Le public perd de l’argent avec le roi du gaz Yitzhak Tshuva au bord du gouffre
Avec l'impact du coronavirus, le Delek Group de Tshuva et Delek Drilling accumule les pertes ; des associations de la société civile demandent aux banques de ne pas intervenir
Les Israéliens, qui chancellent déjà sous le poids d’un taux de chômage record provoqué par le coronavirus, encaissent un coup supplémentaire, plus indirect, avec les pertes enregistrées par le monopole privé qui contrôle le gaz naturel dans le pays.
Depuis cinq ans, le partenariat entre le Delek Group de Yitzhak Tshuva et Noble Energy, entreprise basée au Texas, jouit d’une mainmise sur les contribuables israéliens.
Cette mainmise est le résultat d’un accord gouvernemental passé en 2015 – via ce qui avait été appelé le « cadre du gaz » – qui a abouti à un arrangement obligeant la compagnie israélienne d’Électricité à se conformer aux prix fixés par le Delek Group et Noble Energy pour le gaz émanant du champ de Tamar – des tarifs qui augmentent chaque année alors que dans le monde, les prix de l’énergie n’ont cessé de chuter.
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Et cette décision avait été aggravée par l’accord conclu entre les entreprises et l’État de différer les paiements en les investissant dans un fonds souverain spécial, mis en place pour récupérer une partie des bénéfices réalisés par l’industrie au profit du bien public. Pas un seul centime n’a encore été versé pour le champ de Tamar, qui a lancé sa production en 2013. La plateforme gazière Léviathan, pour sa part, n’a commencé son exploitation commerciale qu’au début de cette année.
L’année dernière, Yitzhak Tshuva a fait un pari énorme en faisant vendre au Delek Group la plus grande partie de ses filiales sans lien avec le secteur de l’énergie pour se concentrer sur le pétrole et le gaz.
Il a ignoré, au printemps dernier, les mises en garde face à ce qui avait été considéré comme des idées de grandeur lorsqu’il avait soulevé 1,72 milliard de dollars pour acheter des champs pétroliers en mer du Nord à Chevron, un géant du secteur.
Croulant aujourd’hui sous les dettes, il est victime des prix du pétrole et du gaz qui ne cessent de s’effondrer dans le cadre d’une guerre commerciale entre la Russie et l’Arabie saoudite, et sous le coup du confinement presque mondial dû à la pandémie de Covid-19 et qui entraîne une baisse gigantesque de la demande énergétique.
Le Delek Group, dont très exactement un tiers appartient au public, tutoie le bord du gouffre. La valeur de la compagnie a baissé de 66 % depuis le début de l’année à 3,5 milliards de shekels, a fait savoir mardi le journal économique Calcalist. Elle doit à ses investisseurs plus de six milliards de shekels et environ 2,6 milliards de shekels aux banques – des sommes qu’elle ne devrait pas être en mesure de pouvoir rembourser.
Reflétant le manque de confiance du marché, une agence de crédit israélienne – Maalot – a placé le groupe sur sa liste d’observation en raison de ses doutes sur les capacités de l’entreprise à refinancer ses dettes dans le temps et à soulever des fonds supplémentaires. Une autre agence, Midroog, a placé les obligations du Delek Group dans la catégorie « à haut risque », justifiant sa décision par « notre évaluation estimant que l’état des liquidités et de la flexibilité de la compagnie va empirer de manière significative en résultat de la crise économique et financière globale qui s’est dessinée ces dernières semaines, à la suite de la propagation du coronavirus ».
Alors que le Delek Group semble s’affaiblir quotidiennement, certaines banques étrangères réclament déjà le remboursement de leurs prêts. C’est Citibank qui a été la première à le faire pour son prêt d’un montant de 57 millions de dollars.
Les investisseurs institutionnels, responsables de la gestion des retraites publiques, ont tenté de se débarrasser aussi rapidement que possible de leurs actions. De plus, selon le site en hébreu du Times of Israel, Zman Yisrael, les détenteurs d’obligations ont commencé à s’organiser pour tenter de récupérer leur argent.
La firme Delek Drilling survivra-t-elle ?
L’entreprise Delek Drilling, qui appartient au Delek Group à hauteur de 54 %, est la branche directement impliquée dans les champs gaziers Tamar et Léviathan aux côtés de Noble Energy Mediterranean Ltd.
Delek Drilling se trouve pour le moment dans une position bien meilleure que son actionnaire principal.
Toutefois, reflétant ses propres pertes et portant un coup supplémentaire au Delek Group, la filiale a révélé dans son rapport financier annuel de 2019 – qui a été publié lundi – que malgré les promesses récentes du contraire, elle ne verserait pas de dividendes. Le Delek Group attendait, cette année, un paiement de 621 millions de shekels.
