En défiant les juges, Edelstein plonge Israël dans l’anarchie constitutionnelle
Avec un exécutif toujours en transition et un système judiciaire et législatif dans l'impasse, la gouvernance d'Israël s'est effondrée… au milieu de la pire crise sanitaire
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

J’aime à penser que ces lignes seront dépassées par les événements, pour le meilleur, avant même que vous n’ayez eu l’occasion de les lire (Ce texte a été publié en anglais à 14H53).
Mais en ce moment, en début d’après-midi du mercredi 25 mars, la démocratie israélienne semble être tombée dans le gouffre. Au milieu de la pire crise sanitaire mondiale de mémoire d’homme.
Dans un acte de défi sans précédent, le président de la Knesset, le député Likud Yuli Edelstein, a choisi de démissionner plutôt que d’obéir à une décision de la Cour suprême qui l’oblige à organiser un vote mercredi pour désigner la personne qui occupera son poste de président à la suite des élections du 2 mars.
Le dirigeant de Kakhol lavan, Benny Gantz, dispose du soutien de 61 des 120 députés de la Knesset désireux d’élire le député Kakhol lavan Meir Cohen à ce poste, et, de ce fait, de prendre le contrôle de l’agenda et des travaux parlementaires du Likud du Premier ministre Benjamin Netanyahu et de ses alliés.
Plutôt que de permettre ceci, Yuli Edelstein a fermé la Knesset le 18 mars, puis a rejeté un avis de la Haute Cour publié lundi midi pour que le vote ait lieu aujourd’hui, et il vient maintenant de rejeter une décision contraignante consécutive de la Haute Cour selon laquelle il devait le faire.

Non seulement il a démissionné dans un élan de critiques acerbes à l’encontre du pouvoir judiciaire pour son intervention ostensiblement dangereuse et antidémocratique dans les questions de procédure parlementaire, mais il a également souligné que sa démission ne prendra effet que dans 48 heures et a entre-temps de nouveau fermé le plénum de la Knesset. De nouvelles requêtes adressées à la Haute Cour estiment qu’il a agi ainsi au mépris de la loi, puisqu’il a refusé de se conformer à son arrêt et qu’il empêche toute autre personne de s’y conformer également.
Le conseiller juridique de la Knesset, Eyal Yinon, a informé M. Edelstein que, démission ou non, le président est obligé de rouvrir la Chambre et de procéder au vote sur la personne qui doit occuper le poste. Edelstein a dit non, et aurait dit à ses collègues que « la Knesset est ajournée, un point c’est tout ».
Pour autant que l’on puisse en juger, Edelstein n’a actuellement aucun suppléant, et il est loin d’être certain que ce dernier serait autorisé à intervenir s’il avait existé. Les experts juridiques tentent actuellement de déterminer si le plus âgé des députés, Amir Peretz du Parti travailliste, est autorisé à combler le vide [Edelstein a ensuite notifié à Peretz qu’en vertu de son âge, il serait le président intérimaire de la Knesset à partir de vendredi].
Pour autant que l’on puisse en juger, la Cour suprême ne peut pas personnellement accuser Edelstein d’outrage à magistrat, puisqu’il jouit d’une immunité.
Pour autant que l’on puisse en juger, la Haute Cour n’a aucun moyen concret d’imposer l’élection d’un nouveau président à une Knesset qui ne dispose actuellement d’aucun chef disposé à l’organiser.
L’ironie – s’il est possible de parler d’ironie en ce moment de crise, alors que l’État de droit en Israël semble être piétiné – est que les deux partis en guerre font valoir le même argument central : la Knesset est souveraine.

Cela a été cité dans l’arrêt unanime des cinq juges de la Cour suprême, rendu par la présidente Esther Hayut, lundi dernier, pour souligner qu’Edelstein ne peut pas rejeter la volonté de la majorité élue des députés simplement parce que cela dérange le bloc minoritaire dont il fait partie. La Knesset « n’est pas une pom-pom girl au service du gouvernement », a-t-elle écrit, rejetant l’argument précédent de l’intéressé selon lequel l’élection d’un président permanent exigeait de la clarté sur la nature du nouveau gouvernement. L’inverse est vrai, a-t-elle rappelé. « La Knesset est souveraine ».
Et cela a été cité par Edelstein dans son discours de démission avant qu’il ne ferme le Parlement mercredi matin. « La décision de la Haute Cour cause un préjudice sans précédent à la souveraineté du peuple et à la souveraineté de la Knesset », a-t-il déclaré.
Chaque partie – la plus haute instance judiciaire du pays et le président de son Parlement – a accusé l’autre de « saper les fondations de la démocratie israélienne », une allégation que les experts juridiques disent ne pas se souvenir d’avoir observée auparavant entre ces organes du gouvernement.
Le président d’Israël, Reuven Rivlin, lui-même ancien député du Likud, a déjà indiqué sa position. Lorsque Edelstein a clos la Knesset le 18 mars, il lui a immédiatement téléphoné pour le mettre en garde contre les atteintes à la démocratie.
Cependant, le Premier ministre d’Israël, Benjamin Netanyahu – qui occupe toujours ce poste bien que Gantz ait été chargé le 17 mars de la tâche sisyphéenne de tenter de former le prochain gouvernement – ne s’est pas exprimé depuis que cette crise a éclaté. On ne sait pas très bien si Edelstein aurait été – ou serait – plus réceptif au président de son parti qu’il ne l’a été aux juges de la Haute Cour.
Voilà donc à quoi ressemble l’anarchie constitutionnelle dans un Israël qui a vécu une transition prolongée de son exécutif au travers de trois élections non décisives, et qui voit maintenant les deux autres pouvoirs, législatif et judiciaire, dans l’impasse.