Isolé, un hameau hippie du nord d’Israël tente de survivre malgré les roquettes
La moitié des habitants sont partis et la plupart des entreprises ont fermé, mais la communauté alternative de Klil tente de préserver son mode de vie face aux attaques quasi-quotidiennes du Hezbollah
Rien d’anormal au fait d’être nerveux lorsque les sirènes alertent de l’arrivée de roquettes.
Mais le fait de vivre dans le nord d’Israël en proie à la guerre, dans une ville non raccordée au réseau électrique, fait qu’on n’y entend pas de sirènes – elles fonctionnent à l’électricité –, ce qui peut être plus lourd à gérer.
Ainsi, lorsque Raanan Ram, propriétaire de la ferme bio de Klil, village écologique de Galilée occidentale, a reçu une alerte du Commandement du front intérieur sur son téléphone, lundi, ses employés et lui se sont gentiment, et dans le calme, rendus dans la réserve, à l’arrière de la boutique.
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C’est l’endroit le plus sûr, explique Ram, le plafond étant fait d’un bois plus épais que le bambou qui recouvre le café.
Quelques minutes, nous sommes sortis de la réserve et j’ai pu reprendre ma conversation avec un Ram manifestement tout sauf perturbé par la soixantaine de roquettes tirées sur le nord d’Israël depuis le Liban ce jour-là.
Avec la musique douce diffusée par les hauts-parleurs de la boutique à l’intérieur de laquelle Ram vend la production des habitants de Klil – citrouilles, betteraves et laitues bio -, on pourrait presque oublier qu’il y a la guerre.
Klil est un hameau hippie, un village alternatif composé de maisons discrètement disséminées dans les collines, situé à quelque 12 kilomètres au sud-est de Nahariya et à une vingtaine de kilomètres de la frontière libanaise. Fort de 1 200 habitants, il tourne à l’énergie solaire – même si quelques habitants ont des générateurs – et un grand nombre de ces maisons ont été construites avec des matériaux durables.
Depuis le 8 octobre 2023, les forces dirigées par le Hezbollah s’en prennent presque chaque jour aux communautés israéliennes et postes militaires situés le long de la frontière, officiellement en signe de soutien à Gaza en proie à la guerre contre le Hamas.
A ce jour, la guerre a fait 29 morts du côté des civils israéliens auxquels s’ajoutent 43 soldats et réservistes de Tsahal morts au combat.
Il existe désormais deux abris temporaires sur la route principale encadrée de fleurs, mais la plupart des maisons, faites de matériaux durables comme le torchis, la terre ou les briques recyclées, ne sont pas à l’épreuve des roquettes.
La vie à Klil semble encore calme, comme étrangère à ce monde, si ce n’est les explosions qui se font entendre, entrantes et sortantes à la fois. Sa douceur de vivre se heurte à la réalité brutale de la guerre.
La moitié environ des habitants sont encore là, mais de nombreuses entreprises qui parsèment normalement le paysage ont fermé leurs portes.
Dans le nord, c’était l’endroit rêvé pour trouver une hutte de sudation amérindienne, séjourner dans un tipi ou suivre des cours de cuisine végétalienne. Mais aujourd’hui, établissements vinicoles, maisons d’hôtes et petits cafés sont fermés.
« Tout s’est arrêté »
Depuis plus d’un an, des dizaines de milliers d’Israéliens situés au plus près de la frontière ont dû évacuer leur domicile.
À Klil, au sud de la zone évacuée, Puah Lasry Peleg, son mari, Doron et leurs deux filles vivent dans une yourte située sur une colline escarpée, avec une vue imprenable sur les champs en contrebas et, au-delà, sur la mer Méditerranée.
Le couple a commencé par acheter une yourte avant d’en construire de nouvelles en utilisant des matériaux de construction écologiques à base de chanvre. Ainsi, juste à côté de leur yourte, ils ont construit une autre yourte baptisée Orchard Yurt Klil, et qui était réservée jusqu’au 7 octobre 2023, jour où des terroristes dirigés par le Hamas ont attaqué le sud d’Israël , massacré 1 200 personnes et enlevé 251 personnes à Gaza.
Plus personne n’est venu à Klil depuis, explique Lasry Peleg. Les autorités n’apportent aucune aide au couple, dit-elle, parce qu’ils ne sont pas dans une zone évacuée, alors même qu’ils ont perdu tous les revenus qu’ils tiraient de leur maison d’hôtes.
« Tout s’est arrêté », poursuit-elle. Il y a bien une pièce protégée à l’école maternelle, mais le Commandement du Front intérieur a ordonné la fermeture de toutes les écoles et depuis, sa fille de 3 ans est toujours à la maison.
« Si seulement nous avions une idée du temps que cela va prendre, nous pourrions nous organiser entre parents », souligne Lasry Peleg. « C’est l’incertitude, le plus difficile. »
« Nous ressentons beaucoup la guerre », confie-t-elle, assise à la table de leur douillette yourte, en donnant à manger à son bébé âgé de 10 mois.
