Des réalisatrices juives immortalisent ‘Boris Nemstov, Juif’, le détracteur de Poutine
Assassiné à l'extérieur du Kremlin, le dissident est devenu une figure de culte et fait l'objet de films, de poèmes et de chansons
Deux ans après, la Russie n’a toujours pas oublié le meurtre tragique de Boris Nemtsov, un politicien juif anti-Poutine, à l’extérieur du Kremlin.
Il est devenu une sorte de figure de culte dans un pays connu pour faire taire les dissidents. Il y a maintenant au moins quatre films à son sujet, et certains affirment que le nombre de films s’élèvent à huit. Au moins deux des documentaires sont le travail d’artistes juifs russes.
La cinéaste Zosya Rodkevich, âgé de 26 ans, avait mené des interviews filmées avec Nemtsov pendant trois ans, depuis que le politicien de 53 ans l’eut invitée de façon inattendue – elle, une fille de 22 ans à l’époque – à partager son compartiment privé dans un train de nuit. Elle a accepté pour mener à bien son projet, une brève vidéo qu’elle allait poster sur YouTube.
Elle avait considéré cette occasion comme un moyen de connaître le sujet de son reportage de façon plus intime – une occasion rare pour une cinéaste, a-t-elle souligné. Et elle n’a pas arrêté sa petite caméra vidéo et ce, même quand le célèbre politicien a éteint la lumière, s’est endormi et a commencé à ronfler.
Dans le film, nous l’entendons parler comme un homme plus âgé pourrait parler avec une femme beaucoup plus jeune.
« Quand j’avais votre âge, il me semblait que si une personne avait 30, 40 ou 50 ans, ils étaient déjà des animaux préhistoriques, comme des mammouths. Mais je me sens normal maintenant », a-t-il confié d’une voix endormie, les yeux fermés.

Au fil du temps, Nemtsov allait inviter Rodkevich à l’accompagner pendant ses voyages et à participer à des rassemblements politiques en tant que membre des médias. Leurs chemins se sont croisés si souvent qu’ils ont développé une amitié – mais rien de plus, tient à clarifier Rodkevich.
Elle concentrait sa caméra sur lui non seulement en public, mais aussi dans une variété d’environnements plus personnels – à la maison, au salon de coiffure et à la salle de sport.
« 80 % du temps, il ne parlait que de lui-même », a estimé Rodkevich. « Il ne souffrait pas d’une faible estime de soi. Il était très narcissique. Il était amoureux de lui-même. Dans la vie normale, je ne m’entends pas avec de telles personnes ».
Elle ajoute cependant qu’il a peut-être été narcissique mais il n’était pas un homme égoïste. Bien qu’il ait été un peu vaniteux – il prenait soin de lui, mangeait sainement et faisait du sport régulièrement – il s’intéressait également au bien-être de sa patrie. Il a occupé des postes importants dans le gouvernement mais a tout abandonné et a rejoint l’opposition parce qu’il s’intéressait à son pays, a fait valoir Rodkevich.
Dans une séquence de son film, on voit Nemtsov courir sur le tapis – cela étant parfois le seul moment où il trouvait le temps d’accorder une interview dans son emploi du temps surchargé. Dans cet extrait, on peut le voir, à bout de souffle et avec son t-shirt trempée de sueur. Il évoque le fait d’avoir eu des enfants de trois femmes différentes et sa crainte de ne pas être un meilleur père.
« Je pense qu’il aimait être filmé pendant qu’il courait, en montrant ses muscles et essouflé », a confié Rodkevich.
Rodkevich éditait son film en pensant en faire une comédie quand l’information a été annoncée : Nemtsov a été abattu devant le Kremlin.
« J’ai reçu un SMS m’informant qu’il avait été tué et je ne l’ai pas cru », s’est-elle remémorée. « J’ai éprouvé deux sentiments : l’un, je devais faire un film pour que ce soit le premier à sortir… Je devais aller filmer les funérailles. D’autre part, j’ai perdu mon ami et j’ai pleuré ».
Le résultat est un film qui fait rire le public jusqu’à ce qu’ils voient la fin tragique. C’est aussi un portrait réaliste d’un homme politique que beaucoup de Russie ont mis sur un piédestal après sa mort tragique. Parce que le film ne décrit pas Nemtsov comme quelqu’un de parfait, Rodkevich s’inquiétait de la façon dont il serait perçu.
