Incident diplomatique à Jérusalem, le ministre français des Affaires étrangères renonce à visiter une église
Suite à un incident entre policiers israéliens et gardiens français sur un site appartenant à la France, Jean-Noël Barrot n'est pas entré dans le domaine d'Eléona, comme cela avait été prévu
La visite à Jérusalem du ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot a été marquée jeudi par un incident diplomatique quand la police israélienne est entrée « armée » et « sans autorisation », selon le ministre, sur un site appartenant à la France.
Selon une journaliste de l’AFP sur place, des policiers israéliens sont entrés dans l’enceinte du domaine national de l’Eléona, propriété de la France depuis le XIXe siècle située sur le mont des Oliviers à Jérusalem-Est.
Critiquant une « situation inacceptable », le ministre a finalement décidé de ne pas entrer sur ce site de pèlerinage.
« Je n’entrerai pas dans le domaine d’Eléona aujourd’hui, parce que les forces de sécurité israéliennes sont entrées avec des armes, sans autorisation préalable de la France, sans accepter de partir aujourd’hui », a déclaré Barrot sur les lieux.
« Cette atteinte à l’intégrité d’un domaine placé sous la responsabilité de la France est de nature à fragiliser les liens que j’étais pourtant venu cultiver avec Israël, dans un moment où nous avons tous besoin de faire progresser la région sur le chemin de la paix », a-t-il souligné.
« Intégrité »
Construit sur la grotte dite « du Pater », où le Christ, selon la tradition chrétienne, aurait enseigné le Notre Père (Pater noster, en latin) à ses disciples, il fait partie des quatre domaines nationaux français à et près de Jérusalem, avec le Tombeau des rois, la basilique Sainte-Anne et l’ancienne commanderie croisée d’Abou Gosh avec leurs églises romanes.
« Le domaine de l’Eléona (…) est un domaine qui non seulement appartient à la France depuis plus de 150 ans, mais dont la France assure la sécurité, l’entretien et avec énormément de soins », a affirmé le ministre.
L’Eléona, à côté duquel se trouve un couvent de carmélites également sous protection diplomatique française, « est un lieu saint », a expliqué à l’AFP le père Laurent, recteur de la basilique Sainte-Anne.
« Ici, en Israël, les lieux saints sont des lieux particulièrement protégés. On n’entre pas avec des armes. Par ailleurs, c’est un domaine français », a-t-il ajouté.
La France revendique ce sanctuaire du mont des Oliviers comme son territoire en vertu de traités internationaux.
L’ambassadeur israélien convoqué
L’ambassadeur d’Israël à Paris sera convoqué « dans les prochains jours » pour évoquer cet incident, a annoncé le ministère français des Affaires étrangères.
De son côté, la diplomatie israélienne a assuré que les questions de sécurité avaient été « clarifiées » à l’avance avec l’ambassade de France à Tel-Aviv.
La présence de personnels de sécurité israéliens avait pour « objectif de garantir (la) sécurité » de M. Barrot, a assuré le ministère israélien des Affaires étrangères dans un communiqué.
Une affirmation démentie par des sources diplomatiques françaises qui affirment qu' »à de nombreuses reprises en amont de la visite » il avait été indiqué « qu’aucune sécurité armée israélienne ne serait autorisée sur le site ».
Juste après le départ du ministre, un nouvel incident a impliqué des policiers israéliens en uniforme et deux gendarmes français en civil, a constaté la journaliste de l’AFP.
Lors d’un échange très tendu, les policiers israéliens ont empoigné l’un des gendarmes en le jetant au sol avant de l’emmener dans une voiture de police. Le gendarme, qui s’était identifié, a hurlé plusieurs fois « Ne me touche pas! », selon cette journaliste.
La police israélienne arrête 2 gendarmes français dans le domaine de l’Eleona, propriété française à Jérusalem-Est. Les gendarmes avaient demandé aux policiers de ne pas entrer dans ce lieu, avant la visite prévue du MAE @jnbarrot pic.twitter.com/597vz2Manv
— Sami Boukhelifa (@sambklf) November 7, 2024
Les deux gendarmes ont été ensuite relâchés, un responsable de la police expliquant qu’ils n’étaient pas en uniforme et qu’ils n’avaient pas montré leur carte diplomatique.
« Ils savent que nous travaillons au consulat général de France », lui a répondu l’un des deux agents du consulat en désignant les policiers qui l’avaient interpellé.
