Incroyable survivante de la Shoah, espionne et chanteuse de heavy metal à 97 ans
Au crépuscule d'une vie aventureuse et peu conventionnelle, Inge Ginsberg, née à Vienne, déclame ses poèmes "inspirés par le divin" - sur fond de heavy metal

Pousse-toi de là Joan Jett — la survivante de la Shoah Inge Ginsberg est la nouvelle égérie féminine du monde du heavy metal.
Cette Autrichienne de naissance a peut-être grandi au son de la valse viennoise, mais sa passion aujourd’hui, c’est le metal. Si ce genre rendu célèbre par les Black Sabbath, Def Leppard ou Metallica a attiré la nonagénaire, c’est simplement parce que : « Je ne sais pas chanter. Je suis incapable de tenir une note. Donc, le heavy metal me correspond parce que je dois juste dire les mots », confie-t-elle.
Recevant une équipe du The Times of Israël dans son appartement du centre de Tel Aviv, Inge Ginsberg semble se réjouir de l’attention qu’elle suscite en tant que chanteuse iconoclaste du groupe Inge & the TritoneKings.
Les quatre clips de son groupe disponibles en ligne ainsi que le mini-documentaire du New York Times s’intéressant à elle ont engrangé des centaines de milliers de vues sur YouTube. Le monde fait évidemment preuve d’une grande curiosité au sujet de cette grand-mère juive qui hurle en anglais et en allemand dans son micro, le tout habillée d’une robe de soirée et arborant un collier de perles.
Poétesse prolifique, Inge Ginsberg écrit elle-même toutes ses chansons. Même si elle peut puiser dans ses travaux existants (dont certains ont été publiés), elle produit toujours des contenus originaux pour chacune de ses sessions d’enregistrement. Elle se concentre sur des messages qu’elle estime importants, comme prendre soin de l’environnement et ne pas détruire la planète, rester fidèle à soi-même et propager l’amour plutôt que la haine.
« Ce qui est important dans le heavy metal, ce sont les textes. Il ne s’agit pas vraiment de poèmes, mais de messages, » assure-t-elle dans un anglais marqué par un accent d’Europe centrale.
D’où tire-t-elle son inspiration ?
« Rien ne m’inspire. Ça s’écrit tout seul. La poésie, ça ne se commande pas. Je dis toujours que j’entre en communication avec elle. L’univers me l’envoie et je l’écris. C’est tout, » a-t-elle expliqué.
L’incursion improbable de cette nonagénaire dans le heavy metal est le fruit d’une rencontre avec de jeunes musiciens, il y a quelques années à New York. Le nouveau groupe multi-générationnel a décidé de proposer un morceau pour participer au concours Eurovision de la chanson. Comme Ginsberg est de nationalité suisse, elle a décidé de participer à l’émission de télé-réalité suisse qui détermine l’entrée en Eurovision du pays. Vêtue d’une longue robe du soir rouge, elle a interprété « Trümmer » (Débris). Elle a impressionné les juges non seulement avec la chanson, mais aussi avec son histoire personnelle.
Ginsberg est née en 1922 et a grandi à Vienne dans une famille juive riche et assimilée. Quand on lui a demandé à quoi ressemblait sa vie de petite fille, elle s’est moquée : « Vous voulez que je me souvienne ? C’était il y a si longtemps ». Puis elle a commencé à raconter.
« Nous avons grandi dans un milieu très aisé. Nous avions des employés. Nous vivions en ville, et nous avions aussi une villa de week-end. Je suis allée dans un lycée normal. Nous allions à l’école de danse, où on nous formait à nous comporter comme avant la Première Guerre mondiale. Nous allions skier une semaine chaque année avec notre école », raconte Ginsberg.

