah, a été attaqué par des résidents d’implantations. Plusieurs bénévoles et un agriculteur palestinien ont été légèrement blessés.
Yesterday in Dayr Jrir, occupied West Bank, 20+ settlers attacked Palestinian farmers and the volunteers who had come to stand in solidarity with them.
The actions of these settler terrorists are an affront to justice and a desecration of Judaism. pic.twitter.com/4vr8lHbCRo
— Rabbis for Human Rights (@rabbis4HR) November 9, 2024
Selon Sœur Marie-Madeleine, religieuse bénédictine d’un monastère catholique d’Abu Ghosh qui a participé à la journée des Rabbins pour les droits de l’homme à Battir, les membres de son ordre ne quittent pas souvent le monastère mais, compte tenu du conflit actuel, il lui a semblé important de prendre des mesures concrètes.
« En temps de guerre, l’autre est déshumanisé, on ne voit plus l’être humain en l’autre et c’est vraiment triste », déplore la sœur.
« Je suis persuadée que de petites activités comme celle-ci ont un impact mondial, spirituel. Ma conviction est que Dieu est présent dans toutes les personnes qui souffrent comme dans toutes celles qui s’entraident. Dans chaque acte d’amour, d’humanité, Dieu est là, c’est donc une sorte de manière de maintenir la présence divine dans le monde. »
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