Avec de sombres prédictions pour la période de coronavirus annoncée, le rapport établi par le directeur de Delek Drilling a averti que l’entreprise ne serait pas en mesure de rembourser les 2,6 milliards de dollars qu’elle doit aux banques et aux détenteurs d’obligations d’ici la fin de l’année, et qu’elle pourrait probablement manquer à ses engagements – d’une manière qui amènera assurément les prêteurs à réclamer le remboursement immédiat des sommes accordées.
Des clients ont contacté la firme, dit le rapport, en disant que la crise du Covid-19 était un cas de « force majeure » (ce que dément Derek Drilling) susceptible d’affecter leur propre capacité à payer leurs factures – conformément aux accords qui ont été signés.
Au niveau pratique, le rapport explique que le coronavirus pourrait bien entraîner des retards significatifs dans la production de gaz, dans les travaux de maintenance programmés sur la plateforme de Tamar et dans le renforcement attendu de la production dans le champ gazier Léviathan.
Et cela, explique-t-il, résulte de la nécessité d’accueillir des experts étrangers venus d’entreprises variées dont les déplacements sont limités par leurs propres gouvernements ou dans l’entrée en Israël pourrait être localement interdite, et de la possibilité que les ouvriers des plateformes puissent tomber malades.
Le gaz continuera-t-il à affluer en Israël ?
Le gaz naturel est considéré comme une source d’énergie intermédiaire, permettant la transition vers les énergies renouvelables, même si les groupes environnementaux préféreraient une transition bien plus rapide que celle pour laquelle le gouvernement a opté.
Dans un avenir proche – à moins d’une situation imprévue qui frôlerait l’apocalypse – le gaz continuera à s’écouler dans les tuyaux, que ce soit le Delek Group ou Delek Drilling.
Il y a suffisamment de gaz pour assurer la bonne marche du pays à partir du réservoir de Tamar, du gaz naturel bien moins cher qui est acheté par la Compagnie israélienne d’Électricité ou à partir du gaz extrait des puits de Karish et de Tanin (avec des propriétaires différents) dont le développement pourrait être retardé par la crise actuelle.
Dans un article paru sur le site d’information et d’investigation The Seven Eye (en hébreu), Yoni Sappir, à la tête des Gardiens du foyer – qui lutte contre l’installation de la plateforme Léviathan trop près du littoral, dans le nord d’Israël – explique que ces trois sources peuvent fournir 24 milliards de mètres-cubes de gaz naturel par an, ce qui représente plus de deux fois plus les besoins actuels de l’économie.
De plus, si le Delek Group s’effondre, et même Noble Energy Mediterranean Ltd (firme parente de Noble Energy, compagnie basée au Texas, dont la valeur a chuté au cours de la crise actuelle et dont la performance pouvait être difficilement qualifiée d’exemplaire avant cela), les deux partenaires seront théoriquement ouverts à la renégociation et à l’idée d’abaisser le prix du gaz, ce qui aurait un impact positif conséquent, dans les faits, sur le coût de la vie en Israël.
Quand l’accord a été conclu, le gouvernement avait accepté l’argument avancé par le monopole selon lequel sa grille tarifaire croissante reflétait les risques pris pendant l’exploration. Dorénavant, ces risques appartiennent à l’histoire, et les réservoirs sont exploités.
Les banques israéliennes sauveront-elles Tshuva, les contribuables payant la facture ?
Tshuva ne sera en mesure de conserver sa mainmise sur le groupe que s’il réussit soit à refinancer ses prêts, retarder leur remboursement, ou s’il se décide à vendre les actifs personnels dont il ne fait pas grande publicité.
S’il y a un rachat, les nouveaux propriétaires – ou le nouveau propriétaire – pourraient probablement décider de ne pas assumer toutes les dettes de Tshuva. Après tout, ils voudront faire des bénéfices.
La grande question qui persiste est celle de savoir si les banques israéliennes entreront dans la danse pour le sauver.
En 2011, par exemple, la banque Leumi avait effacé 48 % d’une dette d’un montant de 270 millions de shekels de Tshuva dans le cadre d’un accord de restructuration de son endettement.
Appels à l’intervention du superviseur des banques
La semaine dernière, deux associations représentant la société civile ont écrit à Hedva Bar, dont la mission est de superviser les banques, lui demandant d’intervenir immédiatement dans la situation créancière de Tshuva et non « quand ce sera trop tard ».
Lobby 99, un groupe de pression à but non lucratif fondé grâce au financement participatif, ainsi que Financial Justice ont expliqué dans une lettre qu’il était crucial « d’empêcher des dégâts substantiels et non nécessaires que subiront la majorité des retraités du pays, qui essuient d’ores et déjà des pertes en raison de la crise entraînée par le coronavirus » (plus d’un million d’Israéliens sollicitent actuellement des indemnités chômage).
La réaction rapide de Citibank à la situation financière du Delek Group « soulève des questions sur le manque de réponses apportées par les banques israéliennes… qui sont elles aussi exposées à sa dette élevée », continue le courrier.
