Le gouvernement accusé d’avoir minimisé la menace des feux malgré des années d’avertissements
Les responsables ont réduit le budget des services de lutte contre les incendies, déjà en sous-effectif, et le Conseil national de sécurité a ignoré les appels à la tenue d'une session consacrée à la préparation aux feux de forêt
Sue Surkes est la journaliste spécialisée dans l'environnement du Times of Israel.

Le 20 décembre 2010, deux semaines après que 44 personnes ont perdu la vie dans un gigantesque incendie qui avait ravagé la forêt du Carmel, à proximité de Haïfa, le Premier ministre Benjamin Netanyahu avait bloqué la création d’une commission d’enquête d’État. La commission du contrôle de l’État de la Knesset avait préféré opter pour un rapport du contrôleur de l’État – dont les conclusions et les accusations seraient beaucoup plus faciles à ignorer.
En 2012, le contrôleur de l’État, Micha Lindenstrauss, avait publié son rapport qui mettait en évidence un nombre stupéfiant d’omissions et de défaillances, en particulier dans le fonctionnement des systèmes de commandement et de contrôle de la police, soulignant aussi un manque d’effectifs et d’équipements. À l’époque, le nombre de pompiers et de camions de pompiers en Israël correspondait à un quart du nombre enregistré dans les pays développés de taille similaire, et les entrepôts ne possédaient qu’un dixième du matériel de lutte contre les flammes qu’ils étaient censés avoir à leur disposition.
Quelques leçons avaient été tirées de cet incendie qui avait fait rage pendant 80 heures et qui avait dévasté presque 5 000 hectares. Cinq millions d’arbres étaient partis en fumée et des centaines de maisons avaient été réduites en cendres. Il y avait eu des changements : la responsabilité des casernes de pompiers avait été notamment transférée. Jusqu’alors confiée aux autorités locales individuelles, cette responsabilité était passée entre les mains d’un service national des pompiers qui était doté d’une chaîne de commandement claire. Autre changement : la création d’une escadrille de lutte aérienne contre les incendies.
Des séries de grands incendies avaient éclaté dans tout le pays en 2016 et dans la région de Jérusalem en 2021. Et de nouveaux feux se sont à nouveau déclenchés cette semaine, emportant des vies entières et des maisons, forçant les communautés à évacuer et détruisant les forêts. A chacune de ces occasions, experts et responsables ont pointé du doigt le manque de préparation et les avertissements qui n’ont pas été pris en compte par les dirigeants.
Les experts affirment que les incendies de forêt sont favorisés par l’abondance de la végétation en proie à la sécheresse et par les vents forts, et qu’ils sont généralement déclenchés délibérément ou par négligence.
À mesure que le dérèglement climatique élargit son empreinte et que les périodes de chaleur et de sécheresse intense deviennent plus longues et plus fréquentes, avec des précipitations extrêmes qui favorisent la croissance des broussailles, le risque ne peut que s’accroître.
Les décisionnaires ont réagi avec indifférence
Mercredi, alors que les pompiers luttaient pour contenir les incendies qui ravageaient les collines entourant Jérusalem, Dov Ganem, président de l’Association des pompiers et des secours aériens, a indiqué au site d’information Walla que cela faisait déjà 18 ans qu’il mettait en garde contre le manque de préparation de l’État face à d’éventuels incendies de grande ampleur.
Ganem a expliqué qu’il insiste depuis longtemps sur la nécessité de mettre en place des moyens aériens à la hauteur dans la lutte contre les incendies – mais qu’il n’a rencontré que de l’indifférence chez les décisionnaires.

