En Ethiopie, mettre un visage sur ceux qui restent
Alors que Benjamin Netanyahu termine sa tournée africaine en Ethiopie, des milliers de Juifs y attendent toujours l'alyah
- Les membres de la communauté juive éthiopienne des Falashmura attendant le début de l’office, avant le Seder de Pessah, dans la synagogue de Gondar, en Ethiopie, le 22 avril 2016. (Crédits : Miriam Alster / Flash 90)
- Eyayu Abuhay (dr.), l’un des cinq membres du comité de direction de la communauté d’Addis Abeba, et Ayeneixi Moges, membre de la communauté, dans la salle des jeunes de la synagogue d’Addis Abeba, le 6 mai 2016. (Crédits : Melanie Lidman / Times of Israel)
- Ambanesh Tekaba, 32 ans, est assise dans la synagogue HaTikva, le 25 avril 2016. Tekeba est la cheffe de la communauté juive à Gondar, à une époque où peu de femmes exercent une position de direction. (Crédits : Miriam Alster / Flash 90)
- Gashaw Abinet, 29 ans, avec son fils Aliezar, 2 ans et demi, dans leur maison de Gondar le 26 avril 2016. Sa maison est tout près de la synagogue de Gondar, où il exerce en tant que chantre. (Crédits : Miriam Alster / Flash 90)
- Simegnew Yosef Naga, 24 ans, tient une photo de sa grand-mère vivant à Ramle, dans sa maison à Gondar, le 15 avril 2016. (Crédits : Melanie Lidman / Times of Israel)
- Alementu Lake, 25 ans, une vendeuse de boissons qui vit près du centre de Gondar, avec sa fille de 2 ans, Habtam, qui vient de se réveiller d’une sieste, le 15 avril 2016. (Crédits : Melanie Lidman / Times of Israel)
- Almenesh Ytagew, 18 ans, dans l’agitation du nettoyage de Pessah dans la synagogue de Gondar, le 21 avril 2016. Elle rêve de servir dans l’armée israélienne quand elle aura fait son alyah. (Crédits : Melanie Lidman / Times of Israel)
- Tigabu Worku, 27 ans, dans la salle de réunion du groupe des jeunes de la synagogue d’Addis Abeba, le 6 mai 2016. (Crédits : Melanie Lidman / Times of Israel)
- Samuel Araya, 32 ans, avec sa moto-taxi à Gondar. N’ayant découvert que récemment son judaïsme, il a peur que les gens pensent qu’il essaie de profiter de l’alyah vers Israël, et il a du mal à trouver une preuve du judaïsme de sa mère. (Crédits : Miriam Alster / Flash 90)
- Ermias Gebrie, 17 ans, dans l’une des salles de classe de la synagogue de Gondar, le 25 avril 2016. Gebrie est la meneur de Bnei Akiva à Gondar depuis six mois. (Crédits : Miriam Alster / Flash 90)
- Atenkut Setataw (à dr.), avec sa femme Alesa Netere (à g.) et un voisin, lors d’une cérémonie du café pour les visiteurs devant leur maison de Gondar (Crédits : Miriam Alster / Flash 90)
- Mulu Lagese, 74 ans, dans sa maison de location à Gondar, le 24 avril 2016. Lagese souffre probablement d’un goitre, à cause d’un manque d’iode. (Crédits : Miriam Alster / Flash 90)
Quand la congrégation de la synagogue HaTikvah, à Gondar, dans le nord de l’Ethiopie, se lève pour chanter l’hymne israélien à la fin de chaque service, la funèbre mélodie se transforme en un chant passionné, un cri déterminé lancé vers les cieux – et vers le Parlement israélien – pour que leurs prières afin d’émigrer vers le pays de Sion soient entendues.
En 2013, l’Agence juive avait annoncé la fin de l’alyah éthiopienne, avec un dernier vol et une cérémonie à l’aéroport Ben Gourion. Le directeur de l’Agence juive, Natan Sharansky, avait déclaré qu’ils avaient « clos le cercle » de l’alyah éthiopienne, 3 000 ans plus tard.
