Enquête Trump-Russie : Un Israélien rejette les accusations de Papadopoulos
Après que le premier responsable de Trump à avoir plaidé coupable dans l'enquête de Mueller, l'a placé en première ligne, Charles Tawil partage sa version de l'histoire
DUBAI — L’homme d’affaires israélien Charles Tawil a rejeté avec véhémence les affirmations selon lesquelles il aurait piégé George Papadopoulos, premier responsable de l’administration Trump à plaider coupable dans l’enquête sur la Russie, les qualifiant « d’absurdes ».
Tawil, dont la carrière commerciale kaléidoscopique l’a amené en Afrique, sur les rives de la Méditerranée et dans le Golfe persique, a reconnu avoir offert 10 000 dollars en cash à Papadopoulos le 8 juin 2018. Mais il a nié avoir été un espion ayant harcelé Papadopoulos pour qu’il s’empare de l’argent dans une chambre d’hôtel « terrifiante » de Tel Aviv, comme l’a affirmé l’Américain.
En fait, Tawil dit que le conseiller de campagne de Trump, qui tente dorénavant de reporter l’application de sa peine de prison de 14 jours, « se désespérait » de continuer à travailler avec lui après la transaction en liquide qui, selon Papadopoulos, a mis un terme à leur relation.
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Tawil s’est entretenu avec le Times of Israel la semaine dernière à Dubaï, la ville-état scintillante du Golfe, dans laquelle il était venu pour assister à une conférence accueillie par le ministre de la Tolérance des Emirats arabes unis, Sheikh Nahayan Mabarak Al Nahayan qui, selon Tawil, est l’un de ses amis.
Le nom de Tawil, qui était jusqu’alors inconnu, est dorénavant lié à l’enquête russe au sujet du conseiller spécial américain Robert Mueller. Il figure dans un memo du FBI en tant que ressortissant étranger qui, selon Papadopoulos, aurait été un éventuel agent des renseignements pour un pays étranger (autre que la Russie).
Le premier domino de l’enquête sur Trump et la Russie
Papadopoulos a admis avoir menti au FBI quand il avait été interrogé sur ses contacts avec Joseph Mifsud, un professeur de Malte qui a tenu un rôle éminent dans une organisation obscure, le LCILP (London Centre of International Law Practice) où Papadopoulos avait aussi travaillé.
En 2016, Mifsud avait négocié une rencontre entre Papadopoulos et des Russes qui, selon lui, étaient liés au Kremlin. Mifsud aurait indiqué à Papadopoulos que les Russes avaient des milliers de courriels nuisant à Hillary Clinton : une information qui était finalement arrivée jusqu’au FBI et qui avait donné lieu à des supputations sur des liens possibles entre la Russie et la campagne de Trump.
Lors d’une réunion de campagne, au mois de mars 2016, organisée au Trump International Hotel de Washington, DC, Papadopoulos avait offert d’organiser une rencontre entre Trump et le président russe Vladimir Poutine.
Au mois de septembre, Papadopoulos a soumis une note au tribunal disant qu’il avait « honte et regrettait fortement » ce qu’il s’était passé et il a écopé d’une peine de 14 jours de prison. Mais après sa condamnation, il a changé de ton de manière spectaculaire et lui et son épouse, Simona Mangiante, ont soulevé un tollé dans les médias, affirmant que l’ancien conseiller de campagne avait été piégé par le gouvernement.
Narrant un récit obscur de traîtrise profonde, le couple a désigné Charles Tawil comme un homme malveillant ayant tenté de se débarrasser de billets de cent de dollars marqués en les lui donnant, le qualifiant « d’atout gouvernemental sorti du placard ». Mardi, Papadopoulos a écrit sur Twitter : « Est-ce que les 10 000 dollars que Charles Tawil m’a versés font partie d’une opération-piège du FBI/CIA ? »
Questions that remain outstanding for congress that America needs answers to:
1) Who/when did Trump associates have FISAs issued on them?