Au mois de janvier, alors que les incendies de forêt faisaient des ravages dans le sud de la Californie, Itzik Oz, commandant du district du sud au sein des Services des incendies et des secours, avait confié au Times of Israel qu’un désastre similaire à celui de Los Angeles n’était pas à exclure en Israël.
Les responsables des sapeurs-pompiers avaient fait remarquer qu’Israël ne disposait pas des effectifs nécessaires pour prendre en charge des feux de cette ampleur. Alors que la norme mondiale est d’un pompier professionnel pour mille habitants, il n’y a qu’un pompier pour 4 500 habitants au sein de l’État juif.
« Nous sommes sollicités de bout en bout, » avait confié Tal Volvovitch, le porte-parole des Services des incendies et des secours.
Au mois de juillet 2023, un rapport établi par le Centre de recherche et d’information de la Knesset avait mis en évidence les écarts entre les besoins et les ressources disponibles. Le rapport avait constaté qu’il n’y avait que 123 casernes de pompiers sur l’ensemble du territoire alors qu’il en fallait 150, et qu’il n’y avait que 2 400 postes de pompiers alors qu’il en fallait 3 366 – soit un écart de 29 %. Les Services avaient alors accès à 14 avions de lutte contre les incendies, à six hélicoptères de police, 41 drones et deux avions de transport de l’armée de l’air – des chiffres déterminés non pas en fonction des besoins, mais des budgets disponibles, avaient indiqué les Services des incendies et des secours.
Et au lieu de renforcer les services de lutte contre le feu, le gouvernement a réduit leur financement de 217 millions de shekels au mois de mars, dans le cadre du budget de l’État.
Il a également bloqué l’achat prévu d’hélicoptères Blackhawk qui étaient destinés à renforcer les forces aériennes des pompiers, selon Tomer Lotan, l’ancien directeur du ministère de la Sécurité publique – devenu ministère de la Sécurité nationale – sous le gouvernement du Premier ministre Naftali Bennett.

Dans un post écrit mercredi sur X, Lotan a déclaré qu’il avait piloté un projet, approuvé par Bennett, qui visait à acheter les hélicoptères dans le cadre d’un plan national de lutte contre les incendies de forêts et autres qui avait été approuvé par le gouvernement au mois de février 2022.
Une acquisition qui avait finalement été suspendue par le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, après qu’il a pris le contrôle du ministère et l’a rebaptisé. Selon Lotan, Ben Gvir avait prétendu à tort que les hélicoptères étaient destinés au commissaire de police.
« J’ai fait de mon mieux pour expliquer qu’il s’agissait d’hélicoptères de lutte contre les incendies censés améliorer les capacités aériennes d’Israël », a écrit Lotan. « Bien sûr, c’était comme parler à un mur. De faux arguments ont bloqué le projet Blackhawks – les empêchant de se trouver ici aujourd’hui, deux ans et demi plus tard : ils auraient donné un coup de pouce vital dans la lutte contre les incendies géants. »
« Je regarde les images de l’incendie qui fait rage et mon sang ne fait qu’un tour », a-t-il ajouté dans sa publication.
Suite aux incendies de Los Angeles, les députés de l’opposition, menés par Yorai Lahav-Hertzano (Yesh Atid), avaient demandé au mois de février une discussion urgente au sein de la commission chargée de la sécurité nationale.

Cela n’a été que mercredi, alors que les incendies faisaient rage à l’extérieur de Jérusalem, qu’il a été informé qu’une telle réunion avait été programmée pour le 6 mai.
Au mois de mars, le Forum présidentiel sur le climat, placé sous la houlette de l’ancien député Dov Khenin, avait demandé au Premier ministre d’organiser une discussion d’urgence sur la préparation aux dangers présentés la sécheresse et par d’éventuels phénomènes climatiques extrêmes avant l’été.
Malgré les relances, l’appel est resté sans réponse.
Au mois de juillet 2024, les Services des incendies et des secours avaient eux-mêmes fait l’objet de critiques cinglantes de la part du contrôleur de l’État, dans un contexte de mises en garde lancées face à une éventuelle catastrophe entraînée par un incendie. Matanyahu Englman avait constaté que les Services n’avaient enquêté que sur environ 9 % des incendies qu’ils avaient pris en charge en 2022, un pourcentage qui avait seulement grimpé à 14 % en 2023. Plus de 50 % des dossiers ouverts entre 2020 et 2022 l’étaient toujours un an plus tard.

