Le dernier membre de l’équipage de l’opération Tapis volant raconte son héroïque mission
Les organisations juives à New York, cette semaine, ont rendu hommage au capitaine à la retraite Elgen M. Long, 91 ans, qui, pendant 2 ans, aura ramené 50 000 Yéménites en Israël entre 1948 et 1950
NEW YORK — Avant de lancer son enquête qui aura duré plusieurs décennies sur la disparition d’Amelia Earhart, mais bien après avoir effectué 100 missions de combat aux côtés de la marine américaine pendant la Deuxième guerre mondiale, le capitaine dorénavant à la retraite, Elgen M. Long, a sauvé des vies dans le ciel du Yémen.
Aujourd’hui âgé de 91 ans, Long est le seul survivant de l’équipage d’Alaska Airlines ayant participé à la phase « sur des ailes d’aigle » de l’opération Tapis volant, qui avait permis à 50 000 Juifs yéménites de venir en Israël grâce à un pont aérien mis en place entre 1948 et 1950.
Long et Alaska Airlines ont été salués mardi pour l’incroyable travail qu’ils ont mené au musée du patrimoine juif de New York. Alaska Airlines a reçu le prix du sauveur d’Israël remis par StandWithUs. De plus, la fédération séfarade américaine a distingué Long en lui remettant son prix Maïmonide de l’amitié.
« Alaska Airlines a survolé tous les territoires ennemis en affrontant des risques immenses pour faire ce qui lui semblait juste. C’est un exemple de courage et de dignité humaine, qui est à la hauteur de notre honneur de vous avoir ici et de notre profond respect. Israël et la communauté yéménite vous seront reconnaissants pour l’éternité », a déclaré Shahar Azani, administrateur de StandWithUs New York.
L’histoire qui raconte comment Long en est arrivé à devenir navigateur à bord de cette mission humanitaire est d’abord celle d’un jeune homme qui, dès son plus jeune âge, a nourri ardemment le désir de servir. Et comme tant d’autres vétérans et de premiers intervenants, cet ancien navigateur et pilote, qui a encore l’allure d’un militaire, vous dira qu’il a simplement fait ce qu’il avait à faire.
« C’était important pour ces gens. Leurs vies en dépendaient. C’était une histoire de vie ou de mort et nous avons fait les choses le mieux que nous le pouvions. Ils avaient besoin d’aide », explique Long.
Long a grandi à McMinnville, dans l’Oregon, dans la vallée de Willamette. Peu après le bombardement de Pearl Harbor par les Japonais, il a su qu’il voulait rejoindre l’effort de guerre. Mais il y avait un problème. Long n’avait que 15 ans.
‘Mes parents savaient que je partirais tôt ou tard. Ils ont donc signé le serment à l’occasion de mon 15ème anniversaire’
« J’étais très précoce. Mon frère était entré dans la marine et je voulais le rejoindre. Mes parents savaient que je partirais tôt ou tard. Ils ont donc signé le serment à l’occasion de mon 15ème anniversaire », dit Long.
Alors il a suivi les cursus de l’école de radio des unités d’aviation, celui de l’artillerie aérienne, les programmes de radio avancés, de navigation aérienne et de bombardement par radar. Il a été promu officier marinier de troisième classe, puis officier marinier de deuxième classe et enfin officier marinier première classe. Et sur le fait qu’il était encore mineur ?
« Il y avait une guerre qui était en cours. Il y avait d’autres choses dont il fallait s’inquiéter. Si vous étiez adapté à la tâche, si vous étiez utile, on vous regardait autrement », répond-il.
Très rapidement, Long a effectué des missions de combat depuis un hydravion à travers tout le sud du Pacifique. Pendant la bataille de la mer des Philippines, il a été assigné au vaisseau amiral du père du sénateur John McCain, le Vice-Amiral John McCain senior.
Patrouillant à 1 000 kilomètres environ dans toutes les directions, les soldats étaient les yeux et les oreilles de l’amiral.
Long a finalement passé Noël, en 1944, chez ses parents. Son équipage était revenu aux Etats-Unis tandis que les avions subissaient des révisions et étaient équipés de matériels supplémentaires, notamment de nouveaux radars.
Puis il est retourné à Okinawa où sa nouvelle mission a consisté à s’occuper des contre-mesures radar. Ce travail était tellement secret que personne, à bord de l’avion, ne savait ce qu’il faisait. Il se trouvait au Japon lors de Hiroshima et de Nagasaki et lors du cessez-le-feu du 15 août 1945, survenu trois jours après son 18e anniversaire.
Long est rentré à temps chez lui pour Noël. Il a eu une note de 97 % à son diplôme secondaire et a obtenu un diplôme en aéronautique au Collège de San Mateo de Californie.
Bien sûr, il ne passait pas tout son temps dans les livres.
