La réduction américaine des fonds alloués à la recherche : un possible remède à la fuite des cerveaux ?
Dans un entretien, le lauréat du prix Israël, Yinon Ben Neriah, estime que le gouvernement devrait tenter de séduire les scientifiques en difficulté aux États-Unis alors que les opportunités pour les Israéliens se tarissent dans le monde universitaire

Parmi les hôpitaux qui risquent de perdre des dizaines de millions de dollars de financement en raison des coupes budgétaires qui ont été décidées par l’administration Trump au sein des National Institutes of Health, l’institution gouvernementale, figure le Memorial Sloan Kettering Cancer Center de New York, leader mondial dans la lutte contre cette maladie mortelle.
Mais pour le professeur Yinon Ben Neriah, un scientifique israélien de premier plan dans la recherche contre le cancer qui collabore fréquemment avec l’hôpital Sloan Kettering, la campagne menée par le président américain Donald Trump, qui cherche à réduire le financement des universités et d’autres instituts, pourrait bien avoir un côté positif.
Après des années de fuite des plus brillants esprits israéliens vers les meilleures écoles américaines, ces coupes – ainsi qu’un environnement universitaire où les Israéliens se sentent souvent mal accueillis, voire carrément boycottés – signifient que le pays a peut-être maintenant une chance d’enrayer la fuite des cerveaux et de les reconquérir.
« Le gouvernement devrait entreprendre quelque chose pour encourager ces personnes à revenir », s’exclame Ben Neriah, qui est âgé de 74 ans, lors d’un entretien avec le Times of Israel. « Cela pourrait être une opportunité majeure pour la recherche israélienne ».
Jeudi, à l’occasion de Yom HaAtsmaout, la journée de l’Indépendance israélienne, Ben Neriah a reçu le prix Israël pour ses travaux innovants – des travaux consacrés aux liens biologiques entre inflammations chroniques et cancer.
Des recherches qui ont ouvert la voie à de nouvelles thérapies et qui ont contribué à la mise au point d’un médicament qui est largement utilisé, dans le monde entier, pour le traitement du cancer du sang.
Ben Neriah prononcera une allocution lors de la conférence Biomed Israel à Tel Aviv, le 20 mai. Il évoquera alors les défis posés par le développement de thérapies contre le cancer.
L’immunologiste se concentre actuellement sur la recherche d’un traitement contre la leucémie myéloïde aiguë (LMA), qui est considérée comme l’un des types de cancer les plus agressifs et les plus difficiles à soigner.
S’exprimant auprès du Times of Israel depuis New York lors d’un récent déplacement de travail au Memorial Sloan Kettering Cancer Center, Ben Neriah parle de l’augmentation du nombre de cancers dans le monde, de son lien personnel avec la LMA et de ses espoirs pour l’avenir de la recherche sur le cancer en Israël.
L’entretien qui suit a été édité dans un souci de clarté et de concision.

Tout d’abord, félicitations pour votre prix Israël ! Pourquoi votre travail dans le domaine de la recherche sur le cancer est-il considéré comme si important ?
La recherche sur le cancer est une inquiétude mondiale dans la mesure où le cancer est en train de devenir la première cause de mortalité dans le monde occidental. Les maladies cardiovasculaires sont beaucoup mieux contrôlées en termes de prévention que le cancer grâce aux statines [qui réduisent le taux de cholestérol].
Nous faisons beaucoup de choses pour prévenir le cancer – par le diagnostic précoce, les coloscopies, les mammographies, etc., mais nous ne disposons pas d’une famille thérapeutique comme les statines pour réduire l’incidence du cancer. C’est ainsi que cette maladie est aujourd’hui en hausse et que les maladies cardiovasculaires, pour leur part, sont en baisse.
En Amérique, la guerre contre le cancer a commencé il y a une cinquantaine d’années. Et en effet, il y a eu des améliorations. Mais parallèlement à cette amélioration, il y a le phénomène du vieillissement de la population. Quand les gens vivent plus longtemps, ils sont plus susceptibles d’avoir un cancer.
On observe également dans le monde occidental une diminution de l’activité physique. Le surpoids, et pas seulement l’obésité, est un facteur qui intervient dans plusieurs types de cancer, comme le cancer du sein, le cancer colorectal, etc.
Pouvez-vous nous parler de vos recherches actuelles ?
Nous nous intéressons à la leucémie myéloïde aiguë. Une partie de nos recherches vise à améliorer le traitement médicamenteux de la LMA. Il n’y a pratiquement pas de traitement pour prendre en charge la LMA chez les personnes âgées. Les personnes plus jeunes peuvent être guéries par une chimiothérapie intense qui sera accompagnée d’une greffe de moelle osseuse. Mais pour les personnes âgées, la leucémie est un grand défi.
Notre domaine est celui de la transduction de signal. Comment les cellules communiquent-elles entre elles ? Comment les protéines, les cellules saines et les cellules cancéreuses communiquent-elles ?
Nous faisons de la recherche fondamentale et nous ne comprenons pas encore tout à fait le cancer. Chaque année, nous constatons que nous ne comprenons pas suffisamment cette maladie.