Pendant que Sharansky célébrait à l’aéroport, environ 9 000 Juifs éthiopiens étaient laissés derrière à Gondar et dans la capitale, Addis Abeba : ils ne correspondent pas aux critères du ministère de l’Intérieur pour l’alyah, mais se considèrent comme Juifs.
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En novembre dernier, le gouvernement a approuvé l’immigration de 9 000 Juifs éthiopiens. La volonté a fléchi trois mois plus tard, quand le cabinet du Premier ministre a refusé de soutenir le programme, car le milliard de dollars nécessaire pour financer l’intégration des immigrants ne tenait pas dans le budget de l’Etat.
Deux députés du Likud, Avraham Neguise et David Amsalem, ont refusé de voter avec la coalition jusqu’à ce que le gouvernement accepte de financer cette proposition, en avril. Mais les troubles de la Knesset en mai font que le Premier ministre Benjamin Netanyahu a désormais une large majorité dans la coalition, et que la tactique de Neguise et d’Amsalem ne pourra fonctionner une seconde fois.

L’immigration éthiopienne devait commencer en juin. Mais, alors que Netanyahu est en visite officielle en Afrique cette semaine, son cabinet a refusé tout commentaire sur les raisons pour lesquelles le processus n’avait pas encore commencé.
Netanyahu s’est rendu en Ouganda, au Kenya et au Rwanda, et il terminera par l’Ethiopie jeudi. Là-bas, il rencontrera des politiques et des hommes d’affaires, et visiter le musée national, mais l’emploi du temps officiel n’inclut aucune rencontre avec la communauté juive.
Les Juifs laissés en Ethiopie sont qualifiés de « Falashmura », un terme qui désigne les Juifs éthiopiens dont les ancêtres s’étaient convertis au christianisme, souvent sous la contrainte, des générations plus tôt. Mais la plupart des Juifs en Ethiopie aujourd’hui refusent ce terme. Ils sont prêts à se plier au processus de conversion une fois en Israël, car certains ne sont pas Juifs par leur mère, mais ils se hérissent à la suggestion qu’ils ne sont pas ethniquement Juifs.
Les Falashmura, et ceux qui sont toujours en Ethiopie, ne sont pas considérés comme Juifs selon la loi du retour, qui nécessite au moins un grand-parent juif et disqualifie les personnes qui se sont converties à une autre religion, même si cette conversion a eu lieu très longtemps auparavant.
Le porte-parole de l’Agence juive Avi Mayer a souligné le fait que, même si l’agence facilite l’installation des Éthiopiens en Israël, c’est le ministère de l’Intérieur qui édite les listes des personnes éligibles.
« Comme les individus en question ne sont pas considérés comme éligibles à l’alyah sous la loi du retour par le ministère de l’Intérieur, leur capacité à émigrer vers Israël est sujette à des décisions ad hoc prises par le gouvernement israélien, sur des critères humanitaires », explique Avi Mayer.
« L’Agence juive mènera à bien toute décision prise par le gouvernement israélien concernant l’immigration éthiopienne, comme nous l’avons fait ces soixante dernières années ».

Les Israéliens d’origine éthiopienne n’étaient pas prêts à laisser leur famille glisser dans l’oubli, et se sont lancés dans une bataille pour réunir des familles déchirées par les politiques bureaucratiques de l’alyah.

Désormais, après trois ans de négociations, de faux départs, d’espoirs déçus, les premiers nouveaux candidats éthiopiens à l’alyah prient pour que leur projet d’atterrir à Ben Gourion cet été aille jusqu’au bout. Neguise n’a pas souhaité faire de commentaire sur une éventuelle date, citant des négociations en cours avec le cabinet du Premier ministre.
Cette longue période d’errance, d’incertitude quant à leur déménagement en Israël, a plongé de nombreuses familles juives éthiopiennes dans une pauvreté encore plus grande. Ils ont laissé leurs villages derrière eux il y a plus de 20 ans, détruisant les liens sociaux qui unissaient les familles, pour se rapprocher des bureaux de l’Agence juive à Gondar ou à Addis Abeba. De la même manière, ils n’ont pas recréé de commerces parce qu’ils espéraient toujours partir ; ils ont loué au lieu d’économiser pour acheter une maison, les laissant encore plus pauvres à chaque augmentation du loyer.
