Le renvoi de Gallant par Netanyahu est irresponsable, clivant et dangereux pour Israël
Le Premier ministre a fait passer sa survie politique avant les intérêts fondamentaux de l'État ; s'il devait également écarter la procureure-générale, il n'y aurait plus personne de compétent et de respectueux des principes pour contester son autorité
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
En mars 2023, le Premier ministre Benjamin Netanyahu avait annoncé qu’il avait renvoyé le ministre de la Défense Yoav Gallant, coupable d’avoir publiquement averti que les divisions intérieures qui déchiraient Israël dans le sillage du plan de refonte radicale du système judiciaire – qui visait à affaiblir ce dernier – étaient si profondes qu’elles donnaient une nouvelle hardiesse aux ennemis de l’État juif, posant un risque tangible pour la sécurité nationale. Deux semaines plus tard, dans un contexte de manifestations de grande ampleur qui avaient secoué le territoire israélien, le Premier ministre avait fait marche arrière, réintégrant Gallant à ses fonctions.
Mardi soir, Netanyahu a limogé Gallant une seconde fois – et, contrairement à ce qui s’était passé la première fois, il lui a remis une lettre officielle en personne qui l’informait qu’il était congédié et qu’il quitterait son poste dans 48 heures.
En d’autres termes, cette fois-ci, le limogeage est bel et bien réel. Et les circonstances dans lesquelles il a lieu sont autrement plus dangereuses pour Israël.
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Parce qu’il ne s’agit plus de faire face à des ennemis enhardis d’une manière ou d’une autre : cela fait plus d’un an que la guerre déclenchée par l’invasion du territoire israélien par le Hamas et le pogrom qui avait suivi a commencé et elle s’est propagée sur de multiples fronts. C’est le cas notamment de l’autre côté de la frontière nord, où l’armée israélienne est aux prises avec le Hezbollah, et dans le cadre de la confrontation directe avec l’Iran qui devrait, selon de nombreux observateurs, lancer une troisième attaque contre Israël suite aux frappes qui avaient eu lieu au mois d’avril et au mois d’octobre.
Le chef de l’opposition Yair Lapid a immédiatement dénoncé le renvoi de Gallant, le qualifiant « d’acte de folie ». Et s’il est vrai que ce renvoi a été logique pour le Premier ministre personnellement, il est purement et simplement terrible pour Israël : Netanyahu a placé sa survie politique au-dessus des intérêts les plus fondamentaux de l’État.
Sa coalition dépend du soutien apporté par les deux partis ultra-orthodoxes qui insistent sur la nécessité, pour le gouvernement, d’adopter une loi qui préserverait l’exemption de service militaire en direction des étudiants en yeshiva – qui représentent la majorité des hommes jeunes de la communauté. Netanyahu rencontre de fortes difficultés alors qu’il tente de rassembler une majorité susceptible d’apporter son soutien à une telle législation et Gallant s’y opposait avec détermination, parfaitement conscient du fait que l’armée et ses réserves sont actuellement soumises à une pression extraordinaire s’agissant de main-d’œuvre et que Tsahal a un besoin désespéré de toutes les recrues disponibles. Israel Katz, membre du Likud ayant prêté allégeance au Premier ministre et à qui ce dernier a dorénavant confié le portefeuille de la Défense, suivra scrupuleusement la ligne de Netanyahu – sur cette question comme sur toutes les autres.
Gallant était également le principal défenseur des initiatives prises en faveur de la conclusion d’un accord de cessez-le-feu à Gaza, accord qui ouvrirait la porte à la remise en liberté des otages, et il prônait des efforts poussés à leur maximum pour y parvenir. Il affirmait ainsi, avec le soutien des chefs des services de sécurité, qu’Israël devait se mettre en quête de la finalisation d’un vaste accord qui mettrait à la fois un terme aux combats dans le nord – où les capacités du Hezbollah ont été très dégradées même si elles n’ont pas été détruites – et à Gaza, où le Hamas a perdu ses aptitudes à fonctionner en tant que force de combat organisée.
