Le gouvernement dans le « déni » de la menace du changement climatique – Knesset
Malgré des liens clairs entre hausse des températures, manque d'eau et conflits sécuritaires, peu d'actions sont entreprises contre le réchauffement global
Sue Surkes est la journaliste spécialisée dans l'environnement du Times of Israel.
En dépit des mises en garde constantes concernant le dérèglement climatique et d’une décision gouvernementale visant à atténuer ses effets, l’Etat n’a prévu qu’un modeste budget pour préparer le pays à ce qui pourrait s’avérer être, au final, une menace faite à la sécurité nationale, a-t-il été dit lors d’une intervention prononcée devant une commission de la Knesset, lundi.
Il n’y a qu’un seul employé à temps-partiel qui est chargé de travailler sur la question au ministère de la Protection environnementale et deux employés – eux aussi à temps partiels – au sein du ministère de la Santé. Il n’existe aucune base de données scientifiques pour la prise de décision politique et aucun fonds n’a été alloué pour aider les autorités nationales ou locales à faire le nécessaire de manière à protéger les citoyens des inondations, des vagues de chaleur, des maladies et autres menaces liées au réchauffement global.
Les ministères – tels que ceux de l’Environnement, de l’Intérieur et de l’Energie – et certaines instances comme les services israéliens de la météorologie et les autorités locales travaillent ensemble du mieux qu’ils le peuvent mais, tant que le gouvernement ne comprendra pas, comme l’a réalisé le Forum économique mondial au cours de ces dernières années, que le changement climatique n’est pas seulement une question environnementale mais bien une menace nationale grave et stratégique, les budgets nécessaires ne seront pas alloués et le pays ne sera pas prêt à faire face au phénomène avec des préparations qui resteront au stade de l’intention, ont entendu les législateurs.
Prenant la parole lors de la première d’une série de réunions consacrées à l’état de préparation de l’Etat juif au changement climatique, des rencontres qui avaient été programmées par la commission des Affaires intérieures et de la protection environnementale de la Knesset, la docteure Shira Efron, chercheuse à l’Institut d’études de sécurité nationale (INSS) et conseillère spéciale pour Israël au sein du think-tank RAND Corporation, a noté un gouffre entre l’Etat juif et les Etats-Unis, notant que malgré le scepticisme affiché par le président américain Donald Trump, le changement climatique figurait déjà sur la liste des menaces du gouvernement fédéral.
« Le changement climatique n’est pas la seule cause de conflit mais nous savons qu’il augmente les instabilités », a-t-elle déclaré. Au Moyen-Orient, les deux tendances semblent s’entremêler de manière inquiétante. La hausse des températures a été liée à des violences accrues entre les groupes ethniques.
Environ 100 millions de personnes dans le monde manquent déjà d’eau potable, a continué Efron, un fait qui a provoqué des conflits et menacé la sécurité alimentaire.
Environ 40 % des pays les plus menacés par les pénuries d’eau se trouvent au Moyen-Orient. Depuis 2011, 40 conflits violents entraînés par l’eau ont eu lieu dans la région.
Dans le cas le plus grave, le manque d’eau a amené 1,5 million de Syriens à quitter leurs villages pour les zones urbaines, créant des conditions qui ont finalement débouché sur la guerre civile syrienne.
Sur le territoire d’Israël, le réchauffement global aurait un impact grave sur les capacités opérationnelles de l’armée, a continué Efron, affectant la santé des soldats et leurs aptitudes à s’entraîner et à mener des opérations en plein air. Les infrastructures seraient aussi touchées. Par exemple, a-t-elle dit, les systèmes électroniques installés dans les avions tomberaient en panne au-delà de certaines températures comme cela arrive déjà au Koweït et au Qatar – un facteur que l’armée israélienne doit prendre en compte lorsqu’elle fabrique de nouveaux appareils.
« Israël doit reconnaître le changement climatique comme une menace sécuritaire de premier ordre », a conclu Efron, notant qu’une fois que la question serait considérée comme une priorité par le ministère de la Défense, il serait plus facile d’obtenir de l’argent auprès du Trésor.
Pour sa part, Alon Zask, vice-directeur des ressources naturelles au sein du ministère de l’Environnement – qui est également chef de l’Administration de préparation au changement climatique – a estimé que « nous ne pourrons pas avancer tant que cette réalité ne sera pas comprise ». L’Administration, qui est dotée d’un budget de seulement 500 000 shekels et qui n’a pas de personnels à plein-temps à disposition, avait passé deux ans à travailler avec d’autres ministères et des groupes issus de la société civile pour déterminer les actions nécessaires à entreprendre.
« Maintenant que nous savons ce qu’il faut faire et que nous avons des projets, il faut que nous les mettions en oeuvre et que nous les financions », a ajouté Zask.