2) Is the $10,000 Charles Tawil gave me part of an FBI/CIA entrapment operation?
3) Which western intel did Mifsud work for?
4) Downer too
— George Papadopoulos (@GeorgePapa19) November 21, 2018
Papadopoulos a affirmé qu’il avait été terrifié quand Tawil lui avait donné 10 000 dollars en billets de 100 dollars dans « une chambre d’hôtel de Tel Aviv ». Il a ajouté qu’il craignait que Tawil ne le tue s’il refusait les liquidités.
« Enfin ! J’ai menacé de le tuer s’il ne prenait pas l’argent ? », s’exclame Tawil, alors qu’il recherche son téléphone portable pour y trouver une photo de George Papadopoulos, souriant. « Si vous voyez la photo de mon fils à ses côtés, il n’a pas vraiment l’air d’un homme qui a peur ».
Conseiller, consultant, entrepreneur — pas espion
Tawil, un homme svelte et souriant de 61 ans, arborant des lunettes sans monture, avale une petite gorgée de cappuccino dans une tasse agrémentée de la lettre « A » – en référence à l’hôtel Armani, aux excentricités très bling-bling, situé au pied de la tour Burj Khalifa qui, avec ses 160 étages, est la plus grande construction au monde.
Se décrivant comme conseiller occasionnel de leaders africains – parmi eux, le président ougandais Yoweri Museveni et l’ancien président sud-africain Jacob Zuma — Tawil est spécialisé dans les accords d’énergie mais indique également vouer une passion à la promotion de la biodiversité.
Tirant profit de sa pratique courante de la langue arabe – il est le fils de Juifs qui ont immigré en Israël depuis le monde arabe – Tawil travaille dans des sphères où la discrétion est la valeur la plus appréciée.
Jusqu’à son apparition dans la note du FBI de Mueller, il avait fait profil bas. Tawil, qui est également ressortissant américain, refuse par ailleurs d’être photographié pour cet article.
La naissance d’une – pas si belle – amitié
Tawil affirme que Papadopoulos a retenu son attention en 2016 en tant que partenaire commercial potentiel qui avait ses entrées dans le monde arabe. Au mois de septembre de cette année-là, celui qui était alors un interne au Hudson Institute âgé de 29 ans avait négocié une rencontre entre le candidat Donald Trump et le président égyptien Abdel Fattah el-Sissi. Tawil avait été impressionné.
Alors qu’il assistait à la conférence politique de l’AIPAC à Washington, au mois de mars 2017, Tawil avait appris que David Haivri, un consultant stratégique qui promeut les implantations juives en Cisjordanie, était en contact avec Papadopoulos. Haivri avait passé un coup de téléphone et lui et Tawil s’étaient envolés pour Chicago pour une rencontre décisive autour d’un déjeuner avec Papadopoulos.
Tawil en était revenu de très bonne humeur. « Il était ambitieux, un type jeune – de l’âge de mon fils – et je me suis dit : Pourquoi pas ? Et lui m’a dit : ‘Vous savez, je suis ruiné et je vais partir vivre en Europe ».
Mais Papadopoulos n’avait pas dit à Tawil qu’il avait de sérieux ennuis. Le FBI l’avait interrogé pour une seconde fois, six semaines plus tôt. Si Tawil avait su que Papadopoulos se trouvait au coeur d’une enquête, dit-il, jamais il n’aurait poursuivi ce partenariat.
Entrée en scène de Simona Mangiante
Au mois de mai, Papadopoulos se trouvait à Mykonos avec sa petite amie d’alors, Simona Mangiante. Tawil explique que Papadopoulos l’avait invité à les rejoindre et à lui dire ce qu’il pensait de Mangiante. « Il m’a parlé comme si j’étais son père et que je lui donnais mes recommandations ».
