La commission électorale « prépare un plan » pour déjouer une ingérence étrangère
Après les mises en garde du chef du Shin Bet, l'autorité chargée de superviser le scrutin d'avril se dit à l’œuvre mais dépourvue d'outils
Raoul Wootliff est le correspondant parlementaire du Times of Israël
La Commission électorale centrale israélienne a déclaré mercredi qu’elle préparait un plan d’action pour contrecarrer toute tentative d’ingérence étrangère dans les élections législatives du 9 avril. Cette annonce fait suite aux mises en garde du responsable de l’agence de sécurité Shin Bet, prévenant qu’un pays, dont le nom est tu sur ordre du censeur de l’armée, s’adonner à de telles activités.
« Avec les services de sécurité, nous savons ce qui s’est passé dans d’autres pays et nous travaillons à un plan d’action », a expliqué dans un communiqué le corps en charge de l’organisation des élections nationales.
D’après la commission, des responsables israéliens ont rencontré des cadres de Facebook, que la Russie aurait largement utilisé pour interférer dans les élections américaines de 2016. Toutes les autorités impliqués dans le processus électoral ont été averties, a déclaré la commission, sans pouvoir détailler les mesures prises pour des raisons de sécurité.
Les ingérences électorales sont très surveillées dans le monde depuis les dernières élections présidentielles américaines, au cours de laquelle des hackers russes avaient publié plus de 150 000 e-mails de différentes cibles démocrates dans une tentative de grande envergure de faire élire Donald Trump, avaient expliqué des chefs des services secrets et des membres du Congrès américains. Les agences de sécurité américaines avaient également indiqué que des agents russes avaient mené, avec succès, des opérations d’influence en disséminant des infox (fake news).
Israël utilise des bulletins de vote papier, ce qui les rend moins vulnérables aux fraudes, mais des experts ont averti qu’il subsistait des failles importantes dans la capacité du pays à contrecarrer une manipulation politique à grande échelle des électeurs via les réseaux sociaux.
Giora Pordes, le porte-parole de la commission, a admis au Times of Israel que celle-ci ne disposait pas actuellement des outils nécessaires pour empêcher de telles activités.
« Nous ne sommes pas chargés de distinguer le vrai du faux », a-t-il expliqué. « Cela ne relève pas de notre champ d’action. »
Malgré ces failles, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a assuré mercredi qu’aucun pays n’était mieux équipé qu’Israël pour déjouer toute tentative d’ingérence dans les élections.
« Israël est en mesure de déjouer une cyber-intervention. Nous nous sommes préparés à tous les scénarios, mieux qu’aucun autre pays, » a-t-il affirmé aux journalistes.
Dans son intervention de lundi, le chef du Shin Bet Nadav Argaman a indiqué que la cyber-attaque qui pourrait viser le scrutin israélien n’était pas qu’une supposition ou une prévision mais que le Shin Bet avait bien reçu des informations concrètes désignant un opposant en particulier ourdissant une attaque spécifique, d’après un reportage de Channel 10.
Répondant aux soupçons soulevés par des députés, le Kremlin a annoncé ne pas avoir l’intention d’intervenir dans les élections israéliennes ou de n’importe quel autre pays.
D’autres pays pourraient également initier des cyber-interventions.
Le chercheur en cyber-sécurité Ohad Zaidenberg a annoncé mercredi que des chercheurs avaient découvert plusieurs réseaux de fake news visant Israël basés en Iran. Il a averti que « les possibilités d’ingérence [dans les élections] étaient inquiétantes.
Après le reportage diffusé lundi, la députée travailliste Ayelet Nahmias-Verbin a déposé une requête pour convoquer en urgence la sous-commission de la Knesset chargée du cyber-espace afin de discuter des moyens disponibles pour empêcher de telles ingérences en ligne.
Tehilla Shwartz Altshuler, experte en technologie à l’Institut israélien de la démocratie, un organe apolitique, a déclaré que les principaux systèmes israéliens étaient protégés contre le piratage, mais que des entreprises extérieures travaillant pour différentes parties disposaient d’outils similaires à ceux soupçonnés de collaborer avec la Russie pour nuire à la campagne électorale.
« La Russie tente de réduire la confiance du public en une démocratie libérale dans tous les pays occidentaux, » a averti Shwartz Altshuler. « Il ne fait aucun doute qu’ils essaieront de faire ici ce qu’ils ont fait dans d’autres pays. »
Pour Shwartz Altshuler, il faut adopter des lois plus strictes concernant les cyber-activités aux motivations politiques, en particulier la diffusion d’infox.
« Nous sommes la nation start-up mais nous sommes à la traîne en matière de législation numérique », a-t-elle déclaré.
La protection juridique des électeurs en Israël émane principalement du code électorale (Propaganda Methods) de 1959, rédigé avant l’avènement d’Internet et encadrant à l’origine l’allocation des spots télévisés et des affichages publics.
En novembre, une commission, dirigée par l’ancien présidente de la Cour suprême, Dorit Beinisch, et chargée de revoir la législation électorale, a présenté une proposition accordant plus de pouvoir et d’outils juridiques à la Commission centrale électorale pour empêcher la manipulation en ligne.
La proposition de loi tente de sévir contre les fake news en imposant aux auteurs de contenus politiques rémunérés, y compris les commentaires, à s’identifier publiquement – une initiative qui s’appliquera à la fois à Internet et aux outils de campagne plus traditionnels, tels que les affiches.
Le projet de loi attendant actuellement une première lecture à la Knesset et le parlement étant actuellement en congés jusqu’aux élections d’avril, il devra attendre le prochain scrutin national.
L’équipe du Times of Israël et l’AFP ont contribué à cet article.