Le Brésil a refusé 16 000 visas aux Juifs pendant le régime nazi
Une experte de l'Holocauste indique que le nombre de demandes rejetées pourrait être encore plus élevé car l'étude ne couvre que certains documents
RIO DE JANEIRO – Le gouvernement brésilien a refusé quelque 16 000 visas aux Juifs européens qui tentaient d’échapper au régime nazi, selon de nouvelles recherches portant sur des milliers de documents brésiliens datant de la Seconde Guerre mondiale.
La recherche a été entreprise par les Archives virtuelles du Brésil de l’Institut de l’Holocauste et de l’Antisémitisme, ou Arqshoah. Les conclusions de l’étude ont été révélées pour la première fois la semaine dernière dans un documentaire diffusé par la télévision brésilienne.
Les chiffres sont basés sur des rapports mensuels envoyés par les diplomates brésiliens en service en Allemagne et dans les pays occupés par les nazis. Ils ont obéi aux ordres donnés dans 26 mémos secrets qui interdisaient au ministère brésilien des Affaires étrangères d’accorder des visas pendant le mandat des présidents Getulio Vargas et Eurico Gaspar Dutra, entre 1937 et 1950.
« Je pense que le nombre pourrait être beaucoup plus élevé, car je n’ai examiné qu’une partie de la documentation. Même après que les informations sur l’Holocauste ont été publiées, le gouvernement brésilien a continué à refuser des visas aux survivants qui, dans de nombreux cas, ont obtenu des visas en tant que catholiques », a déclaré l’historienne et experte de l’holocauste Maria Luiza Tucci Carneiro à JTA.
« Les deux gouvernements Vargas et Dutra étaient intolérants, avec des actions politiques marquées par la xénophobie, l’antisémitisme et le sentiment nationaliste, qui avaient de graves conséquences pour les Juifs qui cherchaient un pays hôte », a-t-elle déclaré.
Le résultat de l’étude approfondie est devenu un documentaire d’une durée d’une heure produit par le Brésil et l’Allemagne, intitulé « Chemins du reportage – Survivants de l’Histoire », diffusé par la télévision brésilienne le 22 juin. En Europe, des universitaires spécialistes de l’éducation nazie dans les écoles allemandes ont été consultés. Au Brésil, plusieurs témoignages ont été filmés.
« Sur la base des témoignages oraux, nous avons constaté que de nombreux réfugiés ou exilés au Brésil ont perdu des membres de leur famille pendant l’Holocauste parce qu’ils n’ont pas reçu de visa du gouvernement brésilien entre 1937 et 1945. Même la demande [de visa] du grand scientifique Albert Einstein n’a pas été suivie par le chancelier Oswaldo Aranha », a-t-elle précisé, faisant référence au diplomate brésilien qui a présidé la session de l’Assemblée générale des Nations unies qui a divisé le mandat britannique en Palestine en deux états, juif et arabe, en 1947.
L’étude menée par Tucci Carneiro a été soutenue par l’université de São Paulo, l’une des plus prestigieuses universités d’Amérique latine. Elle présentera un livre basé sur 6 000 documents diplomatiques de l’ère nazie au mémorial de la Shoah à Paris le 2 juillet.
« Même ceux qui ont survécu au génocide nazi ont eu des difficultés à obtenir leurs visas ou à régulariser leur citoyenneté après leur entrée en état d’apatridie. Les symptômes du traumatisme et de la douleur continuent de marquer les voix de ces survivants dont les trajectoires sont des exemples de courage et de lutte pour la dignité dans des temps sombres », a-t-elle déclaré.
En janvier, le président du Brésil, Michel Temer, a assisté à une cérémonie marquant la Journée internationale de commémoration de l’Holocauste, organisée dans la plus grande synagogue du pays, la Congrégation israélienne Paulista formée de 2 000 familles, affiliée aux mouvements conservateurs et réformistes.
« Se souvenir de l’Holocauste dans toutes ses souffrances et ses angoisses est une préparation pour l’avenir. Il nous appartient à tous comme une leçon. Un jour peut passer, un mois peut passer, des années peuvent passer, des siècles peuvent passer, mais il faut se rappeler de l’Holocauste car c’est une leçon pour l’avenir et pour le moment présent », avait déclaré Temer.