Haïfa: Du violet issu de boyaux d’escargots trouvé dans une usine datant de 3 000 ans
De nouvelles preuves, découvertes dans une usine de teinture phénicienne, suggèrent que le site a été conquis par des Israélites vers le milieu du IXe siècle avant notre ère
- Des exemple de fibres teintes avec la couleur pourpre des escargots de mer. (Crédit : Jonathan Gottlieb)
- Des morceaux des cuves en céramique utilisées pour contenir la teinture pourpre, découverts à Tel Shiqmona, portent encore des traces de la couleur. (Crédit : Golan Shalvi)
- Tel Shiqmona, dans le sud de Haïfa, le site d'une fabrique de teinture pourpre vieille de 3 000 ans. (Crédit : Michael Eisenberg)
- Les fouilles du site de Tel Shiqmona, à Haïfa, en 2023. (Crédit : Golan Shalvi)
- La carte du site de Tel Shiqmona montrant les zones où des traces de teinture violette ont été trouvées. (Crédit : Université de Haïfa)
- Des poteries phéniciennes reconstituées provenant de Tel Shiqmona. (Crédit : Université de Haïfa)
Les teintes écarlate, pourpre et saphir qui ornaient les rideaux et les robes du Saint Temple de Jérusalem provenaient probablement d’escargots de mer traités dans une usine de teinture vieille de 3 000 ans située dans l’actuelle Haïfa, ont récemment annoncé des archéologues après avoir découvert de nouvelles preuves sur le site de Tel Shiqmona.
Les nouvelles recherches suggèrent que les Israélites ont peut-être conquis l’usine des Phéniciens afin d’obtenir un meilleur accès à la teinture violette coûteuse et de créer de la richesse pour l’empire en expansion. Un article descriptif, « Entre Israël et la Phénicie : Centre de production de teinture pourpre fortifié en fer IIA-B à Tel Shiqmona« , a été publié au début du mois de juin dans le Journal of the Institute of Archaeology of Tel Aviv University.
Le colorant violet est créé à partir d’une glande présente dans trois types d’escargots de mer, communément appelés escargots de roche ou murex, que l’on trouve le long de la côte israélienne. Cette teinture est probablement à l’origine de l’argaman (violet) et du tchelet (bleu) dont il est question dans la Torah. La couleur est si forte qu’elle peut rester fixée pendant des milliers d’années, ce qui signifie que des fibres teintes il y a 3 000 ans conservent leur teinte vibrante.
En fonction de la durée d’exposition au soleil pendant le processus de production, la couleur de la teinture peut varier d’un vert bleuté brillant à un rouge violacé profond.
« Cette couleur violette ne s’estompe jamais et la technologie qui permet de teindre les fibres a probablement été inventée au Levant, bien que les gens l’attribuent généralement aux Phéniciens libanais », a déclaré la professeure Ayelet Gilboa de l’université de Haïfa, qui a dirigé l’étude avec le Dr. Golan Shalvi, chercheur à l’Institut Zinman d’archéologie de l’université de Haïfa.
Le violet est traditionnellement considéré comme la couleur de la royauté en raison du coût de la création de la teinture à partir de ces escargots de mer.
« Il était utilisé pour la parochet [le rideau de l’Arche Sainte dans le Temple], et l’élite portait des vêtements contenant des fibres violettes, notamment les grands prêtres, le roi et tous ceux qui avaient de l’argent », a expliqué Gilboa.
La teinture pourpre est souvent appelée « pourpre tyrienne », car on pense qu’elle est originaire de la ville côtière phénicienne de Tyr, dans le Liban d’aujourd’hui. Sa production était l’un des principaux moteurs économiques des Phéniciens. Tyr se trouve à environ 50 kilomètres au nord de Haïfa et à 80 kilomètres au sud de Beyrouth.

L’historien romain Vitruve s’est penché sur la couleur dans son opus 10 livres sur l’architecture publié vers 27 avant notre ère, soit environ 1 000 ans après que l’usine de Tel Shiqmona eut été mise en service.
Je parlerai maintenant du pourpre qui, plus que toutes les autres couleurs, produit un effet délicieux, non moins en raison de sa rareté que de son excellence. Elle est tirée du coquillage marin qui donne la teinture écarlate, et possède des qualités non moins extraordinaires que celles de tout autre corps. Elle ne possède pas dans tous les lieux où elle se trouve la même qualité de couleur, mais varie à cet égard selon la course du soleil.
Une usine détruite et reconstruite
La teinturerie est située à Tel Shiqmona, à l’extrémité sud de la côte de Haïfa. Les vestiges avaient jusqu’à présent déconcerté les archéologues. Tel Shiqmona a été peuplé pour la première fois à l’âge du bronze, vers 1 500 avant notre ère, mais il était assez petit par rapport aux autres peuplements de l’époque. Il était également situé loin des terres agricoles et à côté d’une zone de côte rocheuse qui n’était pas susceptible d’être utile au commerce maritime.
Le Dr. Yosef Elgavish a commencé à fouiller le site dans les années 1960 et 1970 et a découvert de grandes cuves en céramique teintées en violet ainsi qu’une grande quantité de poteries phéniciennes. Il avait émis l’hypothèse que le site ait joué un rôle dans la production de la teinture pourpre, mais n’avait pas approfondi la question de la quantité de production ni des personnes qui géraient le processus de teinture.
Des fouilles plus récentes menées au cours des cinq dernières années par les archéologues Gilboa et Shalvi – qui est également chercheur postdoctoral à l’université Ben Gurion – ont permis de trouver des preuves d’une implantation israélite qui les ont amenés à penser que le site avait été conquis par le royaume d’Israël vers le milieu du IXe siècle avant notre ère.