L’Agence juive gérait un programme de distribution de repas pour la communauté juive, pour les femmes enceintes, allaitantes et les enfants jusqu’à 6 ans, mais il a pris fin en 2013 quand la fin de l’alyah éthiopienne a été prononcée.
Même si l’Agence juive est récemment revenue dans la zone, notamment en soutenant un Seder de Pessah en avril 2016, le programme n’a pas repris. En 2011, des chercheurs ont statué que 41 % des enfants juifs de Gondar souffraient de malnutrition, et chez les enfants âgés de 12 à 23 mois, cela grimpait à 67 %. La moyenne de la malnutrition dans les villes éthiopiennes est de 30 %.
Qui sont ces Juifs, laissés derrière en Ethiopie ? Voici onze histoires, de déchirement, d’attente et, finalement, d’espoir.

Eyayu Abuhay, 28 ans, membre d’un comité, Addis Abeba
« Nous sommes les derniers », s’attriste Eyayu Abuhay, 28 ans, l’un des cinq élus du comité qui dirige la communauté juive dans la capitale de l’Ethiopie, Addis Abeba. « Je n’ai pas de famille ici. Nous ne savons pas pourquoi nous avons été laissés derrière. Ils disent que nous sommes des Falashmura mais nous rejetons ce nom ».
La communauté juive d’Addis Abeba, forte de 3 000 membres, est éparpillée dans les banlieues de la ville, car les membres ne peuvent plus se permettre de loger près de la synagogue, située à côté de l’ambassade d’Israël. Désormais, les membres de la communauté doivent prendre les transports en commun, parfois pendant deux heures, pour atteindre la synagogue. Les offices du Shabbat attirent seulement une centaine de personnes, mais beaucoup plus viennent le dimanche matin.
Abuhay affirme qu’il est encore en Ethiopie à cause de sales politiques et du racisme.
« Ils nous ignorent à cause de notre couleur [de peau] », explique-t-il. « Nous sommes des Juifs éthiopiens, donc oui, nous ressemblons à des Ethiopiens. Les Juifs yéménites ressemblent à des Yéménites, et les Juifs néerlandais à des Néerlandais. Ils s’attendent à quoi ? ».
Ambanesh Tekeba, 32 ans, cheffe de communauté, Gondar
Dans la société patriarcale éthiopienne, la directrice de communauté Ambanesh Tekeba est une anormalité, une femme élue pour mener la communauté juive de Gondar. Grande et éclatante, elle donne une impression de calme et de compétence pendant qu’elle supervise la logistique de toute la communauté, qu’il s’agisse de mener 3 000 personnes pour un Seder, ou faire une visite guidée aux soldats éthiopiens qui gardent la synagogue.
« Après que l’Agence juive a tout fermé ici [en août 2013], nous avons reconstruit la communauté à partir de rien », explique-t-elle.
Tekeba était l’une des quinze personnes impliquées dans le renouveau de la communauté et de la synagogue, renommée « HaTikva », « L’Espoir ». Le souvenir du traitement infligé par l’Agence juive à elle et aux membres de la communauté juive les dernières années reste douloureux : elle affirme qu’elle ne pouvait même pas assister au Seder car elle n’était pas « sur la liste des Juifs ».
Tekeba pense qu’elle n’était pas sur ces listes parce que sa mère n’est pas juive, même si son père l’est. Elle a également épousé un non-Juif mais, selon elle, le problème avec son alyah vient de son judaïsme non-matrilinéaire.
En plus de son travail à la synagogue et de son emploi comme chargée de liaison au sein de l’organisme de charité Kindu Trust, Tekeba joue avec les demandes de sa famille dans une société où le leadership féminin est rare.
« Je suis une mère et une épouse, mais je n’ai pas le temps de m’occuper de mes enfants et de mon mari », avoue-t-elle. « C’est aussi difficile de gérer les autres, quand vous êtes une femme. C’est très inhabituel, et parfois j’ai peur ».