Long a rencontré Marie Kurlich, la femme qu’il devait épouser et qui devait devenir plus tard sa partenaire durant une enquête de 40 ans sur la disparition d’Earhart au dessus de Howland Island. Après s’être entretenu avec plus de cent témoins et examiné presque 25 000 pages de documents et de rapports, le couple a conclu qu’aucune preuve crédible ne permettait de modifier la conclusion qui avait été tirée par la marine en 1937 : Son carburant épuisé, l’avion d’Earhart s’était abîmé en mer, à proximité de Howland Island.
Mais avant cela, Long avait un rôle à jouer qui allait rester dans l’histoire.
Après un essai dans l’entreprise Flying Tigers, une compagnie de fret aérien qui avait établi des contrats de travail avec l’armée, il a obtenu un emploi auprès d’Alaska Airlines qui, suivant le même type de contrat avec des militaires, recherchait un navigateur et un opérateur radio.
Au mois de janvier 1948, il a été envoyé sur des vols dans le nord du Pacifique. Quelques mois plus tard, lui et son équipage ont reçu un câble du président d’Alaska Airlines, James Wooten.
« On nous a dit d’aller à Aden mais en laissant derrière nous les hôtesses de l’air », raconte Long.
Peu après leur arrivée à Aden, ils ont pris connaissance de leur mission : Extraire par le biais d’un pont aérien deux mille réfugiés environ et les emmener en Israël. Dans les années qui avaient mené à la déclaration de l’ONU établissant l’Etat juif et dans les années qui avaient suivi, la vie des Juifs yéménites s’était détériorée.
« ‘Ils sont malades et nous n’avons pas les personnes nécessaires pour s’occuper d’eux. Ils ont faim mais nous n’avons pas les produits alimentaires nécessaires pour les nourrir. Ils ont besoin de vêtements mais nous n’en avons aucun à leur donner. Nous ne pouvons pas les protéger, nous n’avons pas les gens qui puissent le faire. Ils sont une cible légitime pour les Arabes locaux. Il y a eu un pogrom, plus de 80 d’entre eux ont été déjà tués. Sortez-les de là le plus vite possible », dit Long, se remémorant les propos qui lui avaient été tenus.
L’avion de Long n’avait pas suffisamment de places pour accueillir tout le monde. Et, sur suggestion des mécaniciens, l’équipage a enlevé tous les sièges et créé un espace qui pouvait contenir 150 personnes.
« Personne ne pensait aux ceintures de sécurité. On ne pensait qu’à extraire tout le monde de là, le plus grand nombre en même temps »
« Personne ne pensait aux ceintures de sécurité. On ne pensait qu’à extraire tout le monde de là, le plus grand nombre en même temps », se rappelle Long.
C’était déjà une chose de voler en bravant les tirs anti-aériens, les balles, ou en passant au-dessus du territoire contrôlé par les Japonais. Et pourtant, rien ne l’avait préparé à ce qu’il a découvert sur le tarmac d’Aden.
« Ils n’avaient pas de bagages. La majorité d’entre eux n’avait même pas de chaussures. Ils avaient marché depuis l’endroit où ils vivaient pour arriver ici [sur la base]. Ils avaient marché pieds nus à travers le désert pour venir. Certains arrivaient de Sanaa, à 380 kilomètres de là », s’exclame Long.
Ils sont restés devant l’avion. Leur hésitation et leur appréhension étaient palpables.
« Un grand nombre d’entre eux n’avaient jamais vu un avion auparavant. Puis leur rabbin leur a dit : ‘C’est votre aigle qui va vous emmener pour votre alyah' », ajoute Long, se référant au verset 19:4 de l’Exode : « Et comment je vous ai portés sur des ailes d’aigle et amenés vers moi ».
Il n’y avait pas d’escalier pour monter à bord, simplement une échelle. Et les passagers sont donc montés un à un, se passant les bébés et les petits enfants.
Puis ils ont décollé, suivant un parcours de vol soigneusement réfléchi au milieu de la mer Rouge, au dessus du Golfe d’Aqaba, au-dessus d’Eilat, de Beer Sheva avant d’atterrir à Tel Aviv. Aucun plan de vol n’avait été rempli. Seuls les Britanniques, les Américains et les Israéliens savaient d’où ils venaient et quelle était leur destination.
Pendant les deux années suivantes, Long, aux côtés des capitaines Sam Silver et Warren Metzger et du pilote en chef Robert McGuire junior, ont aidé à faire se réaliser pleinement la prophétie biblique qui annonçait le retour des Juifs yéménites au sein de leur foyer – Israël – « sur les ailes d’un aigle ».
Les journées de travail duraient entre 16 et 20 heures. Après avoir débarqué les passagers à Tel Aviv, l’équipage avait pris l’habitude de s’envoler vers Chypre pour y passer la nuit. Alaska Airlines ne pouvait laisser les avions sur le tarmac israélien en raison des opérations de bombardement menées par les pays arabes voisins.