Israël doit reconnaître le changement climatique comme une menace sécuritaire de premier ordre
Un responsable du ministère des Finances, Daniel Metzger, a indiqué que la division des budgets était en attente des détails, après quoi elle « mènera une analyse de rentabilité comme elle le fait pour tous ses projets ». Si le ministère de l’Environnement considérait le dossier comme une priorité, il disposerait également de ses propres budgets, a-t-il continué.
Déplorant lui aussi un manque de fonds, Gedi Aboudi, de l’Autorité des urgences nationales qui dépend du ministère de la Défense et qui est connue en hébreu par un acronyme, Rahel, a promis que la question du changement climatique serait davantage prise en compte que dans le passé sur la prochaine liste répertoriant les menaces, qui sera présentée au gouvernement au mois de mars.
La liste de ces menaces est réactualisée tous les cinq ans. Le dernière, en 2016, avait fait état de la menace des incendies liés au climat suite aux feux dévastateurs de cette année-là et du sinistre tragique, en 2010, qui avait détruit la forêt de Carmel et qui avait fait 44 morts. Aujourd’hui, suite aux tempêtes qui, au mois de janvier, ont fait sept morts, l’Autorité examine aussi la menace représentée par les inondations, a déclaré Aboudi.
« Mais pourquoi ne portez-vous pas tout ça à l’attention du cabinet dès
maintenant ? », a explosé la présidente de commission Miki Haimovich, issue des rangs de Kakhol lavan. « Personne ne comprendra l’urgence si vous ne transmettez pas le message que c’est en effet un message stratégique. Il ne s’agit pas seulement d’incendies et d’inondations : C’est bien plus important que ça ».
Haimovich a alors pris à partie Yaniv Yosef Arad, du Conseil de sécurité national, rattaché au bureau du Premier ministre, qui a affirmé que le CSN n’était pas impliqué dans l’Administration de préparation au changement climatique parce qu’il n’y avait pas été invité. Lui disant qu’il témoignait d’une « étroitesse d’esprit », c’est une Haimovich exaspérée qui s’est exclamée que « Nous sommes ici pour
dire : ‘Réveillez-vous !’ Il y a une crise démente qui se présente en face de nous et le CSN ne l’a pas compris. Le CNS ne doit pas attendre d’être invité parce qu’en tant qu’instance responsable de la sécurité nationale, c’est lui qui aurait dû prendre l’initiative ! »
La docteure Sinaia Netanyahu, qui a été la cheffe scientifique du ministère de l’Environnement entre 2011 et le mois de mars 2018, et qui a été récemment choisie pour diriger le programme d’impacts sanitaires et environnementaux au bureau européen de l’Organisation mondiale de la santé, avait présenté ses recommandations en vue d’un plan national d’adaptation au changement climatique et aux événements météorologiques extrêmes juste avant de quitter le ministère.
Avec cinq objectifs et 31 plans d’action, son lourd pavé avait concentré plusieurs années de travail avec des universitaires, de hauts-responsables de ministères gouvernementaux et les autorités locales ainsi que des organisations issues de la société civile.
A l’époque, Netanyahu avait appelé à ce que l’administration soit dirigée par des scientifiques spécialistes du climat (ce que n’est pas Zask) et à ce que dix millions de shekels soient alloués chaque année et pendant dix ans à la construction d’une infrastructure de connaissances et de données scientifiques qui puisse faciliter les processus décisionnaires. Ces deux demandes étaient restées sans réponse.
Notant que le Conseil de sécurité national avait été invité à des forums consacrés au changement climatique depuis 2011, Netanyahu – après avoir écouté les interventions variées – a déclaré : « Je suis très choquée qu’on en soit là aujourd’hui. Je pense que les ministres du gouvernement sont dans le déni ».
Les initiatives prises aujourd’hui pour limiter les gaz contribuant au réchauffement climatique n’auront pas d’effet au cours des 30 prochaines années mais elles aideront nos petits-enfants
En tant qu’économiste de l’environnement, Netanyahu a indiqué que les formes d’analyses de rentabilité effectuées par le ministère des Finances sur des projets liés au changement climatique étaient impossibles. C’est une « transversalisation » qui est nécessaire, une approche et un mode de pensée qui puissent intégrer les exigences environnementales dans le processus décisionnaire sur tous les sujets.
Alors qu’il lui était demandé si la perspective du réchauffement climatique l’effrayait, Nir Stav, directeur des services de météorologie israéliens, qui viennent d’émettre un rapport prédisant une hausse de 5 degrés maximum des températures estivales d’ici la fin du siècle, a expliqué : « Je suis inquiet quand je constate qu’il n’y a aucune préparation, ni aucun budget pour prendre en charge le phénomène ». Il a souligné que les initiatives prises aujourd’hui pour limiter les émissions des gaz à effet de serre « aideront nos petits-enfants », mais qu’elles ne changeront rien dans les trente années à venir.
Haimovich a déclaré qu’elle demanderait à Zvi Hauser, président de la commission des Affaires étrangères et de la Défense, de programmer un débat sur les menaces représentées par le changement climatique.