« Nous sommes des Juifs éthiopiens, donc oui, nous ressemblons à des Ethiopiens. Les Juifs yéménites ressemblent à des Yéménites, et les Juifs néerlandais à des Néerlandais. Ils s’attendent à quoi ? »
« Parfois, les gens créent des conflits, mais elle rétablit la paix », assure Gashaw Abinet, un chantre qui travaille étroitement avec Tekeba. « Elle bosse dur pour obtenir ce qui est nécessaire pour les autres ».
Tekeba est actuellement dans son second mandat de deux ans à la tête de la communauté. Auparavant, elle a servi comme secrétaire au sein de la Conférence nord-américaine sur le judaïsme éthiopien (NACOEJ), qui a fourni de l’assistance à la communauté juive de Gondar de 1982 à 2011.
Bien qu’elle soit excitée à l’idée d’aller en Israël après 17 ans à Gondar, le moment de quitter cette communauté où elle a travaillé si dur après le départ de l’Agence juive aura un goût doux amer. « Tout va me manquer », dit-elle à propos de la synagogue, « surtout les prières, prier tous ensemble ».

Gashaw Abinet, 29 ans, chantre, Gondar
C’est le langage employé par l’Agence juive lors du retrait en 2013 qui a le plus énervé Gashaw Abinet, l’un des chantres de la communauté juive de Gondar. « Comment pouvaient-ils dire qu’il n’y avait plus de Juifs en Ethiopie ? » se demande-t-il. « Ils nous connaissent ! Asher [Fentahun Seyoum, l’ancien émissaire de l’Agence juive en Ethiopie] me connaît. J’étais un hazan et un professeur de judaïsme quand il était là ».
Abinet pense qu’il n’était pas sur les listes de l’alyah car, bien que sa mère ait été élevée par une belle-mère juive, sa grand-mère biologique était peut-être chrétienne, mais la famille n’est pas certaine. Les demi-sœurs de sa mère, qu’elle considère comme ses propres sœurs, sont en Israël.
Le jeune homme fait le guide, non-officiel, pour de nombreux visiteurs, car son anglais et son hébreu sont excellents et il vit juste à côté de la synagogue avec sa femme Adanech, leur fils Alieazar, âgé de 2 ans et demi.
« Nous continuons à expliquer à tous les touristes qui veulent écouter notre histoire, et je veux leur raconter notre histoire », assure-t-il. « C’est une histoire triste, mais grâce à ces personnes nous sommes en train de réussir », continue-t-il, faisant référence aux députés Neguise et Amsalem, au rabbin Menachem Waldman de l’Agence juive, et aux fortes communautés locales. « Bientôt, l’alyah commencera, et c’est très excitant ».
Et concernant ceux qui retardent le processus de l’alyah éthiopienne, Abinet espère qu’ils changeront rapidement d’avis. « Nous sommes tous membres du peuple d’Israël… Maintenant, avec l’aide de Dieu, il est temps de retourner en Israël, et ils ne peuvent stopper un peuple qui veut se rassembler. Je sais que Dieu a fait un miracle pour les Juifs en Egypte, maintenant il devrait le faire pour nous ».

Simegnew Yosef Naga, 34 ans, chantre, Gondar
« Je regarde les photos des Israéliens d’origine éthiopienne lors de manifestations en Israël, et ils brandissent des photos de nous », note Simegnew Yosef Naga, 34 ans, qui attend à Gondar de faire son alyah depuis 18 ans. Sur le mur de boue de la maison qu’il loue à Gondar, où il vit avec sa femme, Tigest Kasi Tagenyi, 26 ans, et leurs trois enfants, il a accroché une image de sa grand-mère, Yerumnesh Werku, qui est partie en Israël en 2001.
« Elle a 90 ans maintenant », s’émeut Naga, qui a également un oncle en Israël, avec des neveux et des nièces qu’il n’a jamais vus. « Nous sommes en contact uniquement par téléphone. J’espère la revoir avant son décès. »
Naga déclare que sa mère, qui vit toujours à Gondar, est juive, mais que son père ne l’est pas. Pour lui, s’il est encore en Ethiopie, c’est à cause de la corruption. Sa femme est juive par son père.