« J’étais très inquiète parce que Nemtsov est devenu un symbole. Les gens écrivent des poèmes et des chansons sur lui. Mais dans mon film, il n’est pas un super-héros. Il est sexiste, il essaie de flirter avec toutes les femmes qui se promènent, il jure beaucoup », a expliqué Rodkevich.
Le documentaire d’une heure a été bien reçu dans les festivals de cinéma et est très apprécié auprès des spectateurs. Le film intitulé « Mon ami Boris Nemtsov » a remporté le prix du meilleur documentaire au Festival de cinéma de Cracovie en Pologne et a remporté la Mention spéciale du jury au Festival international du film d’Odessa en Ukraine.
Il a également obligé Rodkevich à faire face à l’antisémitisme russe. Elle a reçu des messages insultants tels que « Meurs, salope juive ! » Sur YouTube et VK, la version russe de Facebook.
« Quand le film est sorti, j’ai reçu beaucoup de ces messages. Lorsque les gens n’ont pas d’arguments, ils disent ce qu’on attend d’eux », a-t-elle. « Parfois, j’appuie sur le bouton ‘Signaler un langage insultant’ ».

L’histoire de la Russie à travers l’objectif de Nemstov
Un documentaire plus traditionnel sur Nemtsov a été réalisé par Vera Krichevskaya, co-fondatrice de Dojd TV, qu’elle décrit comme étant la seule chaîne de télévision indépendante de la Russie.
Krichevskaya et Mikhail Fishman, le rédacteur en chef du Moscow Times qui a écrit le scénario du film, sont tous les deux juifs.
Leur film intitulé « L’homme qui était trop libre » dure plus de deux heures et est basé sur des entretiens sur Nemtsov avec des politiciens russes et des hommes d’affaires. Parmi les célébrités interrogées figurent la fille de Boris Yeltsin, qui parle des relations de son père avec Nemtsov, les anciens membres du Parlement russe, l’ancien oligarche Mikhail Khodorkovsky et la fille de Nemtsov.
Le film raconte la vie de Nemtsov en évoquant les événements historiques russes des 25 dernières années où il a joué un rôle, explique Krichevskaya lors d’une interview téléphonique depuis sa résidence à Londres.
Le film suit la carrière politique de Nemtsov, sa relation étroite avec Yeltsin – qui a été filmé alors qu’il affirmait que Nemtsov devrait se présenter à la présidence –, sa tentative de mettre fin à la guerre en Tchétchénie et ses relations avec Vladimir Poutine.
Il explique également les motivations de Nemtsov, qui a dans un premier temps soutenu Poutine et qui plus tard s’est opposé à son gouvernement. Cependant, le film ne tente pas d’enquêter sur les personnes qui ont tué Nemtsov ou sur les motifs de son assassinat.
Il était important de faire le film parce que Nemtsov était le politicien russe le plus important qui a été assassiné depuis l’ère Staline, a expliqué Krichevskaya. Elle le décrit comme le chef de l’opposition de la Russie et affirme qu’il est essentiel de commémorer sa mémoire parce que le gouvernement russe ne fait rien pour l’honorer.
« Il n’y a pas de rues à son nom, vous ne pouvez même pas mettre une plaque sur la maison où il habitait. Les gens apportent des fleurs au pont où il a été tué et les autorités les ont retirées, et les gens ont apporté des fleurs à nouveau », a décrit Krichevskaya.
Dans son film, Krichevskaya mentionne également la première campagne politique de Nemtsov en 1989 où il s’est présenté pour obtenir un siège au Congrès des députés de l’Union soviétique. Ses tracts de campagne disaient : « Boris Nemtsov, Juif ».
« Tout le monde a essayé de le convaincre de ne pas le faire parce que l’antisémitisme était tellement répandu », se souvient Krichevskaya. « Mais il a répondu : ‘permettez-moi d’écrire que je suis un Juif, car d’autres le griffonneront sur les tracts à la main’ ».
Le rôle du judaïsme dans la vie de Nemtsov n’est pas clair. Sa mère, Dina Nemtsova (née Eidman), était juive mais on peut voir la fille de Nemtsov en train de porter une croix autour de son cou dans le film.
« L’homme qui était trop libre » a remporté le prix du meilleur documentaire de la Guilde russe des critiques de cinéma cette année.
Krichevskaya a indiqué qu’elle serait heureuse de présenter son film à un festival de film en Israël.
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