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Faute de rituel juif pour un enfant mort-né, un couple s’invente le sien

À la mort de leur fils, à 26 semaines d’une grossesse très désirée, Ilan et Sherri Glazer n'ont trouvé aucune cérémonie pour l’occasion ; ils sortent un album inspiré de leur expérience

Le rabbin Ilan Glazer (à la batterie) et son groupe, avec son épouse Sherri au chant, se produisant lors de la sortie de l'album "Gam Ki Elech", le 14 janvier 2024. (Crédit : Maranda Kosten via Ilan Glazer/via JTA)
Le rabbin Ilan Glazer (à la batterie) et son groupe, avec son épouse Sherri au chant, se produisant lors de la sortie de l'album "Gam Ki Elech", le 14 janvier 2024. (Crédit : Maranda Kosten via Ilan Glazer/via JTA)

JTA – Le 29 novembre 2021, Ilan et Sherri Glazer étaient heureux d’annoncer la grossesse de Sherri après trois cycles de fécondation in vitro (FIV).

Le lendemain, jour de l’échographie des 20 semaines, ils apprenaient que le cerveau de leur bébé ne se formait pas correctement. Plusieurs scanners et rendez-vous médicaux plus tard, on leur confirmait que leur bébé tant attendu n’était pas viable et le couple prenait la décision difficile de mettre fin à la grossesse après 26 semaines.

Ils ont nommé le bébé Shemaryah, ce qui signifie « Dieu veille sur lui ». Le nom vient du Psaume 121, que le couple chantait chaque soir pendant la grossesse avant d’aller se coucher. Ils ont continué à le chanter après l’échographie des 20 semaines, et l’ont chanté encore aux funérailles de Shemaryah.

Deux ans plus tard, Ilan Glazer, qui est à la fois rabbin et musicien, sort un album inspiré de l’expérience de sa famille, avec des paroles tirées de la liturgie juive, des poèmes et des psaumes. Les mélodies lui sont venues lors du processus de FIV et les paroles, au moment où Sherri et lui ont perdu leur fils.

Ilan espère que cet album, « Gam Ki Elech : Turning Our Sorrows Into Songs », apportera un peu de réconfort à ceux qui, comme eux, ont fait face à une certaine rareté dans la liturgie, la loi ou la coutume juives au regard de la mort précoce d’un enfant.

Glazer confie avoir été particulièrement choqué que la société funéraire juive locale refuse de laver le corps de Shemaryah – un rituel connu sous le nom de tahara – parce qu’il avait moins de 30 jours. La loi juive, halakha, n’impose aucune pratique traditionnelle de deuil ou d’inhumation pour un bébé qui a vécu moins de 30 jours.

Aidés par des amis, les Glazer ont passé le Shabbat après la naissance de leur bébé mort-né à préparer rituellement le corps de Shemaryah pour l’inhumation.

« La pire chose que vous puissiez dire à une famille juste après le décès d’un être cher est : ‘Nous n’allons pas vous aider’ », confie Ilan. « Ça nous a beaucoup choqués. »

Il ajoute : « Le chagrin autour de la perte d’un enfant n’est pas très évoqué au sein de la communauté juive. »

« La difficulté, dans le cas des naissances d’enfants morts-nés, », explique la rabbin Idit Solomon, présidente de Hasidah, organisation qui aide financièrement et psychologiquement les familles juives en cours de FIV, est que « nous avons évolué, émotionnellement et socialement, mais que la communauté juive et la théologie n’ont pas atteint le même degré de maturité ».

Historiens et anthropologues expliquent par la compassion – et des considérations pragmatiques – une tradition qui ne fait pas de place aux enfants morts-nés ou aux fausses couches dans les rituels très codifiés qui entourent la mort d’un enfant plus âgé ou d’un adulte.

« Jusqu’au XXe siècle, les taux de mortalité infantile étaient très élevés », explique Michal Raucher, professeure agrégée d’études juives à l’Université Rutgers. « Si les rituels de deuil applicables aux enfants ou aux adultes avaient également valu pour les fausses couches ou les enfants morts-nés, les gens auraient constamment été en deuil. »

La baisse de la mortalité infantile et les progrès enregistrés en néonatologie amènent les familles à vouloir de nouveaux rituels. Tout en admettant que le Kaddish pour un bébé mort-né était rare, Raucher explique avoir vu apparaître, ces dernières années, des communautés informelles, parfois en ligne, pour mettre en relation ceux qui ont perdu un enfant mort-né ou ont été victimes de fausses couches. Les membres de la communauté ont tendance à apporter de quoi manger aux familles qui ont vécu une fausse couche tardive ou perdu un enfant mort-né, ce qui reproduit « la façon dont la communauté juive témoigne de son soutien aux personnes frappées par un deuil », explique Raucher.