Tawil était partant : Il n’était jamais allé à Mykonos, il désirait mieux connaître Papadopoulos et, après avoir trouvé un vol charter à un prix bas, il est parti pour deux jours séjourner sur l’île grecque.
Selon Tawil, il n’aura rencontré Mangiante qu’à une seule occasion, lors d’une soirée passée avec le couple dans un pub bruyant.
Mangiante lui avait paru suspecte. Il avait pensé qu’elle était bien plus âgée que les 30 ans qu’elle affirmait avoir. Il avait douté qu’elle soit originaire de Naples, la ville d’Italie. Elle n’en avait pas l’accent – elle paraissait plutôt d’origine slave – et ses liens avec les personnalités politiques socialistes européennes en faisaient un choix hasardeux pour un supporter ardent de Trump tel que Papadopoulos.
Mangiante a affronté de nombreuses questions sur son identité et, dans une déclaration faite à ABC, elle a admis avoir révisé son âge à la baisse, passant de 37 à 34 ans. Elle a ajouté que son accent était souvent confondu avec l’accent russe mais qu’elle était véritablement italienne.
Dix mille dollars dans une chambre d’hôtel de Tel Aviv
Tawil explique que Papadopoulos n’avait pas de compte bancaire et qu’il voulait de l’argent en liquide et qu’ainsi, le 8 juin, il l’avait fait venir à Tel Aviv pour recevoir les 10 000 dollars. Papadopoulos l’aurait remboursé une fois qu’un accord de consultation prévu serait finalisé. Le fils de Tawil avait pris l’argent dans leur maison de Herzliya.
« J’ai des liquidités. Je travaille en Afrique, vous savez. J’ai besoin de liquide », dit Tawil, qui rit des accusations disant qu’il aurait emmené Papadopoulos dans « une chambre d’hôtel de Tel Aviv ». Cette « pièce étrange », dit-il, était simplement la chambre d’hôtel du Crowne Plaza au complexe Azrieli de Tel Aviv.
« J’ai une photo de lui et de mon fils se tenant par le bras le même jour où il y est allé ». Le cliché montre deux hommes souriants prenant la pose dans le salon d’un hôtel.
Dans la version des événements telle qu’elle est racontée par Papadopoulos, cette journée à Tel Aviv a aussi inclus une réunion d’affaires avec « d’ex-membres du renseignement israélien » préparant le terrain à une opération de manipulation sur les réseaux sociaux. Là encore, Tawil s’esclaffe devant cette description mystérieuse, et explique que les deux hommes ont rencontré les fondateurs arabes israéliens d’une nouvelle entreprise de marketing sur les réseaux sociaux, basée à Nazareth, et désireuse de travailler dans le monde arabe.
A Chypre, une lune de miel qui tourne à la lune de fiel
Le jour suivant, le 9 juin, Tawil et Papadopoulos se sont rendus à Chypre pour y sceller un accord sur un projet de consulting pour un ami de Tawil, au port de Limassol. Les trois hommes se sont entendus sur un arrangement qui pouvait assurer à Papadopoulos un revenu mensuel de 10 000 dollars.
Tawil explique que quelqu’un issu du Bureau du Premier ministre israélien a ensuite invité Papadopoulos à Thessalonique, en Grèce, où Benjamin Netanyahu arrivait pour prendre part à un sommet sur l’énergie et la sécurité avec les présidents grec et chypriote.
« Le jour où il m’a quitté, il était très sincère », ajoute Tawil qui montre une photo qui, dit-il, a été prise lors d’un petit déjeuner à Chypre. « Il m’a pris dans ses bras, il m’a embrassé et il m’a dit que je lui avais sauvé la vie. Que nous allions faire de grandes choses ensemble ».
Tawil précise qu’il s’est réveillé tôt pour emmener Papadopoulos à l’aéroport, même si son propre avion partait quelques heures plus tard. Quand Papadopoulos a offert de prendre un taxi, « J’ai dit : Mais non, allez : Tu es comme mon fils. Je t’emmène à l’aéroport ».
