Interdiction de l’UNRWA par Israël : la CIJ répond à la demande d’avis consultatif de l’ONU
L'Assemblée générale avait demandé à la Cour de se positionner sur la légalité de la loi israélienne limitant les opérations de l'Office chargé des réfugiés palestiniens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.
Israël devrait connaître de nouveaux démêlés avec les tribunaux internationaux, le président de la Cour internationale de justice ayant accepté de donner suite à une demande d’avis consultatif sur une loi israélienne qui a interdit toutes les activités de l’UNRWA, l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient. Cette législation a fait l’objet d’une vive controverse.
La semaine dernière, l’Assemblée générale des Nations unies a fait savoir, par le biais d’un vote, qu’elle était favorable à une demande d’avis consultatif auprès de la CIJ – un avis qui portera sur l’obligation, par Israël, de faciliter l’aide aux Palestiniens suite à l’approbation de ce texte qui a provoqué un tollé.
Et au début de la semaine, le président de la CIJ, Nawaf Salam, a donné suite à cette demande. Il a précisé que la soumission des déclarations écrites venant répondre à cette demande d’avis consultatif de la part de l’Assemblée générale devrait intervenir avant la date-butoir du 28 février 2025.
Le ministère israélien des Affaires étrangères n’a pas encore fait savoir si Israël allait, dans les faits, apporter une réponse à la Cour.
Lors de procédures antérieures lancées devant la CIJ où il était demandé à cette dernière de donner un avis consultatif sur la légalité de l’autorité israélienne dans les « territoires palestiniens occupés », Israël avait soumis une brève réponse de quatre pages, refusant toutefois d’envoyer une délégation juridique à La Haye pour plaider sa cause devant le tribunal.
Les avis consultatifs de la CIJ ne sont pas contraignants, mais ils peuvent avoir un poids significatif et ils ont été cités à d’autres tribunes juridiques comme la Cour pénale internationale, ou par des tribunaux nationaux.
La résolution qui a été approuvée par l’Assemblée générale des Nations unies la semaine dernière – elle était parrainée par la Norvège – demandait à la CIJ de donner son avis sur les obligations d’Israël « en tant que puissance occupante et membre des Nations unies » concernant les opérations de l’ONU, « notamment les activités de ses agences et de ses instances », en ce qui concernait « l’acheminement sans entrave des approvisionnements urgents, l’acheminement de ces approvisionnements déterminants pour la survie de la population civile palestinienne ».
A la Knesset, au mois d’octobre, Israël avait adopté à une large majorité – une majorité qui comprenait les partis d’opposition – une loi interdisant à l’UNRWA de mener des activités sur le territoire israélien souverain ce qui, selon la loi israélienne, inclut Jérusalem-Est, où l’agence conserve une présence importante. Cette loi devrait entrer en vigueur le mois prochain.
Le texte interdit également aux organismes publics d’entretenir des contacts avec l’UNRWA ou avec ses représentants – une clause qui rendra probablement extrêmement difficile, voire impossible, les opérations menées par l’organisation dans la bande de Gaza.
Ces mesures ont été adoptées après qu’il a été révélé que certains membres du personnel de l’agence des Nations unies avaient activement pris part au pogrom commis par le Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre 2023. Israël accuse par ailleurs de nombreux employés de l’UNRWA d’entretenir des liens avec les groupes terroristes à Gaza – ce que semble confirmer le fait que le Hamas a utilisé à de multiples reprises les infrastructures de l’agence à des fins terroristes. Il a de surcroît été prouvé que le système éducatif de l’UNRWA n’a jamais cessé d’inciter à la haine et à la violence à l’encontre d’Israël.
Les Nations unies et d’autres acteurs internationaux ont insisté sur le fait que l’UNRWA a joué un rôle central dans la distribution de l’aide humanitaire à Gaza, offrant des et services médicaux et humanitaires essentiels – des services sans lesquels la situation humanitaire déjà désastreuse dans ce territoire déchiré par la guerre se détériorerait encore davantage.
Israël affirme que l’UNRWA n’est plus un acteur majeur à Gaza, d’autres groupes ayant repris le travail humanitaire. De l’autre côté, les opposants à la législation affirment que les mesures approuvées violent la charte des Nations unies et le droit international.
Anne Herzberg, conseillère juridique de l’organisation pro-israélienne NGO Monitor, rejette ces accusations. Elle déclare qu’Israël n’a aucune obligation d’autoriser et de coopérer avec les activités d’une organisation particulière.
« Rien, dans la charte de l’ONU, ne dit qu’une agence des Nations unies a le droit absolu de mener des opérations dans un pays, en particulier lorsque cette agence a violé les termes de son mandat et qu’elle s’est engagée dans des activités criminelles. C’est un non-sens total », affirme-t-elle, faisant référence à la culpabilité présumée de certains employés de l’UNRWA qui se sont livrés à des activités terroristes.
Le professeur Eliav Lieblich, expert en droit international à la faculté de droit de l’université de Tel Aviv, estime toutefois qu’en général, « une puissance occupante ne peut pas refuser les opérations d’aide internationale dans les territoires qu’elle occupe ».
Au mois de novembre dernier, l’État avait soutenu devant la Haute Cour de justice qu’Israël n’était pas une puissance occupante à Gaza au sens qui est celui du droit international – il avait noté qu’il ne disposait pas encore d’un contrôle effectif du territoire, une condition essentielle de l’occupation. Néanmoins, de nombreux experts, dont Lieblich, rejettent cette affirmation et la Haute Cour doit encore se prononcer sur cette question.
Lieblich évoque également l’article 59 de la Quatrième convention de Genève, qui impose à une puissance occupante de « consentir à des plans en matière de secours à la population » et de faciliter leur mise en œuvre si une population civile ne reçoit pas d’approvisionnements suffisants.
L’article ne stipule pas toutefois qu’une agence spécifique devra être impliquée dans ces efforts – indiquant seulement que les États ou des organisations humanitaires impartiales sont tenues de mener à bien ces opérations de secours.
Il est également possible que la législation ne soit pas techniquement constitutive d’une réelle interdiction des opérations de l’UNRWA à Gaza. La loi interdit aux agences de l’État israélien – y compris à Tsahal, au ministère de la Défense et autres – de coopérer ou d’entretenir des contacts avec l’UNRWA, mais elle n’interdit pas explicitement à l’organisation de se rendre au sein de l’enclave côtière.
Néanmoins, les opérations de l’agence deviendront extrêmement difficiles lorsque la loi entrera en vigueur en janvier dans la mesure où Israël contrôle actuellement tous les points d’entrée de la bande de Gaza.
Les opérations de collecte et de distribution de l’aide humanitaire nécessitent une coordination avec l’armée israélienne et avec le bureau israélien de coordination des activités gouvernementales dans les territoires – tandis que d’autres opérations humanitaires à Gaza seraient probablement menacées sans coopération avec l’armée.