L’AP a-t-elle vraiment renforcé l’indépendance de son système judiciaire ?
La mesure a été annoncée quelques jours après que Washington a rejeté la refonte en Israël ; Mahmoud Abbas tente depuis des années d'assujettir le système judiciaire

Parallèlement à la refonte judiciaire controversée qui fait les gros titres en Israël ces sept derniers mois, le dirigeant de l’Autorité palestinienne (AP), Mahmoud Abbas, a annoncé sa propre initiative mercredi, en supprimant une décision datant de 2022 qui aurait restreint l’indépendance du système judiciaire palestinien.
La décision, connue sous le nom de décret 17, aurait établi un « Conseil suprême des organes et autorités judiciaires » ayant le pouvoir d’examiner les affaires judiciaires, dirigé par Abbas lui-même, qui aurait également eu la possibilité d’en déterminer la composition et d’en fixer les réunions.
L’abrogation du décret 17 a été publiée dans le journal officiel de l’AP et a immédiatement suscité les félicitations des États-Unis, bien qu’un journaliste local ait fait remarquer que le changement était essentiellement dénué de sens.
« Nous saluons la décision du dirigeant Abbas d’annuler le Conseil suprême des organes et autorités judiciaires. Un système judiciaire indépendant est essentiel pour toute société prospère et crucial pour tout futur État palestinien. Nous saluons les autres initiatives de l’Autorité palestinienne visant à améliorer la gouvernance », a tweeté jeudi le bureau américain des Affaires palestiniennes.
Les louanges adressées à Ramallah contrastent fortement avec la déception exprimée par Washington en début de semaine, après que le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu a adopté la première étape de sa refonte judiciaire.
Le nouvel organe d’Abbas n’a jamais été entièrement mis en place, mais il aurait conduit à une réduction significative de l’indépendance du système judiciaire palestinien en assumant le contrôle total du système judiciaire de l’AP.
La mission allemande à Ramallah a également salué la décision, en tweetant : « L’annulation du décret de l’année dernière consolidant les conseils juridiques sous le contrôle unique de l’exécutif est une étape importante. L’indépendance du pouvoir judiciaire et la séparation des pouvoirs sont d’une importance vitale. Nous encourageons la poursuite de la réforme judiciaire et soutiendrons l’Autorité palestinienne dans cette voie. »
We applaud President Abbas' decision to nullify the Supreme Council for Judicial Bodies and Authorities. An independent judiciary is essential for any successful society and crucial for any future Palestinian state. We welcome further PA initiatives aimed at improving governance.
— U.S. Office of Palestinian Affairs (@USPalAffairs) July 27, 2023
La décision initiale d’Abbas de créer le conseil avait été vivement critiquée l’année dernière, les groupes de défense des droits de l’Homme alléguant que l’organe statuerait en faveur de groupes de pouvoir spécifiques au sein de l’AP et de l’économie palestinienne, sans consultation préalable avec les autorités compétentes et sans clarification quant à l’objectif des décisions qu’il émet, selon Arab News.
Le mécontentement face aux tentatives d’Abbas de prendre le contrôle des pouvoirs législatif et judiciaire couve depuis des années dans les Territoires palestiniens.
Le pouvoir législatif, le Conseil législatif palestinien, est resté inactif de 2007 à 2018, date à laquelle il a été officiellement démantelé par la Cour constitutionnelle palestinienne en prévision des élections qui devaient se tenir dans les six mois suivants et qui ont ensuite été annulées par Abbas lui-même.
En ce qui concerne le pouvoir judiciaire, Ali al-Sartawi, ancien ministre palestinien de la Justice, a déclaré à Arab News qu’Abbas avait précipité un « état de chaos législatif » dans les Territoires palestiniens en créant de nouvelles lois par l’émission de décrets présidentiels sur une base hebdomadaire, en violation des principes d’indépendance judiciaire et de séparation des pouvoirs pourtant inscrits dans la loi palestinienne.
La publication de décrets présidentiels, au nombre de 400 à ce jour, a commencé après la séparation entre le Fatah, qui contrôle l’AP, et le groupe terroriste palestinien du Hamas en 2007, et a augmenté en fréquence et en portée au fil des ans, couvrant des questions sensibles telles que la loi électorale et le financement des ONG, selon le site d’information qatari al-Araby al-Jadeed.
Un amendement juridique proposé en 2018 pour donner à Abbas le pouvoir de nommer et de révoquer le président de la Cour suprême a incité plus de la moitié des juges de la Cour à démissionner en signe de protestation.
En juillet 2019, Abbas avait dissous la Cour suprême et l’avait remplacée par un Haut Conseil judiciaire temporaire dirigé par un juge octogénaire nommé Issa Abu Sharar, une décision rejetée par l’Association du barreau palestinien, qui considérait le conseil comme illégitime puisque ses juges étaient nommés et non élus.
D’autres amendements visant à restreindre le pouvoir judiciaire et à soumettre son autorité et ses nominations à l’exécutif ont été adoptés en 2021, ce qui avait suscité des protestations sans précédent de la part de l’Association du barreau palestinien à Ramallah.

Plusieurs juges qui ont protesté contre ces changements ont été mis à la retraite anticipée ou transférés dans des institutions publiques sous le contrôle direct de l’AP.
En outre, l’annonce par Abbas mercredi de la suppression du Conseil suprême des organes et autorités judiciaires n’était apparemment qu’un changement esthétique, selon le journaliste palestinien Younis Tirawi, puisqu’il n’avait pas modifié un décret présidentiel antérieur qui visait également à établir un contrôle sur le système judiciaire palestinien.
En août 2019, Abbas avait publié un décret portant sur la création d’un « Conseil de coordination du secteur de la justice », un organe présidé par lui-même et composé de juges qu’il a personnellement nommés. Ce décret est toujours en vigueur. La décision de 2022 qui a été retirée mercredi ne concernait qu’un organe de consultation, mais le projet d’Abbas d’affirmer son contrôle sur le système judiciaire de l’AP n’a apparemment pas été mis en veille.