C’était le 14 juin. La note figurant dans le calendrier de Tawil, le 15 juin, dit : « Crise avec George ».
« Quelque chose s’est passé à Athènes », dit Tawil. Papadopoulos a envoyé un courriel à leur client de Chypre, réclamant un arrangement financier plus concret – un courriel que Tawil qualifie de dur et d’agressif, ajoutant qu’il a mené à l’annulation du projet.
Ne me contactez plus jamais ?
Papadopoulos insiste sur le fait qu’après avoir quitté Israël, il a demandé à Charles Tawil de reprendre l’argent et de ne plus jamais tenter de le contacter. Selon Tawil, c’est le contraire : Il n’a jamais reçu un tel message et Papadopoulos » se désespérait de travailler avec moi ».
Il ne s’agit pas seulement de leur voyage qui avait suivi la transaction en liquidités, à Chypre. Dans un courriel que Tawil a partagé avec le Times of Israel, en date du 3 juillet 2017 – trois semaines après supposément rompu tout lien – Papadopoulos a cherché à organiser une réunion pour Tawil et pour lui-même avec Nagi Idris et Peter Dovey, directeurs du LCILP, le Centre de Londres pour la pratique du droit international. Papadopoulos avait travaillé pour le centre, une compagnie qui indique fournir « une formation spécialisée, une assistance technique et des conseils aux ministères gouvernementaux, aux ambassades, etc… » et qui avait employé Papadopoulos et le professeur maltais Joseph Mifsud, au coeur de l’enquête sur la Russie.
Dans le courriel, Papadopoulos se réfère à Tawil comme à son « partenaire commercial actuel » et explique que les accords de Trump avec l’Arabie saoudite sont une mine d’or potentielle.
« Comme vous le savez, l’administration Trump a signé un accord d’armement de 350 milliards de dollars avec les Saoudiens et il y aura un grand nombre d’initiatives supplémentaires entreprises dans le secteur privé, dans les domaines de l’énergie et du tourisme. Au vu de la synergie qui existe entre nos contacts variés en Arabie saoudite et à Washington, il nous incombe de débattre de la manière dont nous pourrions être impliqués ».
Papadopoulos, que nous avons contacté pour d’éventuels commentaires sur les propos tenus par Tawil dans cet article – et notamment sur le fait qu’il avait maintenu le partenariat d’affaires après avoir reçu les 10 000 dollars en liquide – a expliqué au Times of Israel que le sujet était « hautement sensible ».
« Tout ce que je peux dire, c’est que Tawil a été notifié – peu de temps après que je l’ai quitté et quand j’ai commencé à réaliser que les 10 000 dollars ne concernaient aucun travail légitime – de venir reprendre son argent et de ne plus jamais entrer en contact avec moi », a écrit Papadopoulos.
« L’Etat profond » qui n’en est pas un
Tawil est à la fois amusé et irrité de se trouver ainsi mêlé dans le tourbillon des récits complotistes de Papadopoulos-Mangiante. Il tourne en dérision leurs affirmations qu’il ait été acteur dans une sorte de traquenard de « l’Etat profond ».
« En premier lieu, je soutiens Trump – alors pourquoi aurais-je piégé un type pro-Trump ? », interroge-t-il. « J’apprécie le fait que Trump soit aujourd’hui le président. Je voulais qu’il le devienne. J’ai beaucoup travaillé en Afrique et j’ai constaté les dégâts que Clinton et Obama ont fait dans le monde. Trump est peut-être excentrique mais au moins, il est droit ».
Tawil trouve comique l’allégation de Papadopoulos selon laquelle l’argent aurait été marqué et devrait être examiné pour découvrir la personne à l’origine de l’opération menée contre lui. Et de toute façon, demande-t-il, de quelle manière donner de l’argent à quelqu’un est un piège ? « On est autorisé à entrer avec un million de dollars aux Etats-Unis. Il faut seulement les déclarer ».
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