Alaska Airlines avait estimé que ce pont aérien était une nécessité juste. Son président, James A. Wooten, avait décidé d’apporter son aide peu de temps après avoir été contacté par la JDC (American Joint Distribution Committee).
« L’une des valeurs au coeur de notre entreprise et à laquelle tiennent les employés d’Alaska Airlines est : ‘Faire ce que l’on doit faire’. Ayant répondu à l’appel à soutenir les efforts humanitaires de l’opération tapis volant, il y a presque 70 ans, nous saluons le dévouement des hommes et des femmes qui ont volé ‘sur les ailes des aigles’ pour faire ce qu’il fallait faire », commente Tim Thompson, manager des affaires publiques chez Alaska Airlines.
La compagnie aérienne aura finalement fait 430 vols. Long a participé à douze d’entre eux.
Chaque vol était périlleux en lui-même. Le carburant était rare et les tempêtes de sable fréquentes. Il fallait éviter les atterrissages sur les sols arabes coûte que coûte. L’équipage avait été averti que si un tel atterrissage devait arriver, les passagers seraient probablement tués.
Et en effet, conseil leur avait donné qu’en cas d’atterrissage forcé, les pilotes devaient plutôt tenter de projeter l’avion en mer à proximité d’un bateau européen, explique Long.
« On nous a dit : ‘Vous serez plus nombreux à survivre de cette façon que si vous atterrissez dans un pays arabe », ajoute Long.
Heureusement, un tel cas de figure ne se sera jamais présenté, à l’exception de l’atterrissage en catastrophe d’un avion qui avait perdu son moteur.
Long se souvient de son premier atterrissage en Israël.
« Ils [les réfugiés] descendaient l’échelle et ils embrassaient le sol. Ils savaient qu’ils avaient participé à quelque chose d’historique et peut-être étaient-ils en train de réaliser une prophétie », dit-il.
Pour Azani, la chance de rencontrer Long et de lui remettre ce prix a eu un goût particulier. En 1949, ses grands-parents paternels et son père, qui n’était alors âgé que de trois ans, avaient fui le Yémen à bord de l’un de ces avions.
« J’ai dit à Elgen : ‘Sans vous, je n’existerais pas’. Il ne s’agit pas de ce que je suis aujourd’hui, je n’existerais tout simplement pas. Sachant ce qui est arrivé aux populations du Yémen, Shahar n’existerait pas aujourd’hui. Nous n’aurions pas survécu », explique Azani.
Azani a passé de nombreux après-midis avec ses grands-parents sur le balcon du quatrième étage du logement mis à disposition par le gouvernement à Ramat Gan à écouter leurs récits sur le Yémen, sur leur arrivée en Israël alors qu’ils ne possédaient rien.
« Ils disaient : ‘Nagila, bénis notre chance de nous trouver enfin chez nous », ajoute Azani. « Chaque alyah, chaque vague d’immigrants connaît ses propres difficultés. Ce n’était pas une rencontre facile entre l’est et l’ouest. Mais ils ont ressenti un tel bonheur de vivre en Israël. D’être en mesure de construire une vie, d’avoir la liberté, de vivre le rêve israélien ».
Au mois de juillet dernier, Azani s’est rendu à Anchorage, en Alaska, pour remercier Alaska Airlines et pour voir une exposition permanente présentée au musée juif d’Alaska sur le pont aérien intitulée : « Sur les ailes des aigles : la contribution de l’Alaska à l’opération Tapis volant ».
Le rabbin Joseph Y. Greenberg, président du musée juif d’Alaska, a eu envie de raconter cette histoire après avoir appris le rôle tenu par la compagnie aérienne dans le pont aérien, dans un magazine de bord.
L’exposition retrace l’histoire du pont aérien à travers des photographies, des documents et des supports audiovisuels.
« L’exposition souligne les actions héroïques des pilotes d’Alaska Airline qui ont mené à bien tout cela dans des conditions de vol très difficiles. Mais il y a un autre niveau que nous souhaitions mettre en lumière, c’est que ces pilotes étaient impliqués au niveau émotionnel dans cette mission », explique Leslie Fried, curatrice du musée.
« L’autre partie de l’histoire, ce sont les Juifs yéménites eux-mêmes. Nous voulions que les gens comprennent l’histoire des Juifs yéménites et leur relation avec le nouvel état d’Israël », ajoute-t-elle.
Aujourd’hui, plus de 750 000 juifs d’origine yéménite vivent en Israël. Ce sont autant de Juifs qui, sans l’opération Tapis volant, pourraient bien n’avoir pas survécu.
C’est une réflexion qui a hanté Long pendant longtemps.
« J’ai eu suffisamment de chance pour avoir trouvé un domaine dans lequel j’étais bon », conclut-il. « Il s’est trouvé que j’étais un très bon opérateur radio. Il s’est trouvé que j’étais un très bon pilote ».