Israël en guerre - Jour 492

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Analyse

Le projet de loi sur les conversions vise les orthodoxes, pas les réformés

La législation au cœur de la flambée des tensions entre Israël et la Diaspora n'affectera presque personne. Alors pourquoi tout le monde est-il si bouleversé ?

Haviv Rettig Gur est l'analyste du Times of Israël

Natan Sharansky,  au centre, président de l'Agence juive, et Dov Lipman, alors député, en costume cravate à droite, lors d'une manifestation organisée par les Juifs orthodoxes américains et israéliens et les Juifs conservateurs devant les bureaux du grand-rabbinat à Jérusalem, le 6 juillet 2016 (Crédit : Hadas Parush/Flash90)
Natan Sharansky, au centre, président de l'Agence juive, et Dov Lipman, alors député, en costume cravate à droite, lors d'une manifestation organisée par les Juifs orthodoxes américains et israéliens et les Juifs conservateurs devant les bureaux du grand-rabbinat à Jérusalem, le 6 juillet 2016 (Crédit : Hadas Parush/Flash90)

Les Juifs américains protestent contre deux initiatives prises par le cabinet israélien dimanche : l’abandon d’un accord sur la prière pluraliste au mur Occidental et l’avancée d’un nouveau projet de loi sur les conversions.

Une grande partie de l’énergie déployée lors des protestations émises par les chefs des communautés juives américaines s’est concentrée sur le mur Occidental. La raison en est simple : il est un symbole ancré dans la réalité de l’attachement à la terre d’Israël et l’abandon surprise de cette convention est un coup de poignard évident, qui a été porté dans le dos des Américains, pour qui les accords sont sacrés. Si les compromis peuvent être abandonnés bon gré mal gré, pourquoi faire les sacrifices exigés de prime abord pour les trouver ?

Mais la controverse du Mur porte, en fin de compte, sur un symbole, même s’il est puissant. C’est dans le projet de loi sur les conversions qu’a éclaté le moment de vérité en ce qui concerne l’acceptation – ou le rejet – par Israël de la religion juive américaine et de son identité. C’est là que les législateurs ultra-orthodoxes se sont efforcés de graver le rejet clair du judaïsme « réformé » – ce que ces députés appellent « réformé » n’inclut pas seulement un petit nombre de conservateurs ou d’orthodoxes – dans les lois israéliennes. Ce n’est pas un hasard si un grand nombre de rabbins orthodoxes modernes, dont le fondateur de Tzohar, le rabbin David Stav, se sont placés du côté de la « réforme » dans ce débat.

Sur le papier, le projet de loi représente peu de choses. Il ne dit rien des conversions réalisées à l’étranger. Il n’a rien à voir avec les conversions, en Israël, des citoyens Israéliens – notamment avec les centaines de milliers de membres de la famille d’un Juif qui ne sont pas eux-même juifs, halakhiquement parlant. Et il ne concerne pas les non-citoyens d’Israël qui cherchent à se convertir dans le cadre du rabbinat officiel, supervisé par l’Etat.

Alors qui reste-t-il ? Seulement eux : les non-citoyens vivant en Israël pendant une période prolongée et qui obtiennent une conversion juive auprès d’un tribunal rabbinique de conversion privée.

Le rabbi d'Efrat Shlomo Riskin (deuxième à gauche) pendant un examen de conversion au tribunal rabbinique Giyur Kahalacha, en novembre 2015. (Crédit : autorisation)
Le rabbi d’Efrat Shlomo Riskin (deuxième à gauche) pendant un examen de conversion au tribunal rabbinique Giyur Kahalacha, en novembre 2015. (Crédit : autorisation)

Ce qui ne fait pas beaucoup de gens, c’est peu de le dire : des touristes, peut-être des migrants africains et quelques autres. Les chiffres officiels sont imparfaits dans la mesure où ce nombre de conversions échappe aux agences gouvernementales, mais ces conversions représenteraient quelques dizaines par an.

De plus, de nombreux responsables israéliens soutiennent le projet de loi pour des raisons qui n’ont rien à voir avec les guerres culturelles des ultra-orthodoxes et des réformistes sur la Halakha. En Israël, la conversion d’un non-citoyen n’est pas seulement un acte religieux, il confère à l’individu le droit d’obtenir la citoyenneté. Même si les dirigeants ultra-orthodoxes et conservateurs semblent considérer que la loi les concerne, dans la bataille en faveur de la liberté religieuse ou contre l’hérésie (respectivement), de nombreux responsables israéliens soutiennent la loi pour une raison plus simple : tout processus conférant la citoyenneté automatique à une personne, estiment-ils, devrait avoir lieu sous les auspices de l’Etat.

