GB: Le débat sur la loyauté lancé depuis longtemps par l’antisémitisme de gauche
L'explosion de rhétorique antijuive au Labour, autrefois le foyer naturel de la communauté britannique, interroge : Le soutien au parti est-il aujourd'hui une forme de trahison ?
JTA — Aux Etats-Unis, un grand nombre de personnes ont eu le sentiment qu’une limite avait été franchie lorsque le président américain Donald Trump a estimé que les Juifs votant pour les Démocrates faisaient preuve de « déloyauté » en raison de la rhétorique antisémite et anti-israélienne de certains des membres du parti d’opposition.
Ses propos tenus mardi et mercredi ont entraîné une avalanche de condamnations de la part des organisations juives. Un grand-nombre d’entre elles ont expliqué que Trump avait fait appel au trope antisémite ancien sur la double allégeance.
Certains critiques ont été tout particulièrement révoltés lorsque le président a clairement établi que les Juifs qui votaient pour les Démocrates étaient « déloyaux envers les Juifs et « déloyaux envers Israël » – comme s’il pouvait lui-même déterminer quel serait un « bon » vote des Juifs.
Mais pour les Juifs au Royaume-Uni, cette discussion n’est pas une nouveauté. Là-bas, la croissance de l’antisémitisme au sein du parti travailliste de gauche a entraîné depuis des années des débats : les Juifs qui soutiennent le Labour se trahissent-ils eux-mêmes et trahissent-ils leur communauté ?
Sans aucun doute, il ne serait pas juste de faire l’équivalence entre l’explosion de la haine antijuive au sein du parti travailliste de Jeremy Corbyn et la façon dont elle se manifesterait dans le parti démocrate américain.
Trump et d’autres républicains se sont focalisés sur deux nouvelles représentantes démocrates de la Chambre, Ilhan Omar du Minnesota et Rashida Tlaib du Michigan, qui soutiennent le mouvement de boycott d’Israël et qui ont été accusées d’employer des tropes antisémites.
Malgré cela, la Chambre, où les démocrates sont majoritaires, a adopté des résolutions dénonçant les rhétoriques antisémites similaires à celles d’Omar et rejetant le boycott.
De son côté, Corbyn, politicien d’extrême-gauche élu à la tête du parti travailliste en 2015, est lui-même accusé de promouvoir la haine antijuive – ce qu’il dément.
Un groupe de veille britannique, dans un dossier numérique d’environ 15 000 pages, a répertorié les positionnements antisémites adoptés par des centaines de membres et responsables du Labour.
Pour de nombreux critiques, Corbyn a institué une attitude de laissez-faire en termes de rhétorique anti-israélienne débordant sur l’antisémitisme classique. De nombreux députés, outrés, ont fini par quitter la formation.
Les leaders de la communauté juive britannique, et notamment l’ancien grand-rabbin Jonathan Sacks, ont estimé que l’arrivée de Corbyn au pouvoir pourrait représenter une « menace existentielle ». Dans un récent sondage, 85 % des Juifs britanniques interrogés ont déclaré que Corbyn était antisémite.
En contraste, plus de 75 % des Juifs américains ont voté pour les démocrates lors des élections de 2018. Malgré l’émergence, dans ses franges marginales, d’une rhétorique anti-israélienne – et antisémite pour certains – la vaste majorité des parlementaires démocrates à la Chambre et au Sénat soutiennent l’Etat juif avec force, même s’ils sont plus enclins que leurs homologues républicains à être en désaccord avec le gouvernement actuel.
Et pourtant, les Juifs britanniques comprennent plus que les autres que l’essor de l’antisémitisme, à la gauche de l’échiquier politique, est un « problème » et que les Juifs américains « ne doivent pas montrer de complaisance à cet égard », selon David Hirsh, maître de conférences à Goldsmiths, à l’université de Londres, et spécialiste de l’antisémitisme de gauche.
Corbyn, depuis des années, avait été un cas particulier parmi les députés de base au sein du Labour, note-t-il.
Lorsqu’il avait accueilli des responsables du Hamas et du Hezbollah au parlement, en 2009, les appelant ses « amis », par exemple, il avait été considéré comme un radical bien établi nourrissant des points de vue tellement extrémistes qu’ils ne pourraient jamais gagner en influence au sein du parti – qui était alors le foyer politique naturel de la majorité des Juifs britanniques.
Quand Corbyn avait défendu une fresque antisémite de Londres, en 2013, les médias britanniques avaient été tellement indifférents face à ce qui avait été considéré par de nombreuses personnes comme une déclaration expression provocatrice venant d’un marginal qu’ils avaient à peine évoqué le sujet.
Mais Corbyn a depuis fait de ce point de vue la politique du parti après avoir été élu à sa tête grâce à une combinaison de facteurs – discours séparatiste sur la mondialisation ou relation du Royaume-Uni avec l’Europe.
« Au Labour, Corbyn n’avait pas de responsabilité et c’est là l’analogie », ajoute Hirsh, se référant au profil plus modeste des députées Omar et Tlaib, qui ont été élues pour la toute première fois. « Ce qu’il faut noter, c’est que ce phénomène est apparu en marge mais que nous ne devons pas lui permettre de dominer. »
La banalisation de la rhétorique antisémite dans les rangs du parti travailliste a fait naître un débat au sein de la communauté juive et ailleurs : est-il aujourd’hui éthique, sensible et -oui – loyal que des Juifs continuent à apporter leur soutien au mouvement ?
Le ministre du cabinet conservateur Sajid Javid avait mis en colère certains Juifs lorsque, lors d’une célébration, l’année dernière, de Rosh Hashanah, il avait dit qu’alors que les Juifs se sentaient menacés par Corbyn, « tous les esprits honnêtes » devaient « se rassembler et célébrer notre communauté juive ». Pour les critiques, l’implication en était que les Juifs soutenant le Labour faisaient preuve de malhonnêteté.
D’autres s’étaient montrés plus explicites. Fred Dalah, homme d’affaires de 64 ans originaire d’Edgware, dans le nord de Londres, avait écrit en 2018 dans le Jewish News de Londres que « les Juifs qui votent pour le Labour sont des agneaux allant à l’abattoir ».
En plus de Sacks, le président de l’organisation Board of Deputies des Juifs britanniques et trois des plus importants journaux britanniques avaient qualifié Corbyn de « menace existentielle » pour la communauté juive.
Ces mises en garde avaient été faites pour tirer la sonnette d’alarme et empêcher Corbyn de devenir Premier ministre. Mais elles avaient également encouragé les Juifs et non-Juifs britanniques à qualifier de traîtres les soutiens de Corbyn issus de la communauté.
Et, en même temps, aujourd’hui, les partisans de Corbyn continuent à dire que ces avertissements lancés à voix haute sont une tentative politique visant à faire de l’antisémitisme une arme et à saboter les chances d’un politicien de gauche.
Tout cela équivaut dorénavant, au Royaume-Uni, à créer « une situation où il y a de bons Juifs, de mauvais Juifs, de bons antisémites et de mauvais antisémites », avait analysé Dave Rich, chef de la politique au Community Security Trust et auteur d’un livre écrit en 2016 : « Le problème Juif de la gauche : Jeremy Corbyn, Israël et l’antisémitisme », au cours d’un discours prononcé en 2018.
« Je ne pense pas que cela va véritablement fonctionner », avait-il prédit.