La voix éthiopienne méconnue se fait entendre en Israël
Orit Tashoma chante l'histoire d'une communauté qui a trouvé son chemin vers la Terre promise mais qui se cherche toujours
Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »
Quand Orit Tashoma parle et chante devant son public, c’est visuel : on y voit des poignées de main échangées en Éthiopie, de grandes réunions de famille, des rituels exécutés autour d’un café et des comptes bancaires vides – ces détails personnels dans lesquels chacun peut se reconnaître.
Tashoma est une artiste et chanteuse israélienne de spoken word (« création parlée »), textes chantés et parlés.
Tashoma ne savait pas qu’elle possédait ce talent de chanteuse et de conteuse jusqu’à il y a quelques années, lorsqu’un devoir scolaire l’a amenée à écrire son histoire personnelle.
Le professeur « avait demandé à tout le monde d’écrire un texte sur l’identité et l’enfance », dit Tashoma, qui était alors inscrite dans un collège de musique à Tel Aviv. « Et puis tous ces trucs sont sortis de moi. »
C’est ce même enseignant qui lui a dit de monter sur scène avec ses mots – pour faire de son histoire un spectacle.
Tashoma connaissait bien l’art du spoken word. Elle avait aussi grandi avec abergavenny, une tradition éthiopienne de conte, dans laquelle les conteurs et les auditeurs sont assis en demi-cercles sur le sol.
Sa première représentation a eu lieu à Beer Sheva lors d’un spectacle de spoken word qui combinait ses chansons et ses textes. Cette toute première performance a été enregistrée et elle est devenu virale. Des interviews accordées à la radio et d’autres travaux scéniques ont suivi.
« Je voulais juste entendre ma voix sur ce texte, » explique Tashoma. « C’est une voix qui n’est pas vraiment entendue, la lumière n’a pas été mise sur notre communauté et cela nous a donné une scène. »
Certaines parties du récit de Tashoma sont familières, et notamment l’histoire d’une communauté qui lutte encore pour trouver son chemin en Israël.
« Il y avait une sorte de demande pour ce que je fais », dit-elle. « Vous devez être très précis. Vous ne parlez pas de tous vos malheurs, mais vous apportez votre point de vue, votre façon de voir les choses, et où vous en êtes maintenant. Ce ne serait pas intéressant de parler des problèmes des autres. »
Aujourd’hui âgée de 29 ans, Tashoma est née dans l’Etat juif, de parents éthiopiens arrivés en Israël en 1984 dans le cadre de l’opération Moïse, l’un des premiers transports aériens de Juifs éthiopiens. Ses parents ont survécu à leur longue traversée du Soudan, mais l’un de leurs quatre enfants est mort au cours de ce voyage. La famille s’est finalement installée à Nazareth Illit, une ville en développement dans le nord, et a eu quatre autres enfants en Israël, dont Tashoma.
Ses parents ont divorcé quand Tashoma avait 12 ans, et adolescente turbulente, elle a été finalement confiée aux soins d’un pensionnat public.
Elle a commencé à écrire à l’âge de 16 ans, souvent en anglais, qui n’était pas sa langue familiale ni celle de ses amis.
Aujourd’hui, elle écrit en hébreu et son spectacle pour Hullageb comprend plusieurs morceaux en amharique – une langue éthiopienne que Tashoma ne parle pas couramment. Elle aime placer les mots qu’elle connaît dans son travail.
« Si seulement je pouvais parler amharique », s’exclame-t-elle. « Je ne le parle pas comme je le devrais, alors j’utilise des mots pour me défausser. »
Cinq musiciens participent à « Noble Savage », le spectacle de Tashoma, qui constitue la base de son premier album.
Son mélange de musique et d’art de la scène s’adresse à « toute personne qui vit dans l’État d’Israël et qui veut voir l’autre côté des choses », note-t-elle.
Ce n’est pas une œuvre d’art classique, selon Tashoma, « mais c’est la vérité, ma vérité. Cela permet de découvrir un point de vue différent qui n’est pas connu. »
Tashoma veut, par son travail, faire découvrir et faire vivre à son public ce qu’elle a ressenti.
« Tout », dit-elle, « que ce soit le bonheur ou un manque, que ce soit se trouver à un moment au mauvais endroit. Il y a des gens qui sortent en pleurs de mes performances artistiques, et il y en a qui veulent mieux les comprendre – c’est précisément ce qu’elles sont censées provoquer. On met nos tripes sur la table et chacun peut prendre ce qu’il veut. »
Elle est surprise de constater que d’autres personnes, pas seulement d’origine éthiopienne, ont ressenti ce qu’elle ressent. Elle a également découvert que la majorité de son auditoire n’est pas composé d’Éthiopiens et que ceux dont c’est le cas sont généralement plus jeunes. Elle adorerait se produire devant un public éthiopien plus âgé.
« C’est toujours important pour moi de présenter les deux facettes de ce que je suis, » dit-elle. « Je suis Israélienne d’origine éthiopienne, et de mon point de vue, c’est l’équilibre entre deux mondes. Parfois l’équilibre est atteint, parfois non. »