À l’époque où le roi biblique Achab est monté sur le trône, la teinturerie a été détruite et reconstruite. Les archéologues ont trouvé des poteries phéniciennes datant d’après la reconstruction, ce qui montre que les Phéniciens y vivaient probablement encore. Ils ont également découvert des murs fortifiés de style israélite, des sceaux israélites et des maisons de quatre pièces qui faisaient partie de l’architecture israélite de l’époque. Ces découvertes, combinées aux textes historiques et à la compréhension de la situation géopolitique de l’époque, les ont conduits à émettre l’hypothèse que le site était sous domination israélite, mais que les Phéniciens continuaient à s’occuper des travaux quotidiens.
« Il faut vraiment être une personne qui comprend la mer, et ce savoir est transmis de génération en génération, bien avant que les Israélites n’arrivent au pouvoir », a déclaré Shalvi. « Le peuple d’Israël est sur la terre, à l’intérieur, sur de hauts plateaux, pas dans le monde marin. »
La couleur de l’argent
« Cette couleur était l’une des plus coûteuses sur le plan commercial et créait beaucoup de richesse », a expliqué Shalvi. « C’est aussi une couleur qui a une signification historique et sacrée pour les Juifs. »

Il a noté que plusieurs récits historiques de cette période mentionnent la puissance militaire et économique du royaume d’Israël, mais ces fouilles illustrent concrètement comment le royaume a pu identifier une opportunité économique au fur et à mesure de son expansion vers le nord, et la monopoliser pour la production locale.
« Cela élargit notre compréhension du tableau d’un point de vue pratique et aide à expliquer comment les Israélites ont atteint ce niveau de puissance économique », a déclaré Shalvi.
« C’est le meilleur endroit de la côte israélienne avec le meilleur habitat pour les escargots qui produisent la teinture », a déclaré Gilboa. « Ici, la crête du Carmel se prolonge dans la mer, de sorte que la surface des rochers sous l’eau est assez élevée et qu’il est très facile d’accéder aux coquillages. »
Le véritable colorant violet argaman et sa variante bleue tchelet sont mentionnés des dizaines de fois dans la Torah et dans le Cylindre de Sennachérib (690 avant notre ère), entre autres textes.

Le véritable pourpre est associé à la royauté et à la prêtrise, ainsi qu’aux textiles utilisés dans le Tabernacle et le Temple. « Tu feras un rideau de séparation en laine bleue, pourpre et cramoisie, et en fin lin retors ; il sera fait par un maître tisserand, avec un motif de chérubins » (Exode 26:30-31).
En 2021, des chercheurs israéliens ont annoncé la découverte, près de l’extrémité méridionale d’Israël, de trois bouts de tissus colorés avec le colorant royal pourpre argaman, décrit dans la Bible, et les ont datés d’environ 1 000 ans avant notre ère, c’est-à-dire de l’époque du roi David. Ces fibres violettes sont actuellement le plus ancien exemple connu de teinture violette découvert en Israël, les découvertes de Tel Shiqmona datant de quelques siècles plus tard.

La teinture est créée à partir de trois types d’escargots de mer trouvés sur la côte israélienne : le murex épineux (Murex brandaris), le murex rayé (Murex trunculus) et le murex à bouche rouge (Murex haemastoma). « Le murex coloré est le plus abondant et représente la majorité du colorant », a déclaré Gilboa.
Une exposition spéciale au Musée des terres bibliques de Jérusalem en 2018, intitulée « Out of the Blue », présentait certaines des coquilles d’escargot murex rayés excavées sur le site de Tel Shiqmona. Les trous dans les coquilles montrent où la glande de l’escargot a été extraite, chacune ne produisant qu’une quantité minuscule de ce pigment rare et très convoité.

Chaque glande produit moins d’un gramme de teinture, de sorte que pour un seul kilogramme de teinture, des milliers, voire des dizaines de milliers d’escargots sont nécessaires. Certains experts de l’organisation Ptil Tchelet, qui produit des franges de talit – ou châle de prière – à partir du murex, estiment que la teinture valait jusqu’à 20 fois son poids en or.
« Cet endroit était très actif et très productif », a déclaré Gilboa. « Shiqmona est le seul endroit que nous connaissons où il ne s’agissait pas d’un village produisant de petites quantités de teinture, mais où le site entier était une usine. »

Il y avait peut-être une autre raison à l’absence de résidences dans la région, une raison que les habitants actuels de Haïfa ne connaissent que trop bien : la puanteur intolérable de l’usine.
« Les Phœniciens, en général, ont toujours surpassé toutes les nations, et par l’exportation de produits teints en pourpre, la pourpre tyrienne étant la plus estimée », avait écrit Strabon, géographe et historien grec, qui a vécu de 64 avant notre ère à 21 de notre ère. « Les coquillages dont elle est tirée sont pêchés près de la côte, et les Tyriens possèdent en grande abondance d’autres éléments nécessaires à la teinture. Le grand nombre de teintureries rend la ville désagréable comme lieu de résidence, mais l’habileté supérieure de ses habitants dans la pratique de cet art est la source de sa richesse. »
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