Le jeune homme est l’un des cinq chantres, les chanteurs de la communauté HaTikva : il a été élu il y a 15 mois. Quand il ne mène pas des offices depuis la bima pour le minyan, deux fois par jour, ou le Shabbat, il patrouille dans la section des enfants d’un pas officiel, mettant fin à tous les bavardages par un simple regard sévère et un « chut ! ».
Naga a appris l’hébreu dans l’école juive de l’Agence juive, et l’hébreu conversationnel en autodidacte. Quand il descend les rues de Gondar, tout le monde le reconnaît, des jeunes écolières aux vieux épiciers. Mais Naga n’oublie jamais d’enlever sa kippa lorsqu’il quitte l’enceinte de la synagogue.
« En Ethiopie, c’est très dur pour les Juifs », avoue-t-il. « Dans les villages, les gens nous traitaient de ‘falasha’ [un mot péjoratif pour désigner les Juifs] ».
« Dans ce monde, nous ne formons qu’un, que l’on soit musulman, juif, chrétien », continue-t-il. « Mais dans la Genèse, ce sont les Juifs qui ont reçu la Torah ». Dans son esprit, cela veut aussi dire que les Juifs appartiennent à Israël. « Avec l’aide de Dieu, quiconque avec de la famille devrait aller en Israël. Les autres patientent, et Dieu seul sait jusqu’à quand. Mais nous croyons que, d’ici à cinq ans, nous serons également là-bas. »

Alementu Lake, 25 ans, vendeuse de boissons, Gondar
Alementu Lake se souvient à peine de son village dans la région de Gojam, à plus d’une journée de voyage de Gondar. Ces 18 dernières années, elle a vécu près de la place centrale de Gondar, un quartier urbain qui est un festival de sons et de couleurs, de chariots remplis de légumes et tirés par des chevaux, et de jerricans échoués dans les rues sales. Les maisons de boue sont peintes de couleurs vives, et les enfants surgissent de cours ouvertes pour jouer dans la rue, zigzagant entre les chevaux, les tuk-tuks et les minibus.
Ses deux frères et sa sœur ont déménagé en Israël il y a trois ans, et vivent toujours dans un centre d’intégration. « C’est la politique, j’essaie de ne pas y penser », dit-elle à propos des décisions gouvernementales qui l’ont laissée derrière à Gondar.
Lake dirige un petit commerce de boissons dans sa maison, vendant des Coca et des Sprite glacés. Elle est mariée avec deux enfants, mais son mari n’est pas juif, et elle pense que c’est peut-être la raison pour laquelle sa famille n’était pas sur les listes de l’alyah.
« L’Agence juive affirme que tous ceux qui ont une famille finiront par émigrer », remarque-t-elle. « L’alyah doit arriver. Il y a des gens qui attendent à Gondar depuis 10, 20, 26 ans. Nous avons assez attendu, maintenant est venu le temps de l’alyah pour nous aussi ».

Almenesh Ytagew, 18 ans, étudiante, Gondar
Alemenesh Ytagew, 18 ans, est anxieuse : elle veut aller en Israël aussi vite que possible, pour pouvoir servir dans l’armée. « En Israël, je veux aller à l’ulpan, puis à l’armée pour protéger Israël », affirme-t-elle. Après son service militaire, elle espère devenir professeure, et voudrait enseigner le judaïsme dans une école publique.
Ytagew vit depuis neuf ans à Gondar avec sa mère, sa grand-mère et ses deux sœurs. Son père est mort il y a quelques années. Elle vient du village de Singisam, dans la région du Gojam. Des autres membres de sa famille ont abandonné après un certain temps à Gondar et sont retournés au village.
« C’était difficile pour eux à Gondar. Ils n’avaient pas d’argent. Ils sont restés un moment, mais ils sont repartis », explique-t-elle. Les Juifs faisaient déjà partie de la classe défavorisée en Ethiopie car ils ne peuvent posséder de terres. Quand ils ont quitté leurs villages pour Gondar et attendre l’alyah, beaucoup ont bataillé pour joindre les deux bouts, face à des loyers élevés et peu d’offres d’emploi. En partant, ils ont aussi abandonné les liens sociaux qui les soutenaient à la campagne.