La préface d’explication du projet de loi, extraite de la version qui a été diffusée le 22 juin, place cet argument au-delà de tous les autres. « Au vu des ramifications significatives de la conversion en Israël avec la place qu’elle occupe dans la société ; par considération pour l’ordre public approprié [en hébreu, le terme ‘ordre public’ est souvent utilisé pour signifier un ordre clair aux niveaux légal et bureaucratique] ; en raison de la nécessité d’une supervision étroite de l’Etat sur une question d’une telle importance publique et par désir d’empêcher la dissidence du statut [des Juifs, en rendant certains d’entre eux éligibles à la citoyenneté et d’autres non] et donc de la division de la nation, le projet de loi établit qu’une conversion en Israël qui est en mesure de conférer des droits – dont les droits accordés par les termes de la loi du Retour – est une conversion effectuée sous le parrainage exclusif de l’Etat, en opposition aux conversions réalisées dans différents cadres privés qui ne sont pas établis ni supervisés [par l’Etat]. »

Justice Minister Yaakov Neeman, Jerusalem 2009. (photo credit: Yossi Zamir/Flash90)
Yaakov Neeman, alors ministre de la Justice, à Jérusalem en 2009. (Crédit : Yossi Zamir/Flash90)

Et, enfin, il y a un autre point, plus simple, qui est celui du statut quo actuel. La Commission Neeman, nommée en juin 1997 et présidée par le ministre des Finances de l’époque Yaakov Neeman, avait établi la politique en vigueur aujourd’hui, même si elle ne l’avait jamais codifié formellement dans la loi : les institutions orthodoxes publiques uniquement peuvent mener les conversions, mais un système d’éducation partagé entre les mouvements réformé, conservateur et orthodoxe pourrait enseigner et préparer les futurs convertis. (En pratique, ce système n’opère réellement dans tous les sens du terme que dans l’armée, où la conversion est proposée par le biais du modèle défini par Neeman à travers un système de tribunal rabbinique spécial, placé sous les auspices du bureau du Premier ministre.) Et c’est ainsi qu’est satisfaite la demande de supervision de l’Etat sur ce qui n’est pas exclusivement un acte religieux mais également un processus de naturalisation, ainsi que les demandes halakhiques des orthodoxes et celles soumises par les mouvements réformé et conservateur, qui veulent être reconnus.

Le plus grand compromis ici, bien sûr, est venu des courants libéraux, mais les dirigeants des communautés juives réformées et conservatrices ont expliqué ceci à leurs congrégations à la fin des années 1990, en évoquant un sacrifice consenti au nom de l’unité juive.

Il est vital de comprendre que les propositions de Neeman ont essentiellement établi deux normes différentes pour la reconnaissance israélienne des conversions. Au cœur d’Israël, la conversion n’est reconnue que lorsqu’elle compte pour la citoyenneté, et ce via le goulot d’étranglement du rabbinat orthodoxe public. Hors des frontières d’Israël, dans une politique établie par plusieurs jugements de la Haute cour de justice et lors de décisions gouvernementales prises au fil des années, toute conversion menée au sein d’une « communauté juive reconnue » et que la communauté elle-même reconnaît comme étant valide peut être reconnue par l’Etat d’Israël.

Et qui établit la « reconnaissance » de ces communautés reconnues ? Dans la majorité des cas, la réponse est l’Agence juive, le cadre institutionnel le plus susceptible de représenter l’Etat israélien – approximativement la moitié du conseil d’administration de l’agence est désigné par les partis politiques israéliens en fonction de leur importance à la Knesset – et l’organisation est également présente dans des centaines de communautés à travers tout le monde juif.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu lors d'un discours devant le conseil d'administration de l'Agence juive à Jérusalem, le 18 février 2013 (Crédit :  Kobi Gideon/GPO/flash90)
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu lors d’un discours devant le conseil d’administration de l’Agence juive à Jérusalem, le 18 février 2013 (Crédit : Kobi Gideon/GPO/flash90)

Alors qu’est-il arrivé ? Comment un projet de loi sur les conversions qui ne concernerait en fait que peu de gens a-t-il pu venir menacer ces compromis de longue date ?

