La Neue Galerie a (l’immense) privilège d’exposer une partie de la collection Ronald Lauder
Les 500 pièces préférées du célèbre philanthrope juif y sont exposées comme à son domicile
NEW YORK – Ne demandez pas au philanthrope juif Ronald S. Lauder de choisir une seule pièce de sa vaste collection d’art. Ça lui est tout bonnement impossible. Parce qu’au cours des dernières décennies, il n’a collectionné que des choses qu’il aimait vraiment, vraiment beaucoup.
Au moment de procéder à une acquisition, Lauder, le cadet des géants des cosmétiques Estée et Joseph Lauder, utilise ce qu’il appelle la « formule Oh-My-God ».
« Ça se passe comme ça : quand je vois la pièce, si je dis ‘Oh’, c’est que je ne suis pas très intéressé. Si je dis ‘Oh My’, c’est que c’est une bonne pièce, mais pas l’une des meilleures œuvres de l’artiste. Mais si je dis ‘Oh My God’, ce qui est très rare, cela signifie que c’est l’une des meilleures oeuvres de l’artiste », écrit Lauder en introduction du catalogue de l’exposition « La Collection Ronald S. Lauder », qui donne à voir les oeuvres favorites du collectionneur entre les murs de la Neue Galerie de New York.
« Ce sont toutes les œuvres qui m’ont fait dire ‘Oh My God’ ces 65 dernières années. Je précise que le ‘Oh My’ prononcé pour un grand artiste restera toujours un ‘Oh My’. Mais le ‘Oh My God’ (ou OMG dans le langage contemporain) prononcé pour un artiste de moindre renommée pourrait faire de lui un très grand artiste, tôt ou tard.

Le public peut aujourd’hui admirer certaines des pièces OMG de Lauder à la Neue Galerie, dans l’Upper East Side, que Lauder a fondée en 2001. À l’occasion des 20 ans du musée, 500 pièces de la collection personnelle de Lauder y sont exposées jusqu’au 13 février 2023.
La collection de celui qui fut ambassadeur en Autriche sous Reagan et préside actuellement aux destinées du Congrès juif mondial, à l’âge de 78 ans, est aussi hétéroclite qu’impressionnante. Des verres à kiddouch en argent massif y côtoient des sculptures grecques et romaines ou des peintures italiennes dorées à l’or fin des 13e et 14e siècles.

Au-delà de l’exposition quelque peu vertigineuse de tous ces trésors, ce qui rend cette exposition unique, c’est le parti pris du musée de transformer ses deux étages de galeries en une réplique de la maison de Lauder.
« Il vit avec ses oeuvres d’art. Nous avons donc recréé à l’identique des pièces de sa maison. Lauder et nous invitons le public à venir », explique Renée Price, directrice de la Neue Galerie.
« C’est une collection très éclectique et très personnelle qui reflète la passion de toute une vie, à la recherche de découvertes uniques. Il n’existe rien d’équivalent. C’est une exposition absolument unique », ajoute Price, hochant la tête vers la galerie dans laquelle les armures médiévales sont alignées, telles des sentinelles.
Collectionneur majeur du monde des armes et armures médiévales et de la Renaissance, Lauder a fait don de neuf objets de sa collection au Metropolitan Museum of Art en décembre 2020. La Neue Galerie expose aujourd’hui des armures, boucliers et cotes de maille ainsi que des poignards, arbalètes et épées.
L’une des galeries est peinte de la même couleur jaune que celle de sa maison. Dans une autre aile de la galerie, l’une des peintures favorites de Lauder – « Baigneurs dans un étang » d’Erich Heckel de 1908 – est accrochée au-dessus du manteau d’une cheminée en bois finement sculpté. Le manteau, les lambris et les moulures sont en tout point identiques à ceux du salon de Lauder.
Les chevaliers qui disent ‘NY’ [NDLT : Allusion à une chanson des Monty Python, « The Knights who say ni »]

« Collection Ronald S. Lauder » à la Neue Galerie New York. (Crédit : Hulya Kolabas/Avec l’aimable autorisation de la Neue Galerie New York)
L’exposition est, de loin, la plus difficile qu’ait organisé le musée. En effet, le manoir ancien de Lauder n’a pas de monte-charge et plusieurs oeuvres ont dû être hissées par les fenêtres étroites du bâtiment. Des curieux se sont massés sur le trottoir, ravis du spectacle des armures médiévales et bustes géants en marbre enveloppés de papier bulle qui semblaient flotter dans l’air.
Depuis l’ouverture de ses portes en fer forgé, le musée a organisé une cinquantaine d’expositions conçues pour mieux faire connaitre l’art autrichien et allemand du 20e siècle. Mais il est avant tout célèbre pour le « Portrait d’Adèle Bloch-Bauer I » de Gustav Klimt, qui y est exposé de manière pérenne, juste après le grand escalier.

L’une des pièces les plus intéressantes de l’exposition n’est peut-être pas une œuvre d’art au sens strict, mais la réplique du kunstkammer – cabinet de curiosités – fait d’un assortiment d’objets, y compris des objets rituels juifs tels qu’une boîte pour la havdalah ou un plastron de Torah. Ce cabinet est la réplique de celui que Lauder a chez lui.
Une statue en marbre blanc crème d’Hermès, datant du deuxième siècle de notre ère, occupe un espace conçu comme le bureau privé de Lauder. A proximité se trouve une tête de déesse grecque, datant de 150 avant notre ère, qui se trouve normalement sur le bureau en noyer Art Déco de Lauder, ici laissé vide à l’exception d’une lampe de table d’Alberto Giacometti.
La petite galerie d’angle consacrée aux souvenirs du film préféré de Lauder, « Casablanca », est aussi inattendue qu’évocatrice.
Pendant que le pianiste Dooley Wilson égrène en continu les notes de « As Time Goes By », en arrière-plan, on peut admirer une lampe en laiton ornée de bijoux, posée sur une table. Tous deux sont des accessoires du Rick’s Café. Les passeports créés pour les acteurs Ingrid Bergman et Paul Henreid sont exposés au mur, à côté des sauf-conduits. Parmi les dizaines d’affiches vintage encadrées et exposées se détache la silhouette d’Ingrid Bergman, vêtue d’une robe de soie bleu glacier et de gants roses.

Price a récemment accompagné les filles jumelles de Bergman, Isabella et Isotta Rossellini, voir l’exposition.
« J’ai voulu leur faire admirer ces oeuvres, et leur mère. Elles ont regardé les passeports. Mais pour elles, c’était juste leur maman », conclut Price.