On ne sait pas combien de Juifs éthiopiens vivent encore dans les villages du Gojam, et la distance qui les sépare de Gondar, ajoutée à leur manque de participation dans la communauté juive, va peut-être les empêcher de prendre part à la vague actuelle d’alyah de 9 000 personnes.
Dans l’intervalle, Ytagew attend. « Ils ont dit que nous partirions bientôt », se souvient-elle. « Je suis venue avec d’autres gens de mon village qui ont fait leur alyah. Alors pourquoi pas nous ? ».

Tigabu Worku, 27 ans, chantre, Addis Abeba
Quand Tigabu Worku, le chantre d’Addis Abeba, mène la communauté pendant les chants, il ferme les yeux et son corps tout entier se laisse porter par la musique. Ces dernières années, avec l’aide de YouTube et de bénévoles israéliens, il a appris des dizaines de chansons à la communauté, en amharique et en hébreu. Il passe des heures à chercher des chansons en hébreu sur YouTube, dont le message porte un désir collectif vers Israël. Il aime tout, des chanteurs haredi ashkénazes à Sarit Hadad, avec une affinité particulière pour la musique d’Eyal Golan, dont « Mi Shema’amin Lo Mifached » (« Celui qui croit n’a pas peur »).
Le groupe de jeunes adore chanter et se réunir avant les offices pour chanter, pendant qu’ils attendant que la communauté se rassemble pour le Kabbalat Shabbat. Alors que le tonnerre gronde sur Addis Abeba, apportant une pluie torrentielle bienvenue, la pluie frappant le toit de tôle crée un rythme naturel aux mélodies hébraïques familières. Mais Worku espère que les chansons sur Israël, la foi, et la compassion de Dieu pour le peuple d’Israël seront bientôt plus que des mots pleins d’espoir.
« J’ai lu que les Juifs étaient heureux d’aider les Juifs, que les Juifs vivaient pour les Juifs », rappelle Worku. « Alors, qu’en est-il de nous ? Nous saignons ici ».
« Eux, en Israël, ils savent qu’on est Juifs, mais ils ne me prennent pas. Mes grands-parents sont là-bas – ça n’a pas de sens. Qu’est-ce que Juif veut dire, si vous nous laissez ici ? C’est parce qu’on est Noirs ? Qui nous a créés ? Nous n’avons pas choisi d’être Noirs ou Blancs. Dieu nous a créés, et s’ils croient en Dieu, ils doivent respecter la création de Dieu – toutes Ses créations ».

Samuel Araya, 32 ans, conducteur de moto-taxi, Gondar
« Le problème, c’est que je n’ai aucune preuve de ma judéité », explique Samuel Araya, 32 ans, qui conduit une moto-taxi à trois roues dans Gondar. L’histoire familiale d’Araya est compliquée. Selon lui, sa mère était la maîtresse de son père, qui avait une autre famille. La mère d’Araya est morte quand il était bébé, et son père a arrangé pour lui une vie avec un voisin, mais n’avait que peu de contacts avec lui. Araya ne s’entendait pas bien avec sa belle-mère et a quitté la maison à 12 ans, vivant dans la rue et faisant n’importe quel travail pour survivre.
« Quand j’avais 14 ans, un homme du foyer de ma mère est venu me parler, m’a raconté beaucoup de choses sur ma vraie mère, et m’a dit qu’elle était juive », affirme Araya. « J’ai essayé de vérifier ces faits sur ma vraie mère avec mon père, de nombreuses fois, mais il a dit qu’il avait une autre famille et qu’il n’était pas intéressé. Il a dit que, s’ils prenaient connaissance de mon existence – du fait que je suis son fils et aussi sur le judaïsme – ce serait une très mauvaise chose ».
