En Hollande, l’une des ménorah les plus chères au monde cachée en pleine lumière
Le candélabre de Nieuwenhuys pourrait ne pas paraître inhabituel. Mais prêté par la famille royale au musée d'histoire juive, c'est son histoire qui pourrait valoir 450 000 dollars
AMSTERDAM (JTA) — Rien dans l’apparence de l’objet numéro MB02280 présenté au sein du musée d’histoire juive ne laisse suggérer que cette ménorah de Hanoukka est la plus chère de toute la capitale, valant plus de la moitié du prix moyen d’un appartement en duplex.
De la forme du corps d’un violon, elle mesure seulement un peu plus de 40 centimètres. Son socle accueille huit petits godets à huile détachables qui servent de bougies pour Hanoukka, lorsque les Juifs en allument pour commémorer la révolte survenue en l’an 167 avant l’ère commune contre les Grecs. Ils sont placés contre la surface de la ménorah, régulière et réfléchissante, dont les angles sont formés de reliefs rococos.
Mais malgré tous ses charmes, la ménorah de Nieuwenhuys – son créateur était l’orfèvre Harmanus Nieuwenhuys, un non-Juif – ne se distingue pas véritablement des autres également présentées à ses côtés au musée. Loin d’être la plus ancienne, la ménorah ne semble très certainement pas à la hauteur de son prix estimé de 450 000 dollars.
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La ménorah de Nieuwenhuys peut ainsi se cacher au grand jour parce que sa valeur est davantage « relative à son histoire qu’à ses caractéristiques physiques », commente Irene Faber, conservatrice des collections du musée.
Conçue en 1751 pour répondre à la commande d’un Juif qui n’a pas été identifié, la ménorah de Nieuwenhuys couvre toute l’histoire tumultueuse de la communauté juive des Pays-Bas. Et elle est liée à la famille royale néerlandaise, ainsi qu’à un héros de guerre juif qui aura donné sa vie pour son pays et son nom à l’une des attractions touristiques les plus prisées de Hollande.
Le prix à payer pour la ménorah de Nieuwenhuys – qui n’a pas de nom officiel – est à peu près connu en raison de la vente d’une ménorah similaire et fabriquée par le même argentier au prix sans précédent de 441 000 dollars lors d’une vente aux enchères, en 2016. Un collectionneur qui avait conservé l’anonymat était parvenu à se l’attribuer à la fin d’une guerre des enchères inattendue qui avait fait les gros titres de la presse internationale. Initialement, elle ne devait atteindre – selon les prédictions – qu’une somme légèrement supérieure à 15 000 dollars.
Autre raison de cette estimation plus élevée : La ménorah est issue d’une collection des Maduro, célèbre famille juive portugaise ayant donné à la Hollande l’un de ses héros de guerre les plus célébrés. Les nazis avaient assassiné George Maduro dans le camp de concentration de Dachau après qu’ils l’ont surpris en train d’organiser le rapatriement en Angleterre de pilotes britanniques dont l’avion avait été abattu. En 1952, ses parents avaient fait construire à sa mémoire l’une des attractions touristiques les plus prisées du pays : Le Madurodam, une ville miniature.
« J’imagine que la connexion avec la famille Maduro a fait augmenter son prix », dit Nathan Bouscher, directeur de la maison de ventes aux enchères Corinphila, située au sud d’Amsterdam, qui a géré la vente d’objets liés à des Juifs néerlandais célèbres.
Au-delà de la ménorah présentée au musée historique juif, les Pays-Bas en ont une autre, très chère elle aussi, avec la ménorah de Rintel : Un candélabre d’un mètre vingt qui a été acheté par le musée d’histoire juive l’année dernière, au prix stupéfiant de 563 000 dollars. A l’apparence beaucoup plus ostentatoire que la modeste ménorah de Nieuwenhuys, la Rintel, fabriquée en 1753, est confectionnée d’argent pur et elle pèse plusieurs kilos. Elle a été prêté pour le moment au musée Kroller-Muller, à 80 kilomètres à l’est d’Amsterdam.
Le musée historique juive n’a aucunement l’intention de se défaire de la Nieuwenhuys, explique Faber, même si la ménorah pourrait atteindre des prix plus spectaculaires encore en raison de sa provenance : Achetée par feu la reine des Pays-Bas, Wilhelmina, comme cadeau pour sa mère, elle a été offerte au musée par son petit-fils, le roi Willem-Alexander.
« Nous ne savons pas qui avait commandé l’ouvrage mais si on prend en considération la réputation de l’artiste et le travail qui a été nécessaire pour la fabriquer, il s’agissait sûrement d’une riche famille juive, peut-être d’origine séfarade », a dit Faber à JTA la semaine dernière, au musée.
