Des proches d’une Américano-turque tuée en Cisjordanie reçus par Anthony Blinken
La famille d'Aysenur Eygi déclare que le secrétaire d'Etat était "attentif" mais "très déférent envers les Israéliens" et qu'il n'a pas donné l'assurance que Washington mènerait une enquête
WASHINGTON — Les proches d’une militante américano-turque, Aysenur Ezgi Eygi, tuée par l’armée israélienne lors d’une manifestation en Cisjordanie, ont été reçus par le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken.
Le porte-parole du département d’État, Matthew Miller, a déclaré aux journalistes que Blinken avait exprimé ses condoléances à la famille et réitéré sa conviction que l’incident du 6 septembre n’aurait jamais dû se produire.
Eygi, une Américaine de 26 ans originaire de Turquie, était une militante du Mouvement de solidarité internationale lorsqu’elle a été tuée dans le village de Beita alors qu’elle participait à une marche de protestation contre l’expansion des implantations juives.
Miller a indiqué que Blinken avait informé sa famille qu’Israël avait déclaré aux États-Unis, ces derniers jours, que l’armée israélienne finalisait son enquête sur l’assassinat d’Eygi, et que le département d’État tiendrait la famille au courant de l’évolution de la situation.
À la question de savoir s’il soutiendrait l’appel de la famille Eygi en faveur d’une enquête indépendante sur son assassinat, Miller a répondu que c’était au ministère de la Justice d’en décider.
Hamad Ali, le mari d’Eygi, a déclaré aux journalistes après la rencontre avec Blinken que le secrétaire d’État avait été « attentif », mais qu’il n’avait pas donné l’assurance que Washington mènerait sa propre enquête et qu’il avait plutôt exhorté les proches de la jeune femme à attendre qu’Israël ait terminé son enquête.
« C’est frustrant d’entendre les mêmes choses », a affirmé à la presse Hamid Ali, à l’issue de cette réunion avec le chef de la diplomatie américaine au siège du département d’Etat à Washington.
« Il a fait preuve d’une grande déférence à l’égard des Israéliens », a estimé Ali. « On avait l’impression qu’il disait que les Israéliens avaient les mains liées et qu’ils ne pouvaient pas faire grand-chose. »
Ali a également déclaré que Blinken « a répété beaucoup de choses que nous entendons depuis 20 ans, en particulier depuis l’assassinat de Rachel Corrie ».
Rachel Corrie, une militante du Mouvement de solidarité internationale âgée de 23 ans, a été tuée à Gaza en 2003 alors qu’elle tentait de bloquer un bulldozer de l’armée israélienne engagé dans une opération de démolition d’une maison. Une enquête de Tsahal a ensuite révélé que le conducteur ne l’avait pas écrasée intentionnellement et la Cour suprême a confirmé un arrêt exemptant Israël du paiement des dommages-intérêts, l’incident s’étant produit dans une zone de guerre.
« La réunion s’est déroulée comme attendue, on a entendu les mêmes déclarations (…) disant qu’ils attendent la conclusion de l’enquête israélienne que nous n’estimons pas crédible », a renchéri la soeur, Ozden Bennett.
Les membres de la famille ont dit avoir demandé au secrétaire d’Etat qu’il fasse « à tout le moins pression publiquement sur le gouvernement israélien pour qu’il mette fin à son enquête dans l’assassinat de ma sœur avant le changement d’administration » aux Etats-Unis le 20 janvier prochain, a-t-elle dit.
L’armée israélienne avait jugé à l’époque « très probable » que des tirs provenant de ses rangs aient tué « indirectement et involontairement » la jeune femme.
Pressé de questions lors de son briefing quotidien, le porte-parole du département d’Etat a confirmé lundi que les Etats-Unis attendaient les résultats de l’enquête israélienne.
Le secrétaire d’Etat a présenté, a-t-il dit, « ses plus sincères condoléances à la famille de cette personne » parlant d’un incident « qui n’aurait jamais dû se produire ».
« Il leur a dit qu’Israël nous avait fait savoir ces derniers jours qu’ils étaient en train de finaliser leur enquête sur cette affaire, et il s’est engagé auprès d’eux à leur communiquer les résultats de cette enquête dès que nous en aurons connaissance », a ajouté le porte-parole en disant « comprendre » la frustration des proches.
Miller avait déclaré en septembre que les premières conclusions d’Israël sur la mort d’Eygi ne disculpaient pas les forces de sécurité israéliennes, avertissant que Washington envisagerait d’autres mesures si les résultats de l’enquête israélienne n’étaient pas satisfaisants.
Un reportage du Washington Post a ensuite contesté la version des faits de l’armée israélienne, affirmant qu’Eygi avait été abattue plus d’une demi-heure après le moment le plus intense de la manifestation et quelque 20 minutes après que les manifestants se sont éloignés de la route, ce qui signifie qu’elle se trouvait à environ 180 mètres des troupes lorsqu’elle a été tuée et qu’elle n’aurait pas pu constituer une menace.
Après son assassinat, sa famille a déclaré que « sa présence dans nos vies a été prise inutilement, illégalement et violemment par l’armée israélienne » et que « citoyenne américaine, Aysenur se tenait pacifiquement pour la justice lorsqu’elle a été tuée ».
« Nous demandons au président [Joe] Biden, à la vice-présidente [Kamala] Harris et au secrétaire d’État [Antony] Blinken d’ordonner une enquête indépendante sur l’homicide illégal d’une citoyenne américaine et de veiller à ce que les coupables répondent pleinement de leurs actes », a déclaré la famille.
Quelques semaines après la mort d’Eygi, Blinken avait qualifié sa mort de « non provoquée et injustifiée » et a demandé une révision de la conduite de l’armée israélienne en Cisjordanie.
La violence en Cisjordanie s’est intensifiée au cours de l’année écoulée, à la suite de l’attaque terroriste du Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre, au cours de laquelle quelque 1 200 personnes ont été massacrées et 251 ont été prises en otage.
Depuis cette date, les troupes israéliennes ont arrêté quelque 5 250 Palestiniens recherchés en Cisjordanie, dont plus de 2 050 affiliés au Hamas.
Selon le ministère de la Santé de l’Autorité palestinienne, plus de 716 Palestiniens de Cisjordanie ont été tués au cours de cette période. L’armée israélienne affirme que la grande majorité d’entre eux sont des hommes armés tués lors d’échanges de tirs, des émeutiers qui se sont heurtés aux troupes ou des terroristes qui ont perpétré des attentats.
Au cours de la même période, 42 personnes, dont des membres des forces de sécurité israéliennes, ont été tuées dans des attaques terroristes en Israël et en Cisjordanie. Six autres membres des forces de sécurité ont été tués lors d’affrontements avec des terroristes en Cisjordanie.
Reuters a contribué à cet article.