Un village bédouin non reconnu du Neguev rasé pour etablir une nouvelle communauté juive
Une ONG dénonce le plan de "remplacement de la population" qui devrait affecter 9 000 résidents de 14 localités ; la démolition se poursuivrait malgré l'objection du Shin Bet
Umm al-Hiran, un village bédouin non reconnu dans le désert du Neguev, a été démoli tôt jeudi pour faire place à une nouvelle communauté juive orthodoxe connue sous le nom de Dror, mettant fin à une longue bataille juridique.
En amont de la démolition, trois membres du conseil d’Umm al-Hiran auraient été arrêtés par la police et relâchés peu après, selon le Conseil régional des villages bédouins non reconnus du Néguev, une organisation à but non lucratif qui représente les communautés pauvres du sud du pays.
La démolition de jeudi est intervenue après une longue bataille juridique et fait suite à une décision de justice de 2015 selon laquelle les Bédouins locaux squattaient des terres de l’État. Les efforts déployés pour trouver des solutions de logement aux quelques 300 habitants d’Umm al-Hiran ont largement échoué. Le site d’information Ynet a cité des habitants déplorant le manque d’espace qui leur avait été alloué dans la ville bédouine voisine de Hura.
Selon la chaîne publique Kan, le ministère de la Sécurité intérieure, dirigé par le ministre d’extrême droite Itamar Ben Gvir, a procédé à la démolition de jeudi malgré l’opposition de l’agence de sécurité intérieure du Shin Bet et de l’autorité bédouine du gouvernement. Selon le reportage, les deux agences auraient estimé que des progrès avaient été réalisés dans les négociations avec les résidents et qu’il était préférable de réinstaller ces derniers par voie d’accord plutôt que par la force.
Lors d’une précédente démolition à Umm al-Hiran, en 2017, la police a tiré sur un chauffeur bédouin et l’a tué, provoquant l’écrasement de son véhicule et la mort d’un policier. Le conducteur a été accusé à tort d’être un terroriste.
Il s’agit du cinquième village non reconnu à être rasé depuis le début de l’année 2024, qui a vu une forte augmentation de l’application des lois contre les constructions illégales dans la région.
Des policiers entourent les ruines d’une mosquée qu’ils ont démolie dans le village bédouin non reconnu d’Umm al-Hiran, le 14 novembre 2024. (Crédit : Le Conseil régional des villages bédouins non reconnus du Neguev)
La plupart des habitants d’Umm al-Hiran avaient par ailleurs démoli leurs maisons de leurs propres mains, pour éviter d’avoir à supporter le coût plus élevé d’une démolition par la police, a indiqué le conseil. La mosquée de la communauté, qui était encore debout, a été rasée par la police tôt jeudi, selon une vidéo publiée par le Conseil.
Or Hanoch, un militant présent lors de la démolition, a déclaré que des drones et des hélicoptères survolaient le village tandis que sept bulldozers de la police détruisaient ce qui en restait.
« Après la démolition de la mosquée, les autres engins lourds ont commencé à détruire le reste des maisons, qui avaient déjà été partiellement démolies », a ajouté Hanoch.
Umm al-Hiran est l’un des 37 villages non reconnus du Neguev, qui abritent quelque 150 000 personnes, soit environ un tiers de la population bédouine d’Israël, selon le Conseil. Le statut non reconnu des villages signifie qu’ils ne sont pas reliés au réseau électrique – les habitants alimentent leurs maisons à l’aide de panneaux solaires – et, selon l’organisation à but non lucratif, qu’ils disposent de peu d’abris anti-bombes et ne bénéficient que d’une faible protection de la part des défenses aériennes d’Israël.
Selon le Conseil, quelque 9 000 Bédouins risquent de perdre leur maison, car 14 des villages seront remplacés par un nombre similaire de villages juifs, conformément aux plans d’urbanisme élaborés dans les années 1990.
