Le 7 octobre n’est pas un « tournant » de l’antisémitisme britannique mais une continuation, dit un expert
David Hirsh, directeur du Centre pour l'étude de l'antisémitisme contemporain, à Londres, met en garde contre les dangers d'un antisémitisme « normalisé » et d'un populisme rampant

LONDRES – Les terribles chiffres du regain d’actes antisémites depuis le pogrom commis par le Hamas le 7 octobre 2023 font régulièrement la une des journaux britanniques. Pour l’un des meilleurs experts britanniques de l’antisémitisme, ils sont certes choquants, mais finalement peu surprenants.
Le professeur David Hirsh y voit en effet un modèle qui remonte déjà à une vingtaine d’années au moins, depuis la conférence des Nations unies de Durban, en 2001, notoirement antisémite, et la campagne de boycott, désinvestissement et sanctions au Royaume-Uni.
« Il se dit que le 7 octobre a été l’événement déclencheur, mais je suis sceptique », explique au Times of Israel Hirsh, directeur général du London Center for the Study of Contemporary Antisemitism [NDLT : Centre pour l’étude de l’antisémitisme contemporain de Londres], lors d’une interview.
Le nombre d’actes antisémites infligés aux Juifs a considérablement augmenté mais la menace « bout depuis le début du siècle », affirme Hirsh, tout en reconnaissant que nombre de Juifs britanniques ont vécu ce qu’il qualifie de « changement culturel » depuis le 7 octobre – à savoir le sentiment que les « espaces sociaux » dans lesquels ils se sentaient chez eux ne le sont plus. C’est un sentiment, ajoute-t-il, que connaissaient déjà ceux qui avaient déjà été exposés à ce que l’activisme anti-Israël a de plus dur.
Il parle là des universitaires juifs du syndicat des professeurs d’université – l’UCU – lorsque la campagne de boycott universitaire a commencé à la fin des années 2000, ou des membres juifs du Parti travailliste suite à l’élection, en 2015, de son désormais ex-dirigeant d’extrême gauche, Jeremy Corbyn.

L’impact durable du passage de Corbyn à la tête du Parti travailliste a été perçu par certains militants contre l’antisémitisme dans l’hostilité féroce témoignée à Israël par différents milieux depuis le pogrom du 7 octobre.
« J’ai toujours pensé que le grand danger de Corbyn était de normaliser l’antisémitisme », en brisant le consensus d’après-guerre, au sein de la classe politique britannique, qui voulait que « l’antisémitisme, sous toutes ses formes, était inacceptable dans le discours démocratique », rappelle Hirsh.
Depuis le 7 octobre, cette crainte s’est avérée.
« Les idées antisémites se sont normalisées », souligne Hirsh, du fait d’une extrême gauche qui se prétend farouchement opposée à l’antisémitisme. Le résultat, estime-t-il, est qu’ « aujourd’hui, avant toute autre chose, il se dit qu’Israël – l’un des projets clés du monde juif d’après la Shoah – assassine délibérément des milliers de femmes et d’enfants et commet un génocide, tout comme les nazis ». Cette affirmation n’est pas sans évoquer les diffamations séculaires qui valaient aux Juifs de se faire traiter d’assassins d’enfants et de conspirer ensuite pour couvrir leurs crimes, ajoute-t-il.

Hirsh qualifie le conflit à Gaza de « tragédie absolue » qui a causé la mort de nombreux enfants et que l’on a le droit de remettre en question la stratégie israélienne déployée à l’issue du 7 octobre. Mais, insiste-t-il, il y a une « énorme différence » entre la mort tragique d’enfants lors d’une guerre et « les enfants délibérément assassinés dans le cadre d’une campagne militaire destinée à éradiquer un type de personnes clairement défini par ceux qui les tuent ».
Particulièrement actif dans la campagne contre le boycott universitaire d’Israël, Hirsch a beaucoup écrit sur l’antisémitisme de gauche mais il tient à démystifier l’idée selon laquelle la gauche aurait le monopole de l’antisémitisme. Il critique également la gauche et la droite, qui selon lui, nient tout problème d’antisémitisme dans leurs rangs en renvoyant la balle à leurs adversaires. Selon lui, cela revient à « ne pas faire face à l’antisémitisme qui se trouve autour de vous ».
« Je viens de la gauche. Pour moi, l’antisémitisme de gauche était le problème le plus important parce qu’il se jouait au sein de ma propre famille politique », poursuit Hirsh. « C’était là, près de moi, ce qui m’a permis de beaucoup mieux l’appréhender. »
Sa croyance est simple et fondée sur plusieurs principes, à commencer par celui qui commande de commencer par balayer devant sa propre porte. « Si on est de droite, au lieu de regarder la menace venue de la gauche, mieux vaut regarder le risque antisémite dans sa propre maison politique », dit Hirsh. Il en va de même à gauche, ajoute-t-il.
Le populisme, un outil pour l’antisémitisme
Hirsh estime que l’attrait croissant pour le populisme est particulièrement dangereux.
Fondé sur l’idée qu’une élite égoïste et invisible exploite « le peuple », le populisme n’est pas intrinsèquement antisémite, assure Hirsh, mais il donne l’occasion à ceux qui haïssent les Juifs de propager leurs idées. Il évoque à l’appui de ses propos les recherches publiées l’an dernier, menées avec ses collègues universitaires Daniel Allington et Louise Katz. Il en conclut que l’antisémitisme est beaucoup plus susceptible de toucher les personnes croyant aux théories complotistes – l’idée qu’une élite mondiale secrète « se cache derrière toutes les structures visibles de la société et la dirige » –, alors prêtes à envisager des actions draconiennes contre leurs adversaires politiques.

