La première élue israélienne portant le hijab se confie
Récemment élue pour la Liste arabe unie, Iman Khatib-Yasin est largement soutenue par les deux sexes alors qu'elle accuse Israël de l'ultime répression sexiste
Organiser une interview avec Iman Khatib-Yasin, députée à la Knesset récemment élue, a été un exploit difficile à réaliser pour le site en hébreu du Times of Israel, Zman Yisrael. Un tourbillon de promotion, après une vie passée dans un quasi-anonymat, a emporté cette parlementaire musulmane, la toute première de l’histoire d’Israël à porter le hijab.
« Ce n’est pas encore retombé. Je cours à droite et à gauche pour donner des interviews, répondre aux appels, participer à des débats, à des réunions. Je n’ai pas eu un seul moment pour moi pour véritablement réfléchir à ce qu’il s’est passé », a expliqué Iman Khatib-Yasin à Zman Yisrael lors d’un entretien téléphonique, peu de temps après le scrutin du 2 mars.
Féministe auto-proclamée, elle a gagné sa place dans les rangs de la Liste arabe unie – un bloc de quatre partis arabes, qui se sont présentés sur une seule et même liste – en tant que membre de la formation Raam et, ce faisant, est devenue la première femme du Mouvement islamique du sud à être élue à la Knesset.
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Elle avait obtenu la quatrième place sur la liste de Raam, l’été dernier, après avoir vaincu sans appel les sept hommes qui s’étaient présentés à ses côtés lors des primaires. Avec le soutien des hommes et des femmes dans les urnes, et sans la pratique commune d’une place sur la liste réservée à une femme, Iman Khatib-Yasin a gagné avec plusieurs points de pourcentage d’avance.
Comme ses collègues au sein du parti Raam, elle a, par le passé, exprimé son objection à la définition d’Israël en tant qu’État juif et défend avec âpreté l’octroi des pleins droits civils et démocratiques aux siens.
« Je me définis comme une citoyenne israélienne dont l’identité nationale est arabe palestinienne », se décrit-elle.
Elle « remercie » le Premier ministre Benjamin Netanyahu pour ce qu’elle qualifie de provocations à l’encontre de la société arabe, lorsque ce dernier avait vivement recommandé aux Juifs de se rendre aux urnes pour l’emporter face aux électeurs arabes. Elle clame que cela n’a fait que contribuer à la force électorale de la Liste arabe unie dont les électeurs ont été galvanisés par ces propos et sont allés déposer un bulletin dans l’urne.
« Les incitations sont inacceptables », clame-t-elle. « Nous voulons vivre dans la paix et dans la dignité dans notre pays ».
A 56 ans, cette femme mariée et mère de quatre enfants, qui a passé deux diplômes de master – en travail social et en études de genre – entre à la Knesset forte de 25 ans d’expérience accumulée sur le terrain et d’une carrière réussie en tant que directrice d’un centre communautaire.
Iman Khatib-Yasin est née dans une famille d’agriculteurs de la vallée de Beit Netofa. Aujourd’hui, elle vit à Kfar Yafia, un village arabe de Galilée, où elle s’est installée et où elle a pris la tête pendant 14 ans du seul centre communautaire de l’histoire de toute la région.
Avant les élections du 2 mars, elle avait été chargée de sensibiliser les femmes bédouines du Néguev au vote. Dans le cadre de cet effort, elle avait organisé des conférences, des discussions de salon, coordonnant une campagne toute entière visant à donner l’envie aux Bédouines de prendre activement part au processus démocratique.
Et il semble que finalement les efforts livrés par la Liste arabe unie aient porté leurs fruits : en l’espace de six mois, entre septembre 2019 et mars 2020, la participation électorale officielle, au sein des communautés bédouines du Néguev, est passée de 57 000 à 68 000 personnes.
Ainsi, la participation électorale dans deux des plus importantes implantations bédouines du Néguev, Rahat et Arara, a augmenté de sept points (passant de 59 % à 66 % à Rahat et de 52 % à 59 % à Arara), ce qui indique – en dépit du fait que les données ne font pas la différence entre électrices et électeurs – que sa campagne auprès des femmes a été, au minimum, réussie.
« Je vais m’attaquer à la violence dans la société arabe et aux violences faites aux femmes de manière plus spécifique », répond Iman Khatib-Yasin quand il lui est demandé quelle sera la thématique qu’elle défendra avant toutes les autres à la Knesset.
« Je vais créer des opportunités d’emploi pour les femmes arabes qui soient adaptées à leurs capacités et à leur environnement. Sur le front de l’éducation, je veux faire avancer davantage les droits de nos enfants à une éducation émancipatrice, qui saura nourrir des personnalités matures et opiniâtres », ajoute-t-elle.
L’entretien qui suit a été traduit et adapté d’un article original publié sur le site Zman Yisrael, le site en hébreu du Times of Israel.
