Gonen Segev en savait sûrement peu – mais quel coup réalisé par l’Iran
Le recrutement d'un ancien membre du cabinet a été une victoire majeure pour l'ennemi juré d'Israël, selon un ex-conseiller à la sécurité nationale
Judah Ari Gross est le correspondant du Times of Israël pour les sujets religieux et les affaires de la Diaspora.

L’annonce du Shin Bet qui aura fait l’effet d’une bombe lundi – selon laquelle l’ancien ministre déchu Gonen Segev était sous le coup d’une inculpation pour avoir mené des missions d’espionnage en faveur de l’Iran au cours des six dernières années – n’a eu aucun précédent dans l’histoire israélienne.
Au fil des années, des officiers de l’armée israélienne, des agents du Mossad, des scientifiques éminents et même un ancien membre de la Knesset ont été soupçonnés ou condamnés pour avoir fourni des renseignements à l’ennemi juré de l’Etat juif, l’Iran, ou à ses groupes mandataires, certains heurtant probablement davantage la sécurité nationale Israélienne que n’importe quelle information qui aura été supposément transmise par Segev. Mais jamais auparavant, un responsable israélien d’un tel niveau n’avait été accusé de travailler pour l’ennemi.
« C’est l’une des pires affaires d’espionnage de l’histoire israélienne », a estimé lundi Chuck Freilich, ancien chef-adjoint du Conseil national de sécurité.
Segev a nié devant les enquêteurs avoir travaillé pour des raisons idéologiques ou financières et il a indiqué avoir plutôt tenté de tenir un rôle d’agent double et d’espionner les Iraniens. Ce qui n’a pas convaincu le Shin Bet, ont fait savoir lundi dans la soirée les médias en hébreu.
Qui aurait pensé poursuivre un ancien ministre du cabinet ?
De nombreux aspects du dossier relèvent encore d’une ordonnance de non-publication, et notamment le type spécifique d’information fournie par Segev à ses contacts iraniens. « Nous ne pouvons donner de détails sur les informations en question, nous pouvons seulement dire que des informations ont été transmises », a annoncé le Shin Bet.
Sans cela, il est difficile de dire avec certitude le préjudice causé par les renseignements que Segev peut avoir livrés, même s’ils sont probablement en nombre limité au vu du temps qui s’était écoulé depuis qu’il avait quitté son poste au gouvernement.
Le rôle de Segev en tant que ministre de l’Energie et des infrastructures, depuis le début de l’année 1995 jusqu’au milieu de l’année 1996, lui aura donné une connaissance profonde des réseaux énergétiques israéliens et autres projets nationaux, notamment sur les raffineries de pétrole – mais pas sur le centre de recherche israélien de Dimona, placé sous le contrôle du bureau du Premier ministre.
Les informations auxquelles Segev avait accès auraient été précieuses, par exemple, si l’Iran avait prévu de mener des cyber-attaques contre des infrastructures israéliennes. Toutefois, dans la mesure où 20 ans s’étaient écoulés depuis qu’il avait quitté ses fonctions, une grande partie des informations étaient probablement périmées et donc moins utiles.

« Je présume que très peu d’informations étaient encore pertinentes », a expliqué Freilich lors d’un entretien téléphonique.
L’ancien conseiller national adjoint à la sécurité a précisé que Segev n’avait probablement pas accès à des informations spécifiques sur les infrastructures actuelles ou sur des questions relatives à la sécurité nationale, mais qu’il peut avoir donné aux renseignements iraniens des détails sur des « méthodes et approches » plus spécifiques en Israël – comment fonctionnent les services de sécurité et le gouvernement.
Selon les charges retenues contre lui, Segev est également soupçonné d’avoir mis en relation ses contacts, qu’il a présentés comme des hommes d’affaires, avec des responsables israéliens, à l’insu de ces derniers – auprès desquels les Iraniens ont pu glaner davantage de renseignements actualisés.
Mais plus que les informations en elles-mêmes que l’Iran a pu obtenir de Segev, c’est le simple fait que l’ennemi juré d’Israël ait pu recruter un ancien ministre du cabinet qui est, en soi, une victoire majeure pour les services d’espionnage de la république islamique.
« C’est un très gros coup pour les Iraniens », a estimé Freilich.