« Il suffit de connaître un tant soit peu l’antisémitisme pour voir immédiatement de quelle manière l’idée d’une « élite cosmopolite mondialiste » liée au capital est un terreau fertile pour l’antisémitisme », ajoute-t-il.
Comme il le rappelle, le populisme se retrouve à gauche comme à droite. « La situation est très grave en France », dit-il, avec la gauche populiste de Jean-Luc Mélenchon et la droite populiste de Marine Le Pen. « Les deux phénomènes sont très inquiétants. »
Hirsh estime par ailleurs que la situation des Juifs en Grande-Bretagne est complexe. « D’une certaine manière, les Juifs ne savent ni qualifier ni penser ce qu’ils vivent », dit-il. Mais le pays reste, selon lui, « l’un des meilleurs endroits pour les Juifs ».
Pour autant, il parle d’une intolérance croissante envers ceux qui expriment les idées sionistes, et ce, dans un nombre croissant de professions.
« Défendre ce qui est considéré comme sioniste peut facilement vous marginaliser dans de très nombreux domaines de la vie : c’est de plus en plus vrai, et particulièrement depuis le 7 octobre », dit Hirsh.
C’était déjà le cas au sein du monde universitaire, surtout dans le secteur des sciences sociales, depuis un certain temps. « C’est désormais assez largement le cas dans les arts et le secteur du soin – travail social, enseignement, médecine et même droit », ajoute Hirsh.
Nous ne sommes pas en 1933
En bref, dit Hirsh, ceux qui disent que « c’est comme en 1933 » ont tort. Comme ceux qui disent qu’il n’y a pas de problème.

Il admet qu’il n’existe pas de solution facile ou rapide au problème de l’antisémitisme. « Il y a une culture de l’antisémitisme et des façons de parler antisémites, qui sont assez bien enracinés », dit Hirsh en ajoutant qu’il n’y a pas de vrai consensus public sur ce qu’est l’antisémitisme, pour guider ceux qui sont au pouvoir.
« Je pense qu’il y a un autre problème pour les personnes au pouvoir – autorités universitaires, de la radiodiffusion ou de la police de Londres – : un très, très grand nombre de personnes estiment que ce qui nous semble antisémite ne l’est absolument pas et pourraient très, très vivement protester si on tentait de restreindre leur liberté de le dire », souligne-t-il.
« Il est difficile de demander à ceux qui ont le pouvoir administratif de faire des choses pour lesquelles il n’y a pas un large soutien », poursuit Hirsh, tout en suggérant que nombre d’entre eux pourraient faire nettement mieux ».
Hirsh critique certaines prises de positions du gouvernement travailliste britannique du Premier ministre Keir Starmer, arrivé au pouvoir en juillet dernier. Il n’est, par exemple, pas favorable à sa décision de rétablir le financement de l’UNRWA et de restreindre certaines ventes d’armes à Israël ou l’annonce du respect des termes du mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale à l’encontre du Premier ministre Benjamin Netanyahu.
Pour autant, Hirsh rend hommage à l’opposition farouche de Starmer au populisme. Compte tenu de ses craintes envers cette marée politique montante et ses conséquences sur les Juifs, cette opposition est une qualité importante qu’il reconnait à Starmer. Il ne tarit pas non plus d’éloges quant au bilan de Starmer depuis qu’il est devenu chef du Parti travailliste en 2020.
« Keir Starmer était, au sein du Parti travailliste, un ardent opposant à Jeremy Corbyn et son mouvement l’a emporté sur celui de Corbyn. Il a délogé Jeremy Corbyn du Parti travailliste », conclut Hirsh. Il a présenté ses excuses aux Juifs britanniques et à l’ensemble du pays pour l’antisémitisme qui avait existé au sein du Parti travailliste du temps de Corbyn. Je ne pensais pas que tout serait possible, certainement pas aussi rapidement. Il a pour l’heure toute mon estime. »
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