En 1998, un « rituel de deuil suite à une fausse couche ou à la naissance d’un enfant mort-né» a été inclus dans « Cycles de vie », une compilation de nouveaux rituels juifs créés par et pour les femmes juives. Dans son étude de 2007 « Inventing Jewish Rituals », la spécialiste de la religion Vanessa Ochs a écrit que de nouveaux rites s’étaient développés depuis les années 1970 autour de la fausse couche, de la naissance d’enfants morts-nés, de l’infertilité et de l’avortement « événements liés à des expériences corporelles féminines qui, jusqu’alors, ne donnaient pas lieu à une réponse juive formelle ».

Lorsque les Glazer ont parlé à leur rabbin, ils ont pu évoquer le sujet depuis la chaire de la synagogue, rappelant comment les mères, dans les premiers récits de la Genèse, géraient leurs problèmes relatifs à la conception, rappelle Sherri Glazer.

Mais, dit-elle, « le fait que ces femmes des récits bibliques – qui parlent de femmes en difficultés -finissent par avoir des enfants n’aide pas vraiment ».

« La communauté juive peut certainement faire mieux », estime-t-elle. « Je pense que c’est la raison pour laquelle nous parlons. C’est notre expérience. C’est ce que nous sommes. »

En plus du choix d’un rituel de deuil, Sherri Glazer a créé une mosaïque dont le design lui est apparu dans une sorte de vision.

« J’ai représenté ce que je voyais dans mes rêves, Shemaryah dans les nuages, en train de jouer au ballon, déjà un peu plus grand », confie-t-elle à la JTA. « Cette image m’a longtemps poursuivie. Elle m’est venue plus d’une fois. »

Lors du premier yahrzeit de Shemaryah – l’anniversaire de sa mort -, elle a accroché la mosaïque derrière les bougies du Shabbat de la famille. Le commandement du Shabbat de « garder » et de « se souvenir » – v’zachor – le rôle des bougies du Shabbat – partage une racine avec le nom de Shemaryah.

Le vendredi soir, les Glazer disent la bénédiction pour que les enfants pensent à Shemaryah, même s’il n’est pas là.

« Il fait partie intégrante de notre vie rituelle », explique Sherri.

Faire publiquement état de leur deuil, disent les deux parents, a été crucial et a clairement fait comprendre aux membres de leur communauté qu’ils en parleraient – d’autant plus qu’une grande partie de la vie communautaire juive est basée sur l’éducation des enfants.

Suite à l’annonce du décès de leur fils, les Glazer ont été contactés par d’autres couples juifs qui leur ont dit avoir subi une fausse couche, l’accouchement d’un enfant mort-né ou une interruption de grossesse, et ils ont créé un groupe Facebook pour cette communauté.

« Nous avons décidé cela, pas entièrement à des fins égoïstes, mais nous avions besoin d’entendre d’autres couples parler de la façon dont ils l’avaient vécu, parce qu’il y avait si peu d’informations sur la question », se rappelle Ilan Glazer. « Évidemment, chaque histoire est différente, mais l’idée est de savoir comment on gère ça ? Comment on parle de la mort d’un enfant à un autre enfant ? Comment on marque l’anniversaire d’un décès ? Il y a des choses que seuls ceux qui ont vécu cette épreuve connaissent. Cela nous a beaucoup aidés d’avoir cette communauté ».

En plus du groupe Facebook et de leur communauté de la synagogue, les Glazer espèrent avoir d’autres opportunités de parler avec la famille après un deuil. Sherri, qui est à nouveau enceinte, devait accoucher en mars. (Le couple a choisi le don d’embryon après avoir appris qu’Ilan avait une version légère du syndrome à l’origine de la malformation de Shemaryah et qu’il pourrait donc le transmettre à un autre enfant).

« Il est encore plus difficile de planifier un nouveau bébé après une épreuve comme celle-ci. Jusqu’à ce que ce bébé soit réellement dans nos bras, il nous est difficile de nous projeter », confie Sherri. « Il est clair pour nous deux que nous voulons qu’ils connaissent Shemaryah et que Shemaryah sera son grand frère. »

Comme pour les FIV et Shemaryah, la musique et le rituel juif ont joué un grand rôle dans cette grossesse.

Sherri et Ilan sont allés au mikveh, ou bain rituel, avant le transfert d’embryons, et pour l’inspiration juive, ils ont consulté un guide de fertilité de Mayyim Hayyim, un mikveh et un centre de spiritualité de Boston. C’est là que Sherri a trouvé un couplet en anglais qui lui a plu.

Ce morceau ne figure pas sur l’album de 13 titres, ce qui n’a pas empêché Ilan de l’interpréter à la fin du spectacle donne pour la sortie de l’album, il y a deux semaines à Beth Am Baltimore, la synagogue conservatrice dont Sherri et lui sont membres.

« Je veux que cela nous aide à guérir », conclut Ilan, qui est également conseiller en matière de lutte contre les dépendances. « Chaque fois que je partage ces mélodies avec d’autres, les gens me disent que cela les aide à lutter contre leur chagrin, un chagrin qu’ils portent, dans certains cas, depuis de nombreuses années. J’en suis très et fier. »

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