Sur le sujet des violences faites aux femmes ou sur d’autres, avez-vous le sentiment d’une destinée partagée avec les femmes juives ? Coopéreriez-vous avec des députées juives et sionistes pour prôner des législations sur ces questions ?
Pendant la semaine des élections, une femme a été assassinée à Taibe et un nouveau-né à Hod Hasharon, dont la mère a été grièvement blessée. Nous sommes toutes des femmes qui sommes convaincues d’avoir le droit à une vie de dignité et à quelque chose d’encore plus basique que cela – un droit à la vie, point final. Nous avons besoin de nous unir dans cet effort et de présenter à l’establishment des plans convaincants, avec des objectifs et une vision clairs.
C’est de la responsabilité de cet establishment – des bureaux des services sociaux qui s’écroulent sous la pression et de la police, qui renvoie dans leurs foyers des victimes de violences conjugales.
Nous devons nous unir, avec les hommes également, pour demander les ressources nécessaires aux services gouvernementaux concernés.
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Que représentera cette question dans votre travail parlementaire, par rapport à votre programme plus large ?
Les deux sont inséparables parce que notre exclusion est profondément ancrée dans notre identité nationale. Les femmes arabes subissent une double et quadruple discrimination. Il ne s’agit pas seulement d’appartenir au sexe féminin, mais d’appartenir au sexe féminin tout en appartenant également à une minorité marginalisée.
Nous ne partageons pas un terrain de jeu égal avec les femmes juives. En tant que femme arabe, je dois fournir beaucoup plus de travail pour arriver quelque part, que ce soit dans le cadre universitaire ou professionnel.
Et parmi les femmes arabes, celles qui portent le hijab sont les plus exclues. Notre apparence nous expose davantage et les premières au racisme. Je vais vous donner un exemple tiré de mon expérience personnelle. Quand j’arrive dans un centre commercial dans une ville juive ou mixte, dix Juives peuvent passer devant moi sans être arrêtées par la sécurité. Pour ma part, je vais être interpelée, contrôlée et probablement humiliée par les agents de sécurité. Et c’est pour cela que je parle de justice sociale et d’auto-valorisation pour les femmes. Je vais passer à l’acte pour faire disparaître les obstacles qui se dressent devant les femmes arabes.
Et comment faire, selon vous, pour éliminer ces obstacles ?
De la sensibilisation sur la question, et il faut avoir le désir de changer depuis l’intérieur de la législature. Il faut créer une discrimination positive en faveur des femmes arabes, dans les textes et dans l’action.
Est-il vrai que votre beau-père va vous accompagner lors des
voyages ?
Oui. Mais pas parce que ma religion m’y oblige. J’ai choisi de m’occuper de moi-même afin de représenter le Mouvement islamique de manière honorable. Le travail exige que je reste de longues heures hors de chez moi et souvent jusqu’à très tard le soir. Je veux me sentir à l’aise et ressentir la tranquillité d’esprit de savoir que quelqu’un m’aide là-dedans, quelqu’un à qui je peux faire confiance.
Comment êtes-vous devenue féministe dans les limites d’une religion assez machiste ?
Si vous dites les choses ainsi, cela signifie que vous ne connaissez pas l’islam qui est une religion qui respecte les femmes. Je suis née dans une famille qui défendait l’égalité et la justice sociale et j’ai conservé ces valeurs. Quand j’ai commencé à établir le centre communautaire de Kfar Yafia, il y a vingt ans, alors que mes enfants étaient encore petits, je n’ai pas abandonné et je ne suis pas restée chez moi. J’ai mené de front le travail et la famille. J’ai un partenaire qui est mon partenaire dans la vie et il est aussi mon partenaire dans le voyage de notre vie à deux.
Quand je regarde ma mère, une femme née à une époque différente, mais qui a toujours été une femme forte, qui a élevé une famille exemplaire, je sais qu’elle aurait pu être Première ministre.
Les obstacles qui entravent la route des femmes arabes aujourd’hui viennent-ils seulement des pratiques discriminatoires de la société israélienne ou y a-t-il encore des obstacles culturels ? Les maris et les pères, dans la société arabe, soutiennent-ils ces femmes qui travaillent et qui font des études ?
Bien sûr, nous avons dépassé ce point. Aujourd’hui, le pourcentage d’étudiantes arabes à l’université est plus élevé que celui des étudiants arabes.
Devenir une personnalité publique entraînée dans l’œil du cyclone, prendre le risque de recevoir des insultes en plein visage – ne trouvez-vous pas ces possibilités intimidantes ?
Cela n’a pas été une décision facile et je l’ai prise en concertation avec mes enfants et mon conjoint. Nous avons discuté de tous les aspects de cette démarche, nous avons également évoqué les inquiétudes des uns et des autres. Mais ils m’ont soutenue.
Et autant je veux pouvoir sauvegarder ma vie privée, autant je n’ai aucun problème à ce que les gens sachent qui je suis – parce que je suis fière de qui je suis. Je crois en mes valeurs et je me suis promis de ne jamais me laisser dénigrer.
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