« J’ai lu que les Juifs étaient heureux d’aider les Juifs, que les Juifs vivaient pour les Juifs », rappelle Worku. « Alors, qu’en est-il de nous ? Nous saignons ici »
Sans preuve de sa judéité, Araya sait que ses chances de parvenir en Israël sont très minces. Il ne s’est pas enregistré auprès de l’Agence juive, donc il n’est pas sur la liste des 9 000 Juifs approuvés pour l’alyah. Il espère localiser la tombe de sa mère biologique, pour voir si elle est peut-être enterrée dans un cimetière juif, ou si la tombe porte des signes montrant sa religion.
Dans un pays sans certificats de naissance ou de décès, les preuves de judéité peuvent être difficiles à obtenir. Et quand les familles étendues et les enfants nés hors mariage compliquent les choses, le défi d’identifier qui est Juif est encore plus difficile.
« J’ai toujours senti dans mon cœur que j’étais juif », s’émeut Araya. Mais, vu qu’il n’a commencé à fréquenter la synagogue que deux ans auparavant, il sait aussi que les gens sont suspicieux quant à ses motivations. « Si je vais à la synagogue, comme je suis timide, dans ma tête j’ai peur que les gens pensent que je vais à la synagogue uniquement parce que j’essaie d’aller en Israël ».
Lentement, raconte-t-il, alors qu’il apprend à connaître des membres de la communauté juive, il se sent de plus en plus accepté, même s’il prie plus souvent à la maison qu’à la synagogue, car il se sent plus proche de la religion lorsqu’il est seul. « Si vous êtes juif, on attend de vous que vous alliez à la synagogue », reconnaît-il.
Araya a été élevé comme un chrétien éthiopien orthodoxe, et on lui a appris que les « falasha », les Juifs, étaient démoniaques et sales. Maintenant, sa moto-taxi est ornée de drapeaux israéliens, un élément qui attire souvent une attention indésirable quand il est au marché musulman. Il porte aussi des tee-shirts décorés du drapeau.
« J’irai en Israël, c’est sûr à 100 % », affirme-t-il. « C’est la promesse que Dieu m’a faite. Je ne sais juste pas comment Il la tiendra ».

Ermias Gebrie, 17 ans, meneur Bnei Akiva, Gondar
Une heure avant le spectacle des enfants de Bnei Akiva (le plus grand mouvement de jeunesse juif sioniste au monde), qui chanteront “Ehad Mi Yodea” (« Qui connaît quelqu’un ») devant 3 000 membres de la communauté rassemblés pour le Seder, Ermias Gebrie sautille en coulisses, essayant de motiver les jeunes. « Chantez fort ! N’oubliez pas les gestes ! Souriez !”. Une douzaine de membres du groupe de jeunesse portent les tee-shirts blancs et bleus du mouvement israélien Bnei Akiva, et aident à aligner les 50 enfants et les guider dans la chorégraphie.
Gebrie est le nouveau meneur pour Bnei Akiva, et il prend sa mission très au sérieux.
« Nous travaillons dur », assure-t-il. « Quand nos chanichim, nos étudiants, iront en Israël, nous savons que ce sera difficile, mais ils pourront dire, ‘Je vais aller à Bnei Akiva’, et peut-être que ce sera moins difficile ».
Quand tout en Israël sera étrange et nouveau, il y aura des vestiges de la maison, des mots comme « chanichim » ou « madrichim » (guide), ou le même tee-shirt de Bnei Akiva, ajoute-t-il.
« Si je vais dans un autre endroit, cela me changera, mais le but de Bnei Akiv est de nous préparer à aller en Israël, pour que nous soyons tous ensemble et que nous réussissions nos vies en Israël », se réjouit le jeune homme.
Gebrie supervise la section de Gondar de Bnei Akiva depuis six mois. Il compte environ 180 « chanichim » et 10 « madrichim », qui ont entre 15 et 19 ans.
Bien que Bnei Akiva Israël ne soutienne pas encore financièrement le groupe éthiopien, ils ont envoyé des bénévoles depuis Israël pour aider Gebrie à mettre le groupe de jeunesse sur les rails, et faire face aux défis que représente la création d’un groupe pour des adolescents.
