Grâce au nouveau musée de la Shoah à Thessalonique, la ville accepte enfin son histoire juive
Autrefois appelée Fleur des Blakans, la ville grecque entame la construction d'un mémorial 74 après que les nazis ont décimé une immense communauté juive sépharade

Quand le Premier ministre Benjamin Netanyahu et les enfants d’un juif grec, survivant de la Shoah ont récemment dévoilé une plaque, pour le mémorial de la Shoah qui sera établi à Thessalonique, ils ont marqué le début d’un nouveau chapitre pour la célèbre communauté juive, quasi-décimée.
Ce n’est que maintenant, près de 70 ans après que le premier convoi de juifs a pris la route vers Auschwitz, que l’idée d’un mémorial devient réalité, un signe que Thessalonique, ou Salonique, comme on l’appelait, est enfin prête à affronter son histoire juive et l’immense tragédie qu’elle a subie.
Lors de ce lever de rideau, Netanyahu a été accompagné de Rachel et Eliyahu, les deux enfants de Moshé Ha-Elion, un juif grec, survivant de la Shoah, qui a allumé cette année un flambeau lors de Yom HaShoah en Israël, mais qui était trop faible pour faire le voyage avec le Premier ministre.
« Je voudrais qu’ils se joignent à nous pour dévoiler cette plaque, qui sera dans le musée, pour commémorer ce qui s’est passé ici, pour deux raisons : commémoration et prévention », a déclaré Netanyahu, qui était alors en voyage dans la ville du nord de la Grèce pour rencontrer ses homologues grec et chypriote.
« Nous commémorons la perte de ces humains, nos frères juifs, mais nous nous investissons pour être sûrs que ces atrocités ne se reproduisent plus jamais », a déclaré Netanyahu.

Ceux qui constituent aujourd’hui la communauté – ils sont moins d’un millier – ont longtemps rêvé d’un mémorial pour ce qui était autrefois la grande communauté juive de Thessalonique, l’un des centres névralgiques du judaïsme sépharade durant les 450 ans qui ont suivi l’expulsion des Juifs d’Espagne. Connu sous le nom de Fleur des Balkans, c’était le cœur de la culture ladino de la région.
Maintenant, 74 ans après cette grande destruction, le mémorial devient enfin une réalité.
« Pendant 500 ans, des juifs vivaient ici, et l’histoire de Thessalonique est l’histoire des juifs », a déclaré David Saltiel, le président de la communauté, qui a été la force motrice à l’origine de ce musée et qui a travaillé infatigablement pour s’assurer que ni la minuscule communauté, ni la mémoire de son glorieux passé ne tombent dans l’oubli.
Au tournant du siècle dernier, près de 90 000 juifs vivant dans cette ville portuaire, très active dans l’Empire ottoman, et représentaient 60 % de la population.
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, confrontés à la pauvreté, aux tensions avec les Grecs qui ont pris le contrôle de la ville en 1912, et après un incendie ravageur qui a laissé 55 000 personnes sans abri en 1917, la communauté s’est réduite à seulement 55 000 membres.
Les nazis sont arrivés en avril 1941, mais ce n’est que deux ans après qu’ils ont commencé à mettre en œuvre la Solution Finale pour les juifs grecs.

Le 15 mars 1943, les nazis ont commencé à déporter les juifs de Thessalonique. Près de 4 000 personnes ont été embarquées sur des wagons à bestiaux et envoyées à Auschwitz-Birkenau, le camp de la mort en Pologne, alors occupée par les nazis. C’était le plus long voyage de tous les transports en train effectués durant la Shoah.
Dix-huit convois ont suivi. Au mois d’août, 49 000 personnes des 55 000 d’avant-guerre avaient été déportées. Moins de 2 000 ont survécu.
Les Allemands n’ont pas seulement détruit la population, ils ont également éradiqué son empreinte culturelle.
Après les déportations, les biens juifs ont été pillés et les synagogues détruites. Des bibliothèques en ladino d’une valeur inestimable ont été expédiées en Allemagne et les pierres tombales juives étaient recyclées en matériel de construction. L’Université Aristote a été construite sur un ancien cimetière.
Jusqu’à ce jour, c’est le Kremlin qui détient les archives de la communauté juive, malgré de nombreux efforts infructueux pour les récupérer.
https://youtu.be/4eAajYIagjo
Les rares personnes qui sont revenues dans leur ville après la guerre ont fait ce qu’elles pouvaient pour maintenir la communauté en vie, notamment en établissant une petite école juive et un musée, mais ils ont retrouvé une ville quasiment grecque, qui n’avait que très peu d’intérêt à se confronter aux atrocités du passé.
Cependant, ces dernières années, les choses ont commencé à changer. Saltiel attribue cette évolution à l’élection du maire Yannis Boutaris en 2011.
Boutaris est un homme d’affaires de 75 ans, un fumeur invétéré, peu conventionnel, avec un franc-parler légendaire et une boucle à l’oreille. Il a secoué Thessalonique depuis son élection. L’un de ses principaux chantiers a été de ressusciter l’histoire cosmopolite de Thessalonique, une ville importante pour les Juifs et pour les Turcs, en raison de son passé ottoman.