Au centre de l’objet, un maillage rond formé de décorations ressemblant à une arabesque « qui contient probablement les initiales du propriétaire dans un monogramme », a ajouté Faber, mais nous avons été dans l’incapacité de le déchiffrer. C’est une énigme ».
Le monogramme est l’une des techniques qu’avaient développée en Hollande Nieuwenhuys et d’autres argentiers chrétiens pour leur riche clientèle juive.
Avant le 19e siècle, les Juifs étaient interdits de travaux d’orfèvrerie aux Pays-bas, étant exclus de la confrérie des orfèvres néerlandais, qui avait été ensuite été abolie dans les années 1880.
« Cette exclusion a bénéficié à la confrérie parce qu’elle a éradiqué la concurrence, mais elle a également signifié la nécessité pour les orfèvres chrétiens de devenir des spécialistes de la fabrication d’objets religieux juifs tels que cette ménorah », a-t-elle ajouté.
Les oeuvres – comme ce candélabre – qui sont présentées au musée montrent l’amour porté aux arts par certains clients juifs au goût sophistiqué.
Tandis que la ménorah de Maduro est symétrique, avec des reliefs de style baroque, le candélabre de Nieuwenhuys est asymétrique, affichant des caractéristiques « vraiment d’avant-garde pour leur temps », a noté Faber. Les surfaces lisses sont « un autre choix audacieux, montrant de la finesse », a-t-elle poursuivi.
Quoi qu’il en soit, le propriétaire de la ménorah aura cessé de la posséder en 1907, année où la reine Wilhelmina l’a achetée à un prix indéterminé lors d’une vente aux enchères pour l’offrir à sa mère, la princesse Emma.
Cette acquisition peut paraître sans conséquence pour un observateur contemporain mais sa signification devient évidente lorsqu’elle est examinée dans le contexte d’un antisémitisme institutionnalisé dans les maisons royales et les gouvernements européens.
L’empereur allemand Guillaume II, qui avait vécu à la même période que Wilhelmina, était ainsi un fervent antisémite qui avait dit, en 1925, que « les Juifs et les moustiques sont une nuisance dont l’espèce humaine doit se débarrasser d’une manière ou d’une autre », ajoutant : « Je pense que le meilleur moyen est le gaz ».
Le roi de Belgique, Leopold III était plus « politiquement correct », disant avec magnanimité en 1942 qu’il ne nourrissait « aucune animosité personnelle » contre les Juifs mais statuant qu’ils représentaient néanmoins « un danger » pour le pays. Il n’avait soulevé aucune objection lorsque les Allemands et leurs collaborateurs avaient commencé à déporter les Juifs belges, les envoyant à la mort.
Mais aux Pays-Bas, où des milliers de Juifs avaient trouvé un refuge après avoir fui l’inquisition espagnole et portugaise du 16e siècle, les membres de la famille royales s’étaient non seulement abstenus de faire de telles déclarations, mais elle était authentiquement « intéressée par les autres religions et notamment la juive », a précisé Faber.
La cadeau d’une ménorah fait par Wilhelmina à sa mère « n’est pas étrange venant d’elle », a estimé Faber.
« J’imagine qu’elle a trouvé ça amusant, que ce serait quelque chose dont elle pourrait parler avec sa mère, qu’elles pourraient voir ensemble comment elle fonctionne ». Après tout, « les Juifs ont toujours été placés sous la protection de la maison royale ».
A l’exception, bien sûr, des années 1940 à 1945, lorsque la reine Wilhelmina et la maison royale s’étaient enfuis au Royaume-Uni. Wilhelmina n’avait alors mentionné que trois fois la souffrance de ses sujets juifs lors de ses discours prononcés à la radio à destination de la population néerlandaise, au cours de ses cinq années d’exil.
Alors qu’avant la guerre, « les Juifs cherchaient toujours la maison royale », pendant et après le conflit, « il est apparu que Wilhelmina ne pensait pas trop aux Juifs », a déclaré Faber. Il y a eu une « souillure » sur les relations entre les Juifs néerlandais et la famille royale qui a entraîné une « rupture ».
Une relation qui a guéri, petit à petit, pendant les années d’après-guerre.
Le fait que le roi Willem-Alexander, arrière-petit-fils de Wilhelmina, ait offert en 2012 la ménorah de Nieuwenhuys pour un prêt à durée indéterminé au musée juif, à l’occasion de son 90ème anniversaire, « symbolise la guérison de cette rupture », a conclu Faber.
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