Gebrie pense que sa famille a été exclue de la liste pour l’alyah parce qu’ils ne peuvent pas compter sept générations de judaïsme matrilinéaire. Sa mère est juive, mais le père de sa mère ne l’est pas. La famille a récemment localisé de lointains cousins à Kiryat Shmona, grâce à l’aide d’un bénévole israélien de Bnei Akiva, et ils espèrent donc que remplir les papiers pour un regroupement familial pourra accélérer le processus de leur alyah.
« Nous nous réunissons le mardi et le jeudi, et nous avons vraiment une bonne ambiance », s’enthousiasme Gebrie. « Le Shabbat et le dimanche, nous donnons des cours aux enfants. Nous avons des tee-shirts Bnei Akiva. Nous aidons les enfants à préparer Pessah. Nous essayons de leur apprendre le mieux possible, en utilisant ce que nous avons dans la bibliothèque. Nous travaillons dur ».

Atenkut Setataw, 25 ans, chantre et professeur
Atenkut Setataw est l’un de ces jeunes de la génération Y accro à WhatsApp. Quand il ne supervise pas la confection de 50 000 pièces de pain Matzah à la main pour Pessah, ou ne dirige pas les offices quotidiens, il est constamment penché sur son téléphone, envoyant et recevant des messages et des photos. Mais ces messages ne sont pas que des discussions sans importance avec ses amis : c’est aussi sa seule connexion à sa famille.
La mère de Setataw est morte en couches, et il a été élevé par son oncle et sa tante, qu’il considère comme ses parents. Mais ils ont émigré en Israël il y a cinq ans, laissant derrière eux l’adolescent et son grand frère. Parce que Setataw et son frère ne font pas partie de la famille proche biologique de son oncle, il n’a pas été autorisé à faire son alyah avec le reste de ses cousins.
« Maintenant, nous nous rencontrons sur WhatsApp », explique-t-il. L’apprentissage rapide de l’hébreu de Setataw pendant qu’il étudiait à l’école de la NACOEJ a fait de lui un hazan naturel, et il a également enseigné le judaïsme à l’école et à la synagogue.
La distance entre sa famille et lui s’est révélée difficile à gérer, surtout quand Setatw a voulu se marier. Traditionnellement, les mariages dans de nombreuses familles juives de Gondar sont arrangés, ou acceptés par les familles des futurs époux. Mais toute la famille de Setataw est en Israël, sauf son grand frère et son grand-père. L’oncle de Setataw, agissant comme son père, a fini par approuver le mariage par téléphone depuis sa maison à Jérusalem. L’année dernière, Setataw a épousé Alesa Netere, 20 ans.
Netere a également de la famille en Israël, un oncle et une tante. « L’oncle d’Alesa, le frère de sa mère, est parti pour le Soudan il y a 34 ans et ensuite pour Israël », raconte Setataw. « Il y a quelques années, il a appelé la mère d’Alesa et lui a dit, ‘nous pensions que tu étais morte car cela fait si longtemps que tu n’as pas donné de nouvelles !’ ».
Désormais, grâce à la technologie, les familles sont en contact régulier. Mais ce n’est pas assez, se plaint Setataw. « Nous avons attendu si longtemps », dit-il. « Avec l’aide de Dieu, j’espère que cette année, nous irons en Israël et que, là-bas, nous serons réunis ».

Mulu Lagese, 74 ans, grand-mère, Gondar
Après 74 ans en Ethiopie, Mulu Lagese sait que son déménagement en Israël bouleversera tout ce qu’elle pensait savoir. Mais elle conserve l’espoir que, après 18 ans de vie dans une bicoque aux murs de boue à Gondar, elle pourra rejoindre ses nièces et neveux en Israël.
Son mari est mort en attendant de faire son alyah, et elle espère qu’elle et ses deux enfants adultes auront aussi la chance de voir Jérusalem. Elle partage la cour avec d’autres familles juives attentant de partir en Israël, séchant au soleil du piment rouge qui donne à la nourriture éthiopienne son piquant si particulier.
« Ma famille me manque », dit-elle simplement. « Je veux aller en Israël ».
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