« Les roquettes ne sont pas pour nous, mais nous les entendons. »
Elle rappelle qu’au tout début de la guerre, des gens sont partis, qui sont depuis revenus à Klil en cours d’année. Les écoles avaient rouvert le 1er septembre dernier, et tout le monde venait à peine de reprendre ses habitudes, explique-t-elle, quand Israël a lancé une offensive contre le Hezbollah en septembre, puis une autre dans le sud-Liban dans le but de démanteler les infrastructures de l’organisation terroriste.
La famille n’ayant pas de pièce protégée, quand des roquettes sont annoncées, ils se regroupent au centre de la maison, loin des fenêtres.
Quelle ironie, dit-elle, après s’être assurés de tout construire de manière écologique, ils ont dû investir « des milliers de shekels » pour construire un abri fait de murs en béton « massifs » à l’intérieur duquel eux – et leurs futurs clients de la yourte – pourront trouver refuge en cas d’attaque de roquettes.
Certes, ils ont construit un abri, mais ils demeurent optimistes, persuadés que tout ira bien.
« Nous avons tellement investi dans les maisons et la propriété : nous ne partirons pas », affirme-t-elle.
Tout le monde ne partage pas leur façon de voir les choses.
Adi Hagar a construit une maison au bord de l’oued, sur la « dernière rangée de maisons de Klil », où elle proposait aux clients de sa maison d’hôtes des paniers pique-nique pleins de légumes cultivés sur place et de confitures maison.
Mais le village est passé du « jardin d’Eden à l’enfer » dès le début de la guerre, l’an dernier.
Comme sa maison ne dispose pas d’un abri, elle est partie.
« Ce serait du suicide de rester là toute seule », explique-t-elle. « Mais quand la guerre sera finie, je reviendrai. »
Faire de l’art pendant la guerre
Susan et Jack Jano ont élevé une grande partie de leurs huit enfants au sommet d’une colline à Klil. Vingt-neuf familles ont fondé ce village écolo en 1978 : les Jano furent les trentièmes à s’installer.
Elle dit qu’elle ne compte pas son âge – « ça change constamment » – ni le nombre de ses petits-enfants, car cela change aussi constamment.
Artiste dont le travail a été exposé au Musée d’Israël et dans le monde entier, Jano travaille avec des matériaux recyclés.
Il a tout construit lui-même dans leur maison, souvent avec des matériaux qu’il trouvait ou achetait d’occasion.
Son atelier a tout d’un dépotoir tant il est encombré de morceaux de métal, de vieux livres, de toiles et de portes. Il explique qu’il lui arrrive de faire de belles choses puis de les démonter « parce que cela pourrait être encore plus beau la prochaine fois ».
La guerre affecte sa créativité, confie-t-il.
« J’ai envie de faire des choses plus authentiques », poursuit-il. « Je me demande comment faire pour que mon art saisisse les subtilités de la vie »
Il m’emmène visiter une maison qu’il est en train de construire et dont il a d’ores et déjà terminé l’escalier extérieur. Il aime faire du ciment, dit-il, parce que cela lui fait oublier la guerre. Il a par ailleurs construit un petit abri pour que ses enfants « puissent se mettre à l’abri des roquettes ».
Auparavant, il faisait venir des groupes de touristes, auxquels il expliquait le sens de ses créations et sa manière de vivre. Désomais, plus personne ne vient, regrette-t-il.
« Mais c’est ici que nous vivons », conclut-il. « La vie continue. Nous somems en vie. »
« C’est une guerre de survie »
Les routes qui desservent Klil peuvent être difficiles, étroites, serpentant entre les oliveraies à l’intérieur desquelles les familles commencent la récolte des olives. Sur une de ces routes cahoteuses et non goudronnées vit Tamar Cohen, photographe et ancienne organisatrice d’événements.
« Tout le monde est en guerre », assène-t-elle, assise sur son porche. « C’est une guerre pour notre survie. »
Originaire d’Anvers, en Belgique, elle souligne que c’est un « honneur de se battre et de protéger le pays ».
Elle était supposée aller au festival de musique Nova avec ses amis, parmi lesquels Noa Englander et Noam Efraim, mais elle a dû rester garder son fils âgé de 9 ans. Englander et Efraim ont, eux, été assassinés par le Hamas.
Depuis, elle a organisé plusieurs fêtes pour remonter le moral de ses amis.
« Un peu partout dans le pays, les gens veulent danser, plus que jamais », souligne-t-elle.
Depuis le début de la guerre, les gens ont la constante impression d’avoir réchappé à quelque chose.
« J’ai le sentiment d’être une héroïne », poursuit-elle. « De nos jours, vivre est difficile. »
Non loin de là, dans sa ferme, Ram s’occupe de son jardin. Il vit à Klil depuis 10 ans et fait en sorte que le café et le magasin restent ouverts. Les gens de la communauté lui en sont reconnaissants, explique-t-il, parce que c’est l’un des rares endroits encore ouvert. C’est devenu un lieu de rassemblement.
« J’avais toujours rêvé de vivre dans le Nord et d’avoir une ferme », conclut-il.
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