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Dix ans après sa mort, Ben Laden continue à hanter le Pakistan

Sa mort, au retentissement planétaire, a durablement affecté l'image du Pakistan et mis à nu les contradictions d'un pays qui a longtemps servi de base arrière à Al-Qaïda

Oussama ben Laden lors d'une conférence de presse à Khost, en Afghanistan, en 1998 - une photo rendue publique le 19 mars 2014. (Crédit : Mazhar Ali Khan/AP)
Oussama ben Laden lors d'une conférence de presse à Khost, en Afghanistan, en 1998 - une photo rendue publique le 19 mars 2014. (Crédit : Mazhar Ali Khan/AP)

Comme presque chaque jour, quelques gamins jouent au cricket sur une large dalle de béton, au milieu d’une herbe roussie et de moellons épars. Voilà tout ce qu’il reste de l’antre final de celui qui fut longtemps l’homme le plus recherché de la planète.

C’est en ce lieu, dans la ville pakistanaise d’Abbottabad (nord), sur les premières pentes de l’Himalaya, qu’Oussama ben Laden a trouvé la mort dans un raid clandestin mené par des Navy Seals, une unité d’élite des forces spéciales américaines, dans la nuit du 1er au 2 mai 2011.

Cet événement au retentissement planétaire a durablement affecté l’image internationale du Pakistan et mis à nu les contradictions d’un pays qui a longtemps servi de base arrière à Al-Qaïda et ses alliés talibans, tout en pâtissant comme peu d’autres du terrorisme.

L’opération « Géronimo » a mis fin à dix ans de traque du cerveau des attentats du 11-Septembre, qui avait échappé aux Américains en 2001 dans les grottes de Tora Bora, dans l’est de l’Afghanistan.

Elle a causé un énorme embarras au Pakistan et à sa toute puissante armée. Ben Laden a vécu reclus pendant au moins cinq ans à Abbottabad, se terrant derrière les hauts murs d’une imposante bâtisse blanche, à moins de deux kilomètres d’une académie militaire renommée.

« Cela a été une très mauvaise chose pour cet endroit et pour tout le pays. Abbottabad était le lieu le plus paisible qui soit. En vivant ici, Oussama a donné mauvaise réputation à cette ville », regrette Altaf Hussain, un instituteur à la retraite de 70 ans, qui se promène sur l’allée longeant l’ancienne résidence de Ben Laden.

L’armée et les services de renseignement pakistanais ont subi un terrible camouflet. Ils auraient pu admettre être au courant de la présence du fondateur d’Al-Qaïda, mais cela aurait mis en exergue leur incapacité à empêcher le raid américain. Ils ont préféré nier, même si cela revenait à reconnaître des failles en matière de renseignement.

La Situation Room de la Maison Blanche pendant l’opération contre Oussama Ben Laden, en mai 2012. Sont notamment présents le vice-président Joe Biden, le président Barack Obama, la secrétaire d’Etat Hillary Clinton. (Crédit : Pete Souza – Maison Blanche/Domaine public/WikiCommons)

Humiliation nationale

Vécue comme une humiliation nationale, l’opération a renforcé un déjà fort sentiment anti-américain au sein d’une population lassée du très lourd tribut financier et humain payé à la guerre contre le terrorisme et à son alliance avec les États-Unis après les attentats de 2001.

Le Pakistan a d’abord été sensible au mythe fondateur d’Al-Qaïda, fondé sur la résistance du peuple musulman face à l’impérialisme américain. À sa mort, Ben Laden n’était pourtant plus tout à fait aussi populaire qu’une décennie plus tôt.

« Avant, je me rappelle que les gens nommaient leurs enfants Oussama, même dans mon village », raconte le journaliste pakistanais Rahimullah Yusufzai, un spécialiste des réseaux jihadistes. Mais à partir de 2002 ou 2003, ce soutien avait, selon lui, « commencé à diminuer à cause des violences ».

Cela n’a pas empêché l’extrémisme de continuer à se propager après 2011 au Pakistan, où les mouvements religieux conservateurs sont devenus de plus en plus influents.

Les trois années suivantes, les groupes terroristes, au premier rang desquels le Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP, les talibans pakistanais), ont versé le sang lors d’attentats de masse et établi leurs bastions dans les zones tribales du nord-ouest.

Ils n’en ont été délogés que par une campagne militaire lancée en 2014 dans cette région frontalière de l’Afghanistan. Elle a permis de faire retomber les violences, même si une série d’attaques mineures a récemment fait craindre que ces groupes n’aient commencé à s’y reconstituer.

La police pakistanaise à Lahore, le 28 mars 2016, après un attentat-suicide qui a fait 72 morts. (Crédit : AFP / FAROOQ NAEEM)

« Pas d’unanimité »

Sans son charismatique leader, Al-Qaïda « a survécu, mais à peine » et n’est plus apte à lancer de grande attaque en Occident, souligne M. Yusufzai. 

Le groupe n’est non plus « plus une grande menace pour le Pakistan », qu’il avait d’ailleurs longtemps épargné, mais d’autres comme le TTP ou l’État islamique le restent, estime Hamid Mir, le dernier journaliste à avoir interviewé Ben Laden en face-à-face, fin 2001.

Dix ans après, Ben Laden conserve la même aura qu’avant dans les cercles radicaux. « Il est vivant dans le cœur de chaque taliban et chaque jihadiste », atteste Saad, un responsable taliban afghan vivant dans la ville pakistanaise de Peshawar (nord-ouest).

Mais au-delà même de ce courant, une certaine ambivalence à son égard persiste. En 2019, le Premier ministre pakistanais, Imran Khan, avait fait scandale en déclarant devant l’Assemblée nationale que Ben Laden était mort en « martyr », un terme élogieux dans la religion islamique.

« Il n’y a pas d’unanimité sur Ben Laden au Pakistan. L’opinion publique est divisée », constate M. Mir. Pour lui, le chef d’Al-Qaïda reste perçu par certains comme un « combattant pour la liberté » et par d’autres comme « une mauvaise personne, qui a tué des innocents et causé des destructions, non seulement au Pakistan mais dans beaucoup de pays (en) violation des enseignements de l’islam ».

Même à Abbottabad, ville de taille moyenne plutôt prospère et tolérante, on maintient une certaine ambiguïté envers Ben Laden, dont la maison a été rasée en 2012 par les autorités pour qu’elle ne se transforme pas en mémorial.

« Dans cette rue, il y a des différences d’opinion. Certains disent qu’il était bon, d’autres qu’il était mauvais », confie un autre voisin, Numan Hattak, un adolescent.

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