Les Bédouins affirment qu’ils habitent la région depuis bien avant la création d’Israël, qu’ils en ont été chassés pendant la guerre d’indépendance de 1948 et qu’ils y ont été réinstallés dans les années 1950 par l’administration de la loi martiale imposée à de nombreuses régions majoritairement peuplées d’Arabes pendant les premières années d’existence de l’État.
Un porte-parole du Conseil a qualifié la démolition de jeudi de « nouveau chapitre du nettoyage ethnique et de l’expulsion des Arabes dans ce pays ».
« La destruction d’Umm al-Hiran pour construire la communauté Dror fait partie du plan de remplacement de la population dans le Neguev », a fait valoir le Conseil. « La population juive démocratique doit également protester contre cette injustice. »
Dans un communiqué, le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a salué sa « politique ferme de démolition des maisons illégales dans le Néguev », affirmant qu’il avait supervisé une augmentation de 400 % des ordres de démolition dans cette région depuis le début de l’année 2024.
La hausse semble néanmoins bien moins importante que ne l’affirme Ben Gvir. L’organisation à but non lucratif Negev Coexistence Forum for Civil Equality, qui recense les démolitions, rapporte que 2 007 structures ont été rasées dans les villages non reconnus au cours du premier semestre 2024. Cela représente une augmentation d’environ 25 % par rapport à la même période en 2023, soit les six premiers mois du gouvernement actuel, et une hausse de 51 % par rapport à la même période en 2022, sous le gouvernement précédent.
Waleed Alhawshla, législateur du parti arabe Raam, a critiqué Ben Gvir pour se féliciter des « tracteurs de souveraineté » qui démolissent une communauté bédouine présente depuis 68 ans et violent le caractère sacré de la mosquée.
S’adressant au Times of Israel en octobre, Alhawashla a dit que le gouvernement précédent, dont faisait partie Raam, avait tenté de parvenir à des accords avec les Bédouins, mais que le gouvernement actuel avait balayé ces efforts.
« Ils ne nous considèrent pas comme des égaux », a affirmé l’élu, lui-même Bédouin du Néguev. « Ni le [ministère] des Affaires sociales, ni le ministère de la Santé, ni le gouvernement – ils cherchent tous à satisfaire leur patron. »
« Et qui est le patron ? C’est Ben Gvir », a-t-il ajouté.
Un reportage diffusé sur la Treizième chaîne en début de semaine a révélé une correspondance entre Ben Gvir et ses assistants. Contrairement à ses déclarations publiques pendant la guerre à Gaza, Ben Gvir y expliquait qu’il n’exigerait pas la destruction du Hamas, en partie parce qu’il était satisfait de l’intensification des démolitions dans le Neguev.
En octobre, Haaretz a rapporté que le gouvernement était revenu sur une décision prise en 2021 par l’administration précédente de reconnaître Rahmeh, un village bédouin de quelque 2 500 habitants.
Yeela Raanan, directeur exécutif du Conseil, a déclaré que Ras Jrabah serait le prochain village non reconnu à être détruit, pour laisser place à Rotem, un nouveau quartier de Dimona, une ville majoritairement juive.
Les quelques 400 habitants de Ras Jrabah ont jusqu’au 31 décembre pour quitter les lieux. La Cour a interdit à l’Autorité foncière israélienne de réserver des logements dans le nouveau quartier pour les Bédouins en tant que groupe, Dimona n’étant pas considérée comme une localité bédouine.
En mai, Israël a démoli le village de Wadi al-Khalil pour permettre l’extension de la route 6, une route à péage traversant le pays. Selon Raanan, les 400 habitants de Wadi al-Khalil avaient accepté de déménager dans un quartier dédié à Tel Sheva, une ville bédouine du sud, mais ce déménagement n’a jamais eu lieu parce que le ministre de l’Intérieur, Moshe Arbel, n’a pas signé les documents nécessaires.
Le ministère de l’Intérieur n’a pas répondu aux demandes de commentaire.
L’AP a contribué à cet article.