La Shoah, un thème au centre de l’élection du prochain président polonais
Le second tour a opposé le maire libéral-centriste de Varsovie et un historien de droite qui a mené une campagne visant à réécrire le rôle tenu par la Pologne dans le génocide de 3 millions de Juifs sur son sol

JTA — La Pologne s’est rendue aux urnes pour une élection présidentielle très serrée qui va déterminer l’avenir du pays sur la scène internationale, mais aussi son approche de l’Histoire.
Dimanche, les électeurs ont été appelés aux urnes pour un second tour décisif entre Rafał Trzaskowski, maire libéral-centriste de Varsovie, et Karol Nawrocki, historien de droite qui a mené une campagne nationaliste visant à réécrire le rôle de la Pologne dans la Shoah.
Deux hommes dont les visions pour la Pologne sont diamétralement opposées. Trzaskowski a promis une coopération avec l’Union européenne (UE) et des changements sociaux, tels que l’assouplissement des lois restrictives sur l’avortement et l’autorisation des unions civiles pour les membres de la communauté LGBTQ+. Il ouvrirait ainsi la voie au Premier ministre Donald Tusk, arrivé au pouvoir en 2023 avec le parti centriste Plateforme civique, pour lui permettre de mener à bien des réformes démocratiques.
Quant à Nawrocki, qui bénéficie de l’appui du président américain Donald Trump, il est soutenu par le parti de droite Droit et Justice (PiS), qui a été au pouvoir en Pologne de 2015 à 2023. Ce parti a isolé la Pologne de l’UE et il a été critiqué pour ses atteintes aux normes démocratiques et pour avoir renforcé le contrôle exercé par le gouvernement sur le pouvoir judiciaire et les médias. Il a été accusé de tenter de réécrire l’Histoire de la Pologne.
Le PiS a promu des récits historiques qui mettaient en avant le statut de victime et la résistance de la Pologne face aux nazis, tout en délégitimant les recherches sur l’antisémitisme polonais ou sur les Polonais qui avaient tué des Juifs.
En 2018, le pays avait adopté une loi interdisant d’accuser la Pologne ou le peuple polonais de complicité dans la Shoah. Si la peine encourue a depuis changé – les législateurs l’ont fait passer d’un crime passible d’une condamnation à trois ans de prison à une simple infraction civile – ses détracteurs affirment qu’elle a eu un effet dissuasif sur la recherche historique.

Nawrocki dirige l’Institut de la mémoire nationale, qui s’est fait une réputation en promouvant un discours nationaliste sur la Shoah sous le gouvernement dirigé par le PiS. Il a axé sa campagne sur cette version de l’Histoire.
Le procès, en 2021, des historiens Jan Grabowski et Barbara Engelking, accusés d’avoir diffamé un ancien maire polonais dans leur livre Night Without End (« Nuit sans fin »), un ouvrage consacré à la collaboration polonaise avec les Allemands, reste un sujet extrêmement sensible pour Nawrocki. Et si les deux universitaires ont fait appel et qu’ils ont gagné le procès, ils continuent de susciter la colère de certains politiciens de droite comme Nawrocki.
« Il répète souvent que les Polonais doivent être fiers de leur Histoire », explique Maria Ferenc, chercheuse spécialiste de la Shoah à l’Université de Wrocław.
« Il a également évoqué les Justes parmi les Nations lors d’un débat avec Trzaskowski, affirmant que ‘nous devons défendre la bonne réputation des Polonais face aux chercheurs’. » (Le titre de Justes parmi les Nations est une distinction honorifique décernée à des non-Juifs qui ont sauvé des Juifs pendant la Shoah.)

Trzaskowski a remporté le premier tour de l’élection présidentielle du 18 mai avec une marge étonnamment faible, obtenant 31 % des voix contre 30 % pour Nawrocki. Les candidats d’extrême droite Sławomir Mentzen et Grzegorz Braun sont arrivés respectivement troisième et quatrième, offrant à Nawrocki un réservoir plus important d’électeurs de droite à mobiliser pour le second tour.
Nawrocki n’a pas perdu de temps pour courtiser ces électeurs. Il a signé une liste de revendications de Mentzen, telles que le refus de ratifier l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN, l’envoi de soldats polonais en Ukraine ou l’élargissement des pouvoirs de l’UE.
Il a également cherché à s’attirer les faveurs de Braun, qui a fait de l’antisémitisme un thème central de sa campagne. Lors d’un débat télévisé le mois dernier, il a demandé à ses rivaux comment ils comptaient lutter contre ce qu’il a qualifié de « judaïsation » de la Pologne.
En 2023, Braun avait utilisé un extincteur pour éteindre les bougies de Hanoukka au Parlement et il avait violemment interrompu une conférence de Grabowski. Cette année, il a perturbé une minute de silence en mémoire des victimes de la Shoah pour dénoncer le « génocide juif à Gaza ». Sur ses affiches de campagne, il posait avec un extincteur.