Ce que nous faisons, c’est ce que nous appelons des modèles précliniques – des modèles dans lesquels nous étudions le développement du cancer. Tout en examinant cela, nous sommes attentifs face aux éventuelles opportunités. Par exemple, il y a une quinzaine d’années, nous avons prêté attention à un certain volet de notre recherche susceptible qui était susceptible de nous conduire à la mise au point de médicaments anticancéreux, et nous continuons à le faire aujourd’hui.
La leucémie myéloïde aiguë est un véritable défi à relever. Le taux de survie à cinq ans n’est que de 20 % et c’est la raison pour laquelle nous essayons de l’améliorer.
Avez-vous vous-même un lien personnel avec la leucémie ?
J’ai un oncle qui est mort d’une leucémie myéloïde aiguë. Je l’aimais beaucoup et j’ai vu à quel point c’était difficile pour lui. Toutefois, mes recherches ne sont pas motivées par quelque chose de personnel, par un intérêt qui me serait particulier – mais par l’intérêt que je porte à la recherche. Nous avions vu quelque chose qui, nous le pensions, était peut-être une bonne idée pour améliorer le traitement de la leucémie, et nous l’avons développé. Il s’agit d’un processus très long, qui est très dur en Israël parce qu’il n’y a pas assez d’investisseurs, etc. Nous avons trouvé une entreprise américaine qui a pris en charge le développement de notre médicament.
Parfois, il ne fonctionne pas comme nous le souhaiterions mais il fait maintenant l’objet d’études cliniques dans certains des meilleurs centres anticancéreux des États-Unis, notamment au Memorial Sloan Kettering, au MD Anderson Cancer Center et au Dana-Farber Cancer Institute.
Notre principal intérêt est de comprendre comment le cancer se développe. Et si nous comprenons de mieux en mieux comment la maladie se développe, nous pouvons parfois avoir des idées sur la manière de la contrer ou de la bloquer. C’est ce que nous faisons quotidiennement dans notre laboratoire, et c’est la raison pour laquelle la recherche est très coûteuse – et nous avons donc besoin de beaucoup de ressources.
En quoi pensez-vous que le fait d’avoir remporté le prix aidera votre recherche ?
C’est très récent, donc je l’ignore. Peut-être que cela nous aidera à obtenir des subventions.
Nous devons financer toutes nos recherches. Le gouvernement ne nous donne rien. Ce sont des recherches compétitives.
Dans mon laboratoire, nous sommes une douzaine de personnes et toutes les dépenses de recherche sont financées par notre budget – un budget que nous obtenons grâce à des subventions pour lesquelles nous devons soumettre une demande. Il y a de la concurrence.
Par exemple, seuls 7 ou 8 % des personnes qui se portent candidates aux subventions du Conseil européen de la recherche les obtiennent. Nous sommes en concurrence avec des chercheurs européens. En Israël, il y a un fonds appelé Fondation scientifique israélienne, qui assure le revenu de base de la majorité des recherches entreprises en Israël.
Mais je vais juste vous donner les chiffres, et vous comprendrez pourquoi il est si difficile de développer une recherche sophistiquée en Israël. Une subvention européenne est de 500 000 à 700 000 euros par an, pour une durée de cinq ans.
La subvention de la Fondation scientifique israélienne s’élève à 70 000 dollars par an, soit moins de 10 % du financement européen.
Qu’est-il en train d’arriver à la recherche scientifique aux États-Unis ?
Trump a réduit les budgets des National Institutes of Health et une grande partie des budgets des universités. Et c’est peut-être plus difficile de survivre en tant que chercheur aux États-Unis qu’en Israël, car nous avons accès aux ressources européennes, ce qui n’est pas le cas des Américains.