La réponse se trouve dans la partie qui était restée à l’écart du compromis de Neeman mais qui ne l’a réalisé que très récemment : les orthodoxes modernes en Israël.

La partie israélienne du compromis, à savoir le cadre défini par Neeman, donne le dernier mot sur une conversion aux ultra-orthodoxes qui contrôlent le grand rabbinat. La Diaspora attribue la reconnaissance de l’Etat à tous les mouvements reconnus par… eh bien, par elle-même. Après tout, que cela signifie-t-il pour l’Agence juive de reconnaître tel ou tel courant ? L’œcuménisme de l’Agence juive est porté par les organisations qui constituent le reste de son conseil d’administration au-delà des partis politiques israéliens : les fédérations-cadres de collecte de fonds et les organisations du monde entier (à travers les représentants de la JFNA et de Keren Hayesod), et les représentants directs des courants religieux orthodoxe, conservateur et réformé.

Les orthodoxes modernes en Israël, qui se qualifient souvent eux-mêmes de dati leumi, soit national religieux, ne partagent pas la même large ouverture d’esprit de l’étranger, pas plus que les normes restrictives (et qui le sont de plus en plus) imposées par les ultra-orthodoxes en Israël.

Et ainsi, de manière ironique, ce ne sont pas les mouvements conservateur ou réformé qui menacent de renverser le statut quo de Neeman, mais bien ces orthodoxes modernes. Désespérant de ce qu’ils considèrent comme des demandes outrageusement restrictives de la part du grand rabbinat pour les convertis – notamment ceux qui sont déjà citoyens (grâce à la loi du Retour, qui confère la citoyenneté à quiconque ayant au moins un grand-parent juif), et qui ne peuvent donc pas être soupçonnés de chercher à devenir juifs uniquement pour obtenir un passeport israélien – le groupe de rabbins orthodoxes appartenant à l’organisation Giyur Kahalacha a réuni ses propres tribunaux de conversion et a commencé à convertir des individus hors de l’égide des institutions de l’Etat.

L’Etat, bien sûr, a refusé de reconnaître ces conversions « non supervisées » lorsqu’il a fallu octroyer la citoyenneté. Le rabbinat, qui a appréhendé assez correctement ces conversions comme autant de défis directs lancés à son hégémonie religieuse, a refusé de les reconnaître dans les cas de mariage, de divorce ou de funérailles.

La Haute Cour de Justice en session, Juillet 2013. (Miriam Alster / Flash90)
La Haute Cour de Justice en session, Juillet 2013. (Miriam Alster / Flash90)

La question est remontée jusqu’à la Haute cour de justice dans un cas qui concernait justement un tel converti orthodoxe, le tribunal ayant rendu son jugement le 31 mars 2016. La loi du Retour, ont affirmé les magistrats, s’applique à quiconque réside en Israël légalement et s’est converti dans une « communauté reconnue » comme orthodoxe (Ce qui n’était pas en soi une déclaration contre les conversions réformées ou conservatrices en tant que telles, mais reflète la préférence de la cour à la limitation de ses jugements au contexte de chaque affaire qui lui est présentée.)

C’est à dire que le tribunal a appliqué aux tribunaux de conversion privés en Israël les normes de reconnaissance des conversions à l’étranger.

Le tribunal a expliqué que le gouvernement n’avait jamais disposé de l’autorité nécessaire pour faire la distinction entre les conversions orthodoxes privées et publiques en Israël lorsqu’il s’agit d’accorder la citoyenneté, et que seule une législation à la Knesset pourrait lui donner ce pouvoir.

Et c’est ainsi que la nouvelle loi sur les conversions est née.

Pour être exact, elle n’est pas apparue en réaction à la non-reconnaissance par l’Etat des conversions menées par le mouvement réformé israélien. La non-reconnaissance des conversions non-orthodoxes en Israël entre dans le cadre du compromis de Neeman dont le mouvement réformé lui-même, parmi d’autres, est un signataire.

Cette législation est née du fait que l’establishment ultra-orthodoxe a âprement lutté durant les années qui ont suivi la Commission Neeman pour exclure des organismes officiels de l’Etat les mêmes orthodoxes modernes qui, durant les débats de Neeman, se considéraient comme une unique partie ‘orthodoxe’ unifiée face à la controverse.