Nawrocki a déclaré à Braun qu’il combattrait « toutes les attaques répugnantes » lancées contre la Pologne par les universitaires spécialistes de la Shoah, et il a d’ores et déjà promis de mettre fin à la tradition qui consistait à allumer des bougies de Hanoukka au palais présidentiel. Il n’a toutefois pas apporté de réponse à une requête soumise par Braun qui lui demandait de procéder à des exhumations à Jedwabne, où des centaines de Juifs avaient été tués en 1941.
Selon un livre publié en l’an 2000 par Jan Tomasz Gross, intitulé Neighbors (« Voisins »), es meurtres perpétrés lors du pogrom de Jedwabne avaient été commis par des civils polonais – une affirmation qui avait déclenché un vif débat national. Les nationalistes polonais comme Braun affirment que les Polonais n’ont en aucun cas pris part au massacre et ils appellent à des exhumations. En l’an 2000 encore, l’Institut de la mémoire nationale avait enquêté sur le site et elle avait confirmé que les citoyens du pays avaient bien été à l’origine de ces meurtres, mais les exhumations avaient été interrompues car la loi juive orthodoxe – ou halakha – interdit de profaner les morts.
En Pologne, où le pouvoir est dominé par le Parlement et le Premier ministre, les présidents ont un rôle constitutionnel limité. Toutefois, le prochain président aura une importance qui dépassera la simple fonction symbolique. Il pourra opposer son veto à presque toutes les lois adoptées par le Parlement, à l’exception du budget, et il commandera l’armée. Les élections présidentielles enregistrent également un taux de participation beaucoup plus élevé que les élections législatives, a souligné Ferenc, ce qui en fait un baromètre plus fiable de l’opinion publique.
Le président dispose d’un autre pouvoir susceptible d’influencer la recherche historique : celui d’approuver la nomination des titulaires de chaires universitaires. Le président Andrzej Duda, actuel allié du parti PiS, avait par exemple refusé de nommer Michal Bilewicz, universitaire juif spécialiste de l’antisémitisme, au poste de professeur titulaire à l’Université de Varsovie.

Dariusz Stola, historien à l’Académie polonaise des sciences, a été le premier directeur du Musée Polin de l’Histoire des Juifs polonais à Varsovie. Sous le gouvernement PiS, au pouvoir pendant huit ans, il avait refusé de se laisser entraîner dans les querelles politiques qui secouaient le musée. Il avait été évincé en 2019, alors qu’il venait de remporter un concours pour prolonger son mandat.
Selon Stola, la peur que le gouvernement a instillée dans les milieux universitaires et au sein des institutions culturelles a affecté toute une génération qui est finalement arrivée à la conclusion que l’étude de l’Histoire polono-juive ne valait pas la peine d’être poursuivie.
« Comment pouvez-vous recenser des publications qui n’ont pas été publiées ? », s’interroge Stola.
« Comment peut-on comptabiliser les thèses non rédigées ou les bourses de recherche auxquelles personne n’a postulé, même si certaines personnes le souhaitaient mais qu’elles ont changé d’avis, car, après tout, qui veut être qualifié de traître ? »

Sebastian Rejak travaillait au ministère polonais des Affaires étrangères, où il s’occupait des relations avec la diaspora juive, lorsque le parti PiS était arrivé au pouvoir. Il avait quitté ses fonctions en 2017 pour rejoindre l’American Jewish Committee (AJC), puis le Centre communautaire juif de Cracovie, avant d’intégrer le ministère sous le gouvernement actuel, en 2025.
« J’ai réalisé que le ministère des Affaires étrangères ne souhaitait plus tirer parti de mon expérience dans les relations avec la communauté juive à l’échelle mondiale et avec les organisations juives », déclare Rejak à propos de sa décision prise de démissionner il y a huit ans.
Ce n’est que dans les années 1990, après la chute de l’ex-Union soviétique, que la Pologne avait commencé à faire des efforts pour se réconcilier avec le génocide de 3 millions de Juifs sur son territoire et avec l’Histoire entremêlée des Juifs et des Polonais. Mais de nombreux projets de « militantisme mémoriel » ont été interrompus par le gouvernement de droite. Selon Rejak, les processus faciles à anéantir sont beaucoup plus difficiles à reconstruire.
« Ce qui avait été accompli en 2015 était le fruit du travail acharné de plus d’une génération, et pas seulement de quelques historiens ou sociologues courageux, mais parfois aussi de personnes qui s’occupaient de cimetières juifs ou menaient de petites recherches locales », a expliqué Rejak.
« Il n’a fallu que quelques années pour inverser cette tendance, et il faudra encore dix, quinze, voire vingt ans pour revenir à la situation de 2015, car beaucoup de Polonais en sont venus à croire que l’histoire de leur pays n’est faite que d’héroïsme et de martyre », a-t-il ajouté.
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