L’audit avait révélé que les Services fonctionnaient sans documents écrits et approuvés sur la manière de conduire les enquêtes ouvertes sur les incendies. Il avait également établi que la politique existante ne reposait ni sur une analyse des risques documentée, ni sur des pratiques de gestion optimales.
Le rapport avait aussi noté que 75 % des dossiers ouverts par la police sur la base de soupçons d’incendies d’origine criminelle, entre 2019 et 2022, avaient été clôturés sans mises en examen. Au cours de ces années, 228 dossiers avaient été ouverts dans des cas où il avait été estimé que les feux pouvaient avoir été déclenchés par des terroristes, mais des actes d’inculpation n’avaient été déposés que dans un tiers d’entre eux.
Englman avait averti que « le ministre de la Sécurité nationale et les Services concernés doivent apporter des solutions appropriées au danger présenté par les incendies. Protéger les citoyens israéliens des incendies est le devoir le plus important du gouvernement ».
Un changement de culture s’impose
Si les pompiers luttent encore à l’heure où ces lignes sont écrites, pour maîtriser les incendies, il y a eu peu de blessés graves par rapport à d’autres feux de cette ampleur – et il n’y a eu que peu de scènes de panique lors des évacuations des maisons de retraite ou autres résidences communes.
Au moins 18 personnes ont été admises à l’hôpital Kaplan et à l’hôpital Shamir, principalement parce qu’elles avaient inhalé des fumées toxiques ou pour des brûlures. Parmi elles, deux femmes enceintes et deux enfants en bas âge.
Dix autres personnes ont été prises en charge par les secours – mais elles n’ont pas eu besoin d’être hospitalisées. Les Services des incendies et des secours ont annoncé que douze pompiers avaient été légèrement blessés en combattant les flammes.
Affirmant que les Services des incendies et des secours ont pris possession de nombreux nouveaux équipements au cours des dernières années, l’ancien commissaire de l’instance, Dedi Simchi, a déclaré mercredi soir devant les caméras de la chaîne d’information N12 que les principales difficultés étaient la prévention des incendies et l’absence d’une culture de la sécurité.

Il a ajouté que les propriétaires devaient prendre davantage de responsabilités en ce qui concerne le débroussaillage de la végétation autour de leurs habitations.
Chaque année, le Fonds national juif KKL-JNF et l’Autorité israélienne de la nature et des parcs se préparent au début officiel de la saison des incendies, le 1er mai, en créant et en maintenant des zones-tampons sans végétation et en débroussaillant les sous-bois et autres.
Mais les autorités locales et les communautés, au niveau individuel, doivent également s’occuper de leur propre jardin, affirment les responsables.
Il y a trois ans, des incendies avaient ravagé 1 200 hectares de forêt aux abords de Jérusalem en l’espace de 52 heures – si la piste criminelle avait été privilégiée, elle n’a jamais été prouvée. Plus de 2 000 personnes avaient été évacuées de leur domicile et plusieurs maisons avaient été détruites, même si les zones habitées avaient été largement épargnées.

Il y a deux ans, le chef des Services d’incendie et de secours du district de Jérusalem, Eyal Cohen, avait indiqué que la majorité des communautés situées dans le secteur de Mateh Yehuda, où la plupart des incendies de mercredi ont fait rage, n’avaient pas suivi les instructions de débroussaillage qui leur avaient été données, ajoutant que la forêt environnante s’apparentait « à une bombe à retardement ».
À l’époque, un porte-parole du conseil régional de Mateh Yehuda avait déclaré au Times of Israel que ce dernier n’était pas habilité à effectuer ce travail au sein des communautés et que les terres qui les bordaient n’étaient pas prises en charge par le conseil mais par d’autres organismes, comme le KKL-JNF et l’Autorité des parcs.
Un rapport gouvernemental de 2017 avait recommandé la création d’un organisme de contrôle unique chargé de superviser les efforts coordonnés à l’échelle nationale visant à mettre en œuvre des mesures de prévention dans toutes les forêts d’Israël, indépendamment de leur propriétaire ou de leur gestionnaire.
Une source au sein des Services des incendies et des secours a confié au Times of Israel, mercredi dans la soirée, qu’un Forum national sur les incendies, composé de représentants de plusieurs organismes, avait été créé sous la direction du commissaire aux incendies et aux secours Eyal Caspi afin de garantir une approche mieux coordonnée de cette problématique.