La police israélienne a affirmé dans un communiqué que « deux individus, au départ non identifiés » avaient « refusé l’entrée du site aux agents israéliens chargés de la sécurité du ministre ».
Les sources diplomatiques françaises ont quant à elles fustigé « les allégations mensongères diffusées par les autorités israéliennes ».
« Ces agissements sont inacceptables », a déploré un communiqué du Quai d’Orsay. « La France les condamne d’autant plus vigoureusement qu’ils surviennent alors qu’elle déploie tous les efforts possibles pour contribuer à la désescalade de la violence dans la région. »
Le ministère israélien des Affaires étrangères a, pour sa part, imputé la responsabilité aux deux diplomates français. « Tout ministre d’un pays étranger en visite officielle en Israël est accompagné par la sécurité de l’État, qui suit tous ses déplacements », a indiqué le ministère. La visite de Barrot à l’église était placée sous la protection de la sécurité israélienne, « conformément aux discussions préalables avec l’ambassade de France en Israël ».
« Au cours de la visite, une dispute a éclaté entre les forces de sécurité israéliennes et deux agents de sécurité français qui ont refusé de s’identifier », a précisé le ministère israélien des Affaires étrangères. « Les deux agents ont été arrêtés par la police et relâchés immédiatement après s’être identifiés comme diplomates. »
Le lieu avait déjà fait l’objet d’incidents diplomatiques par le passé.
L’évènement rappelle aussi d’autres faits : le 22 janvier 2020, la visite du président français Emmanuel Macron avait également été marquée par une bousculade devant la basilique Sainte-Anne. Le président avait lancé en anglais à un policier israélien : « I don’t like what you did in front of me » (« Je n’aime pas ce que vous avez fait devant moi »).
L’incident le plus connu reste celui de 1996, quand le président Jacques Chirac s’était aussi emporté contre des soldats israéliens qui l’encadraient de trop près en lançant : « Do you want me to go back to my plane ? » (« Voulez-vous que je remonte à bord de mon avion ? »), avant d’exiger que les militaires sortent du domaine de Sainte-Anne.
La gauche française furax
Les réactions politiques sont principalement venues de la gauche, même si quelques autres voix se sont manifestées.
Les députés LFI ont qualifié jeudi d’acte « d’intimidation inacceptable » l’incident diplomatique durant la visite à Jérusalem du ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot, Jean-Luc Mélenchon s’en prenant de son côté au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu.
« À Jérusalem, Netanyahu n’a rien à faire sur le territoire sous responsabilité de la France », a écrit sur X le leader de La France insoumise.
Ses troupes à l’Assemblée avaient réagi un peu plus tôt en dénonçant une « violation de la souveraineté française », appelant à ne pas « accepter les actes d’arrogance répétés du gouvernement » israélien « à l’égard de la France ».
Le patron du Parti communiste français Fabien Roussel a martelé que « la France ne peut se faire humilier ainsi ». « Quand on voit comment la police israélienne traite des gendarmes français, on comprend mieux comment elle traite les Palestiniens ! » a-t-il lancé sur X.
La députée Renaissance Brigitte Klinkert a notamment estimé sur X que le ministre avait « eu raison » de ne pas se rendre à l’Eléona. « Il est inconcevable que nos personnels diplomatiques soient ainsi arrêtés », a-t-elle écrit.
La commission des Affaires étrangères du Sénat et son président LR Cédric Perrin ont de leurs côté dénoncé dans un communiqué une « arrestation inacceptable », qui « alimente les tensions dans un contexte qui réclamerait pourtant l’apaisement et le dialogue ».
Un plan « crédible et responsable » pour l’après-guerre
Avant ces faits jeudi, le ministre des Affaires étrangères, Israel Katz, et le ministre des Affaires stratégiques, Ron Dermer, ont présenté à Jean-Noël Barrot, les exigences d’Israël dans les conflits actuels au Moyen-Orient, selon un communiqué de presse français.
Selon son bureau, Barrot a exprimé ses inquiétudes quant à la législation israélienne visant à réduire les activités de l’UNRWA dans la bande de Gaza. Il a également appelé à la mise en place d’un plan « crédible et responsable » pour l’après-guerre, qui inclurait le retour de l’Autorité palestinienne (AP) à Gaza.
Les deux parties se sont accordées sur la nécessité de procéder à des réformes au sein de l’AP, mais Barrot a souligné les risques sécuritaires inhérents à toute tentative de saper l’économie de l’AP, selon la France.
Les deux parties se sont également accordées, selon la France, sur la nécessité d’empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire et de continuer à déstabiliser la région.