Est-ce qu’elle ou ses parents ont vu venir l’Anschluss nazi et la Shoah ? « Personne ne pouvait croire que ça pouvait arriver », dit-elle.
Après l’annexion de l’Autriche par les nazis, sa famille a été séparée. Son père a quitté l’Europe à bord du Saint-Louis, le tristement célèbre navire qui a quitté Hambourg, en Allemagne, le 13 mai 1939, transportant plus de 900 Juifs fuyant la persécution nazie. Le navire s’est vu refuser l’autorisation d’accoster à Cuba, au Canada et aux États-Unis, et a été contraint de faire demi-tour et de revenir en Europe. Le père de Ginsberg a eu la chance de faire partie des réfugiés autorisés à débarquer au Royaume-Uni.
« Nous ne savions pas que mon père était en Angleterre parce que la guerre a commencé. Nous sommes restés sans nouvelles de lui pendant sept ans », a expliqué Mme Ginsberg.
Ginsberg, sa mère, son frère cadet et son fiancé (le compositeur musical Otto Kollman, qui deviendra le premier mari de Ginsberg), sont restés coincés à Vienne. Ginsberg a expliqué que la famille avait évité la déportation parce que son frère et Kollman avaient été chargés de travaux indispensables comme fossoyeurs.
En 1942, la mère de Ginsberg a pu contacter un ami de la famille, un comte qui, selon Ginsberg, était impliqué dans la contrebande. En échange de tous les bijoux de la mère de Ginsberg, il a fait entrer clandestinement la famille en Suisse, où elle a d’abord atterri dans un camp de réfugiés. Comme l’a raconté Ginsberg dans ses mémoires en langue allemande, elle a par la suite été chargée de gérer une villa créée par l’OSS américain [Office of Strategic Services – agence de renseignement du gouvernement des États-Unis] pour espionner les nazis et coordonner les opérations des groupes de résistants qui combattaient les Allemands.
La vie palpitante de Ginsberg ne s’arrête pas là.
Plusieurs années après la guerre, elle et Kollman ont déménagé aux États-Unis. Ils se sont installés à Los Angeles et ont travaillé à Hollywood. Ginsberg, qui a étudié le piano pendant de nombreuses années durant sa jeunesse, a travaillé avec son mari pour composer des chansons pour des stars de la pop comme Dean Martin, Doris Day et Nat King Cole, ainsi que pour des chanteurs européens.
Vers la fin des années 1950, Ginsberg en avait assez de la vie à Hollywood, qu’elle qualifiait dans le film du New York Times de « factice ». À un certain moment, elle quitte La-La Land, ainsi que Kollman, avec qui elle a eu sa fille unique.
Puis, elle a déménagé en Israël pendant 10 ans et s’est remariée. Un troisième mariage a eu lieu avec un homme avec qui elle vivait à Quito, en Équateur. Et à un moment donné, elle a également fait l’acquisition de deux maisons à New York, l’une dans la ville et l’autre dans le nord de l’État.
« J’ai été mariée trois fois légalement [à chaque fois à un juif d’origine autrichienne], et j’ai eu beaucoup de petits amis. A une époque, j’en avais quatre en même temps – un pour la vie, un pour rire, un pour m’amuser, et un qui était l’amant officiel. Je suis une personne très morale, mais j’ai mes propres lois morales. Je n’ai jamais fait de mal à personne. Je ne pense pas avoir causé de tort à qui que ce soit », a ajouté Mme Ginsberg.
« Vous n’avez pas besoin d’être gentil. Vous devez juste ne blesser personne. Si personne ne voulait faire de mal à personne, ce serait un monde merveilleux », a-t-elle ajouté.
Ginsberg a dit que ce qu’elle apprécie le plus, c’est la liberté, en particulier la possibilité de déterminer là où elle veut être et quand elle le veut. Bien que Ginsberg compte maintenant sur l’aide d’une assistante personnelle, elle voyage toujours entre ses maisons, passant quatre mois chaque hiver à Tel Aviv, où elle est bien intégrée socialement et culturellement. (L’hébreu n’est qu’une des sept langues qu’elle parle.)
« On dit souvent : ‘La liberté permet de ne rien rater’, mais ce n’est pas vrai. La liberté est vraiment là. Mais il faut être fort. Quand vous êtes libre, vous ne pouvez blâmer personne d’autre pour vos décisions. Vous devez en assumer la responsabilité, et cela pèse sur vos deux épaules », a-t-elle expliqué.
En plus d’écrire des centaines de poèmes en anglais et en allemand, Ginsberg a travaillé comme journaliste, rédigeant des articles chaque semaine pour l’hebdomadaire suisse Die Weltwoche pendant 20 ans. Sa première dépêche portait sur la sensationnelle affaire du meurtre de Kitty Genovese en 1964.
« Je suis écrivain. Un écrivain écrit. J’ai été écrivain toute ma vie. Entre-temps, j’étais agent de change [elle n’investissait que son propre argent sur les marchés]. Personne ne peut vivre de son écriture », confie-t-elle.
La clé d’un investissement réussi ? « Il faut avoir une longueur d’avance », a-t-elle répondu, ce qui signifie qu’il faut être en avance sur les tendances.
Aussi pleine d’entrain que Ginsberg puisse l’être, elle reste, à juste titre, marquée par ses expériences pendant la guerre. Elle a affirmé que la seule raison pour laquelle les Juifs peuvent aujourd’hui vivre avec honneur dans la Diaspora est l’existence d’Israël, ainsi que sa puissante armée.

« Tant que nous n’avions pas Israël, nous étions des chiens errants. Personne ne voulait de nous. Ce n’est pas notre musique et notre culture, c’est l’armée qui nous protège », précise-t-elle.
Selon Ginsberg, ce qui compte pour elle à son âge, c’est d’être encore en vie avec ses facultés cognitives intactes, surtout quand tant de ses amis sont morts ou ne sont plus aussi vifs qu’elle.
Alors qu’elle approche de ses 97 ans, elle dit qu’elle n’a aucun regret et qu’elle ne se soucie pas de ce que les autres pensent de ses activités – heavy metal ou autre. Elle n’a pas l’intention de laisser un héritage et ne se soucie pas de savoir si les gens se souviennent d’elle ou comment ils s’en souviennent.
« Franchement, ma chère, je m’en fous. Je m’en fiche. Après moi le déluge [a-t-elle dit en français] », a-t-elle affirmé.
Ginsberg dit qu’elle n’a pas beaucoup d’albums photos ou de souvenirs. Le passé n’intéresse pas cette unique Metalhead.
« Je crois en aujourd’hui et en demain », confie-t-elle.
« Ici, maintenant et demain », scande-t-elle en rythme. « Hé, ça ferait une belle chanson ! »
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