L’ancien conseiller-adjoint à la sécurité nationale a également noté que le moment choisi pour cette annonce diminue légèrement la victoire récente obtenue par les renseignements israéliens face à Téhéran – l’opération sidérante du Mossad qui est parvenu à sortir des milliers de documents iraniens du pays pour les ramener en Israël, et qui a été annoncée au monde un mois avant l’arrestation de Segev.
« Cela vient contrecarrer notre réussite », explique Freilich.
Et en effet, les médias d’information affiliés à l’Iran et à ses mandataires ont rapidement fait part de leur exultation face au dossier.
« Les actions de Segev ont été bien plus dangereuses que celles de Mordechai Vanunu » – qui avait révélé des informations classifiées sur le programme nucléaire secret d’Israël – « [Segev] a pris part à des réunions du gouvernement et c’est un succès immense pour l’Iran », a ainsi écrit le site al-Mayadeen, lié au Hezbollah, citant des sources israéliennes non-identifiées.
Les Iraniens, sur les réseaux sociaux, ont également commencé à ridiculiser Israël avec le hashtag #FreeGonenSegev.
Hey @netanyahu. Let's play a game.
1 in 5 israel ministers is an Iran agent.
Try and find them.
Good luck! You have 48 hours.
And to show you we are serious.
You have 24 hours. #FreeGonenSegev https://t.co/K0mv9rk9OH— ????????محق???????? (@Moheqqq) June 18, 2018
Non seulement le recrutement présumé de Segev a pu apparaître comme une victoire pour l’Iran, mais il a pu aussi être considéré comme une défaite pour les services israéliens de sécurité qui ont échoué à l’empêcher ou à le découvrir plus rapidement – même si cette défaite peut être finalement atténuée par le fait que Segev a été finalement arrêté.
« C’est à la fois un échec horrible pour [le Shin Bet] que ce soit arrivé, mais c’est également un très beau coup d’avoir réussi à le coincer », a estimé Freilich.
« Qui aurait pensé poursuivre un ancien ministre du cabinet ?, » s’est-il interrogé.

Segev, après des études de médecine, avait été élu à la Knesset en 1992 à l’âge de 35 ans, sous l’étiquette du parti Tzomet de Raful Eitan, dorénavant disparu.
Il avait quitté la formation en 1994 et établi la faction Yiud de courte durée avec deux autres députés de Tzomet. Son vote avait été déterminant dans l’adoption des accords d’Oslo II à la Knesset, à un moment où il était ministre du gouvernement.
De 1995 à 1996, sous les anciens Premier ministres Yitzhak Rabin et Shimon Peres, Segev avait dirigé le ministère de l’Energie et des infrastructures (connu dorénavant sous le nom de ministère des infrastructures, de l’énergie et de l’eau) avant de quitter la politique lorsqu’il avait perdu son siège lors des élections de 1996.
Selon le Shin Bet, Segev a eu un premier contact avec les responsables iraniens en 2012, les rencontrant au sein de l’ambassade de la république islamique au Nigéria, où il vivait depuis qu’il avait quitté l’Etat juif après un passage en prison pour avoir tenté de faire entrer de l’esctasy en Israël depuis les Pays-Bas.

En plus de ses rencontres au Nigéria, Segev est également soupçonné de s’être rendu deux fois en Iran et de s’être entretenu avec ses contacts dans des hôtels et dans des habitations sécurisées dans le monde entier.
Selon le Shin Bet, l’ancien ministre s’est prêté au jeu « en toute connaissance de cause et sachant qu’ils étaient des agents du renseignement iranien ».
Vendredi, il a été inculpé par un tribunal de Jérusalem pour aide avec l’ennemi en temps de guerre, espionnage et un certain nombre d’autres crimes reliés à son activité, mais le dossier est resté sous-ordonnance de non-publication jusqu’à lundi.
Dans un communiqué, les avocats de Segev ont estimé que l’acte d’inculpation global dépeignait « une image très différente » de celle esquissée par les parties dont la publication a été autorisée.
Segev serait détenu dans une structure du Shin Bet mais il devrait être conduit dans une autre prison à la fin de la semaine.