Le résultat est que sur le papier, les législateurs ultra-orthodoxes ont raison lorsqu’ils affirment simplement chercher à codifier le statut quo convenu dans la législation pour le protéger des défis judiciaires.

Mais les contextes politique et social ont tous les deux changé. Alors que le contrôle des ultra-orthodoxes sur le rabbinat ne cesse de se consolider, avec la Haute cour qui accorde le droit à la citoyenneté à au moins une partie des Juifs issus de la conversion privée, le statut quo a d’ores et déjà atteint son point de rupture à ses deux extrémités.

Le Rabbin David Stav (Crédit: Yossi Zeliger/Flash90)
Le Rabbin David Stav (Crédit: Yossi Zeliger/Flash90)

Lors des négociations qui ont eu lieu entre la ministre de la Justice Ayelet Shaked, le rabbin Stav et des représentants des courants libéraux mardi et mercredi, ces derniers se sont entendus dire que le projet de loi ne rejetait pas, en fin de compte, leurs conversions. Leurs convertis, comme toujours, seront inscrits comme Juifs dans le registre de la population du ministère de l’Intérieur – et, comme toujours, ils ne seront absolument pas inscrits en tant que tels au rabbinat. Que cela ne leur permette pas d’être reconnus lors d’une demande de citoyenneté n’est guère important pour les réformés ou les conservateurs – du moins en terme de changement – dans la mesure où le déni de la citoyenneté, en ce qui concernait les conversions privées, faisait déjà partie du statut quo négocié.

Certains responsables israéliens du mouvement réformé se sont déclarés satisfait de la réponse, selon certaines sources. Mais cela n’a pas été le cas des dirigeants juifs américains.

Steven Nasatir, dirigeant de longue date de la Fédération juive de Chicago et l’un des dirigeants les plus influents et les plus favorables à Israël dans le monde juif américain, a expliqué au Times of Israël cette semaine que « la fédération de Chicago n’accueillera aucun membre de la Knesset ayant voté pour cette législation. Aucun. Ils ne seront pas les bienvenus dans notre communauté. »

Il a ajouté que « le temps où nous nous levions, où nous les applaudissions et étions courtois parce qu’ils étaient membres de la Knesset ou qu’ils occupaient tel ou tel poste est révolu. Les gens qui ne comprennent pas ce que signifie cette loi pour les Juifs – Dieu les bénisse, mais ils ne sont pas les bienvenus dans notre communauté. Point. »

Qu’est-ce qui les ennuie donc dans cette législation ? S’inquiètent-ils du statut de Giyur Kahalacha ? Pourquoi protestent-ils à grands cris contre une législation qui ne fait que codifier le compromis qui existait déjà ?

La réponse se trouve dans la différence extrême entre la décision du gouvernement et la législation de la Knesset, et dans l’importance, aux yeux des dirigeants juifs américains, du compromis et du sacrifice consenti purement et simplement il y a vingt ans pour le compromis de Neeman.

C’est une chose de penser que vous avez donné votre accord à un compromis injuste mais néanmoins négocié au nom de l’unité juive. C’en est complètement une autre que le parlement d’Israël, dans un vote majoritaire accordé à un projet de loi appuyé par le gouvernement (appui qui a été officiellement donné lors du vote de dimanche), déclare pour la première fois, même si ce n’est que d’une manière limitée, que le rabbinat ultra-orthodoxe veille dorénavant sur la promesse fondamentale qui avait été faite par l’Etat d’Israël aux Juifs du monde entier : le droit au retour, l’assurance qu’Israël leur appartient à eux aussi.

Les responsables israéliens, notamment le Premier ministre, ont été – et c’est compréhensible – surpris par la fureur de la communauté juive américaine ces derniers jours ; il est même vrai que de nombreux dirigeants des mouvements réformé et conservateur en Israël ont été surpris eux aussi. La majorité d’entre eux ne saisissent pas, même maintenant, l’une des présomptions les plus fondamentales qui se trouve à la base de la relation entretenue par les Juifs américains avec Israël.

Tant que la voix des Juifs américains restera une spectatrice silencieuse dans le débat israélien sur l’identité juive, voilà qui n’est probablement pas prêt de changer.

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