Et comment voyez-vous l’avenir de la recherche en Israël ?
Nous avons des opportunités aujourd’hui. Je ne connais pas les chiffres exacts, mais parmi les chercheurs israéliens qui effectuent des stages aux États-Unis après avoir obtenu un doctorat en Israël, plus de 50 % souhaitent revenir en Israël et y faire carrière. Et ils sont toujours aux États-Unis.
Auparavant, les gens étaient enclins à rester aux États-Unis et à y trouver un emploi. Mais aujourd’hui, à cause de toutes les coupes budgétaires – et je connais personnellement des gens qui ont été touchés par ça – certains Israéliens qui avaient déjà accepté des postes en Amérique dans de bonnes institutions ont été mis en attente parce qu’il n’y a plus de budget pour les financer.
Le gouvernement [israélien] devrait donc faire quelque chose pour encourager ces personnes à revenir. Ce qui pourrait constituer une opportunité majeure pour la recherche israélienne.
Avez-vous parlé du sujet à des membres du gouvernement ?
Pas encore. Je suis membre de l’Académie des sciences d’Israël et nous allons avoir une réunion dans quelques semaines avec la commission des Sciences de la Knesset.
Ils ne s’en rendent pas compte mais il s’agit d’une véritable opportunité. Mais pour concrétiser cette opportunité, il faudra investir. Il faudra un budget pour faire venir ces personnes qui sont vraiment brillantes et qui peuvent apporter un grand changement sur la scène scientifique israélienne. Rien n’est sûr en Israël de nos jours : nous ne savons donc pas si on va nous écouter.
Comment les boycotts anti-israéliens dans les universités ont-ils affecté la recherche dans le pays ?
Tout d’abord, il y a l’impact de la guerre sur divers aspects des activités universitaires. Les Israéliens obtiennent moins de bourses internationales. La promotion des scientifiques israéliens s’en ressent. Il y a des difficultés lors des évaluations internationales dans le domaine de la recherche israélienne, à la fois en matière de promotion et de financement. Les Israéliens sont moins nombreux à prendre des congés sabbatiques et moins nombreux à être invités à participer à des conférences internationales.
Il y a assurément un impact qui se fait sentir.

Que suggérez-vous ?
C’est une opportunité. Profitons-en. Investissons de l’argent. Je fais tout ce que je peux, à la fois dans mon laboratoire et en parlant aux gens, pour essayer de faire la promotion des chercheurs.
Tout dépend des budgets. Il n’est pas facile d’investir de l’argent parce que nous vivons une période de guerre. Mais j’ai le sentiment que s’ils ne se saisissent pas de cette opportunité maintenant, notre situation va se détériorer. La fuite des cerveaux va se poursuivre.
En Amérique, l’industrie offre de nombreuses opportunités, par exemple dans le domaine de la biotechnologie. La biotechnologie israélienne est faible, alors que si vous allez dans des villes comme Boston, New York et San Francisco, il y a tellement d’opportunités de recherche dans le secteur ! Ainsi, si le monde universitaire est, d’une manière ou d’une autre, menacé, il reste au moins l’industrie.

Quel est l’avenir de la recherche israélienne ?
L’Amérique vit en grande partie grâce aux étudiants internationaux et aux post-doctorants. Il y a plus de chercheurs internationaux que de citoyens américains dans les laboratoires américains, mais aujourd’hui, par exemple, il est presque impossible pour les étudiants et pour les post-doctorants chinois d’obtenir des postes aux États-Unis comme c’était le cas auparavant.
En Israël, nous avons une minorité de chercheurs internationaux. Nous pourrions tirer parti de cette situation et obtenir, par exemple, des étudiants et des post-doctorants chinois.
Maintenant, c’est si le gouvernement se décide à faire quelque chose mais encore une fois, les responsables sont préoccupés par le fait que Trump ne verrait peut-être pas cela d’un bon œil. Si nous ne faisons rien, nous continuerons à souffrir parce que les étudiants internationaux, pendant la guerre, ont évité de venir en Israël et qu’ils ne sont pas revenus.
Je ne sais pas si quelqu’un nous écoutera. Si nous pouvons convaincre le gouvernement d’investir, c’est une opportunité. On verra ce que nous réservera l’avenir.
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