« C’est l’accomplissement d’une responsabilité historique pour Thessalonique », a déclaré Boutaris quand il a annoncé le projet du musée. « C’est le seul moyen de prendre pleinement conscience de ce que signifie le crime, et de la raison pour laquelle il ne doit plus jamais se produire. »
Boutaris a permis au musée de la Shoah de passer du rêve à la réalité, en accordant les permis, mais surtout le soutien politique pour l’immeuble de 6 étages, de 5 000 m² qui devrait être achevé d’ici 2020.
Le musée rendra hommage aux juifs qui ont été assassinés, et comportera également des expositions dédiées à la culture et à l’histoire de la communauté sépharade de la ville. Il racontera également l’histoire de la communauté juive romaniote, plus petite, qui vivait en Grèce pendant plus de 2 000 ans, a expliqué Saltiel.
Avec le soutien de Boutaris, les chemins de fer grecs ont fait don d’un terrain qui surplombe la gare d’où les juifs ont été déportés, et 22 milions d’euros ont été récoltés pour financer ce bâtiment. Le gouvernement allemand a donné 10 millions d’euros, et le reste a été offert par la fondation Niarchos, une organisation philanthropique grecque fondée par le magnat du transport Stavros Niarchos.
« À moins que vous n’ayez l’approbation des citoyens, vous ne pouvez pas construire un tel musée », a déclaré Saltiel, chef de la communauté au Times of Israel.
« La seule garantie que nous avons, c’est que le peuple de Thessalonique y croit et veut le faire. Le maire représente la ville, et nous sommes honorés qu’après 70 ans, ils veulent raconter l’histoire du peuple juif à Thessalonique, et honorer la ville », a-t-il ajouté.

Pour Boutaris, cette stratégie consistait à confronter deux défis de taille dans la Grèce d’aujourd’hui : la crise économique dévastatrice et la montée du parti néo-nazi Aube Dorée.
En intégrant le passé, il espère encourager le tourisme dans la ville et se confronter au racisme et à l’antisémitisme qui est omniprésent dans la société grecque.
En 2013, à l’occasion du 70e anniversaire de la déportation, Boutaris avait organisé et dirigé, avec la communauté juive, une marche publique vers la Place de la Liberté, où les Juifs avaient été initialement rassemblés, à l’ancienne gare. C’était la première grande apparition en public de la communauté juive depuis la fin de la guerre.

Il a également encouragé la construction d’un monument à l’Université Aristote, construire sur les vestiges d’un cimetière juif.
« Le maire Boutaris lutte pour ce musée, il sait que c’est quelque chose de nécessaire pour confronter le racisme », a déclaré Saltiel.
C’est pour cela que Saltiel et Boutaris ont décidé que ce nouveau projet ne serait pas seulement un musée de la Shoah et un musée de l’Histoire du judaïsme grec, mais qu’il servirait également de centre éducatif sur les droits de l’homme et sur la tolérance.
« Nous voulons enseigner aux enfants et aux éducateurs ce qui se passe quand la démocratie ne fonctionne pas et que le racisme et l’antisémitisme peuvent générer ces horreurs », a déclaré Saltiel. « C’est très important, maintenant que nous assistons à une montée de l’extrême-droite en Grèce et dans le monde. »
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