« Dans l’hypothèse où Tshuva ne serait pas en mesure d’honorer ses obligations, nous appelons le superviseur des établissements bancaires à émettre un message sans équivoque aux banques en leur disant de ne pas conclure d’arrangement de restructuration des dettes avec ce dernier. Pour le bien de l’économie israélienne, qui a été mise à mal, encore et encore, par Tshuva, il faut prendre des initiatives vers la banqueroute plutôt que d’opter pour l’extension d’un futur capital ».
Les deux organisations appellent Bar, dans le courrier, à examiner si les prêts accordés à Tshuva ont été prolongés conformément aux règles, si les réexamens en temps réels ont été menés en fonction des obligations de la banque vis-à-vis de la valeur réelle du nantissement et s’il fallait demander à Tshuva de rembourser immédiatement ses dettes.
Se référant à une commission d’enquête transpartisane de la Knesset – qui avait rendu son rapport au mois d’avril de l’année dernière – les organisations ont ajouté qu’elles attendaient que les recommandations qui avaient été émises par cette dernière soient mises en œuvre, clamant que l’époque des « rabais accordés aux magnats » était terminée.
La commission, dirigée alors par le député travailliste Eitan Cabel, avait fustigé ce qu’elle avait qualifié de secteur financier « négligent », prolongeant ou effaçant « systématiquement » les prêts accordés aux plus riches tout en poursuivant « jusqu’au dernier centime » les petits endettés.
C’est la population qui finançait, avait-elle noté, « les déjeuners gratuits » des magnats tandis que les banques envoyaient les huissiers taper aux portes des citoyens ordinaires.
La commission avait décrit la manière systématique avec laquelle les banques se rapprochaient des magnats commerciaux en leur octroyant des prêts démesurés, en effaçant leurs dettes à hauteur de millions de shekels et en équilibrant ensuite leurs propres registres en imposant des frais pour tous les services financiers du quotidien à leurs clients.
Au cours des années, avait établi l’enquête, les pratiques intenables des établissements bancaires – et l’échec à les réguler – avaient coûté au public des milliards de shekels. Elle avait également dénoncé les banques qui, selon elle, avaient fait tout ce qui était en leur pouvoir pour dissimuler des informations à la commission.
La commission avait découvert un « vide régulatoire », sans sanction et sans dissuasion pour les « graves négligences » observées dans l’octroi d’un crédit. Les régulateurs, et en particulier ceux chargés de superviser les banques, étaient « pris en otage » par les mêmes organismes qu’ils étaient supposés surveiller.
Cette commission parlementaire avait été formée au mois de juillet 2017 suite à plusieurs affaires de haut rang impliquant des magnats plongeant dans un endettement massif, avec une proportion significative d’entre eux étant parvenu à obtenir l’effacement de leurs créances colossales.
Elle avait enquêté, entre autres, sur la manière dont les banques et d’autres organismes du secteur financier, comme les fonds de retraite et d’investissement, avaient pris la décision d’accorder d’importants prêts ; sur les garanties qui avaient été réclamées à cette occasion ; sur les sanctions mises en place en cas de rupture des conditions de l’emprunt ; et sur la manière dont les organismes de régulation faisaient appliquer les règles pour protéger la stabilité du système financier.
La réponse de Delek
À la suite de la publication du rapport annuel de Delek Drilling pour l’année 2019, le Delek Group a émis un communiqué dans lequel il affirme que « le Delek Group honore la totalité de ses engagements et possède toute une gamme d’actifs excellents en Israël et à l’étranger qui devraient générer des flux significatifs de liquidités en 2020 et dans les années à venir et fournir au groupe une flexibilité financière maximum, selon ses besoins ».
Le communiqué dément que Delek Drilling n’avait pas l’intention de verser des dividendes, affirmant que ce serait le cas. Delek Drilling, précise-t-il, a explicitement établi quel solde de trésorerie il devrait présenter chaque année, conformément aux hypothèses de liquidités, à partir desquelles il serait possible d’estimer le montant du dividende qui serait distribué.
« Quoi qu’il en soit, même si l’affirmation disant que Delek Drilling n’avait pas l’intention de distribuer des dividendes était vraie – et elle est fausse – le groupe a d’autres actifs excellents qui devraient générer des flux de liquidités significatifs pour rembourser son passif, avec notamment ses parts à Ithaca (dans la mer du Nord), ses super royalties, ses super royalties émanant des projets de Karish et Tanin, ses parts dans Delek Israel et ses biens immobiliers ».
« Le groupe se concentre en ce moment sur une seule chose : continuer les opérations visant à augmenter les liquidités et à renforcer le capital au cours de la période actuelle, alors que les marchés internationaux traversent une crise économique provoquée par la propagation du coronavirus et à la baisse des prix du pétrole et du gaz. »
« Le Delek Group est un groupe fort, avec des actifs excellents et il réussira à traverser cette crise dont il ressortira plus fort », conclut le communiqué.
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