Gallant a exhorté à accorder une priorité absolue au rapatriement des 97 otages qui se trouvent entre les mains du Hamas depuis le 7 octobre 2023, même au prix d’une fin à la guerre, disant qu’Israël pourrait toujours y retourner pour s’attaquer au Hamas à l’avenir – et que ce retour était même probable. Les partenaires d’extrême-droite de la coalition de Netanyahu, de leur côté, s’opposent avec virulence à tout accord de ce type et ils ont menacé de manière répétée de faire s’effondrer la coalition si elle devait permettre des avancées vers la finalisation d’un accord qui serait, selon ses termes, « imprudent ».
Gallant a aussi ouvertement réclamé l’établissement d’une commission d’enquête d’État qui serait chargée d’examiner les événements qui ont entouré le pogrom qui avait été commis par le Hamas, le 7 octobre 2023 – et qui aurait tourné toute son attention sur les défaillances politiques et militaires qui avaient permis au gouvernement terroriste de Gaza de se livrer à son assaut sanglant. Netanyahu a rejeté, de manière répétée, la mise en place d’une telle commission, dans la mesure où ses conclusions seraient probablement destructrices à son égard.
Mardi dans la soirée, au cours d’un discours réfléchi mais passionné à la nation, trois heures après avoir été renvoyé, Gallant a déclaré que son limogeage avait été motivé par les désaccords qui l’opposent à Netanyahu sur trois points précis : son insistance placée sur la nécessité d’imposer le service militaire obligatoire à tous les Israéliens en âge d’intégrer Tsahal ; sa conviction absolue qu’un accord qui permettrait d’obtenir la libération des otages est réalisable et qu’une incapacité à finaliser un tel arrangement serait « impardonnable » et ses appels à ce qu’une commission d’enquête puisse déterminer ce qui avait échoué, le 7 octobre, pour en tirer les leçons à l’avenir.
Avec Gallant qui est dorénavant hors-jeu, Netanyahu considère qu’il pourra dorénavant répondre aux exigences de ses partenaires ultra-orthodoxes et d’extrême-droite ; il se réjouit du départ de son critique le plus agaçant et du fait que sa mainmise sur le pouvoir est désormais assurée à court-terme.
Si la procureure-générale est maintenant renvoyée également, alors il n’y aura plus, il n’y aurait plus personne de compétent et de respectueux des principes pour contester son autorité, pour défier l’autorité absolue de Netanyahu – si ce n’est un système judiciaire lui aussi assiégé
Il est en train de se débarrasser des gardiens de l’intégrité militaire et des intérêts d’Israël. Lors d’une réunion du cabinet qui a eu lieu lundi – et ce n’était pas une coïncidence – Netanyahu aurait demandé à son ministre de la Justice de trouver « une solution » au problème posé par l’hostile procureure-générale Gali Baharav-Miara, une garante indispensable de la démocratie israélienne, qui lui a dit de façon répétée que les initiatives visant à maintenir l’exemption de service militaire en direction des jeunes ultra-orthodoxes était illégale. Si elle est, elle aussi, limogée et remplacée par un courtisan du Premier ministre, alors il n’y aura plus personne de compétent et de respectueux des principes pour contester son autorité, pour défier son pouvoir absolu – si ce n’est un système judiciaire qui est, lui aussi, assiégé.
Le Premier ministre pourrait aussi se préparer à ordonner une relève de la garde au sein des services de sécurité, le chef d’état-major Herzi Halevi et le chef du Shin Bet Ronen Bar en tête de liste. Depuis le pogrom du Hamas, ses acolytes ont tenté de rejeter la responsabilité du massacre sur les services de sécurité, épargnant totalement le leadership politique placé sous la direction de Netanyahu.
Netanyahu a pris cette initiative quelques jours après qu’un juge a partiellement levé un embargo qui était appliqué dans le cadre d’une enquête portant sur, semble-t-il, une affaire de vol « systématique » de documents top secrets de l’armée israélienne, et le transfert de ces documents à un porte-parole de Netanyahu – qui aurait ensuite remis une partie d’entre eux au journal allemand Bild parce qu’ils servaient les intérêts du Premier ministre.
Il a aussi pris cette initiative quelques heures seulement après l’annonce de l’existence d’une deuxième enquête – menée en secret depuis des mois en réalité – qui concerne des « incidents criminels » présumés en lien avec le Bureau du Premier ministre, des incidents survenus depuis le début de la guerre. Les investigations porteraient, semble-t-il, sur les efforts qui ont pu être livrés par Netanyahu pour falsifier les compte-rendus des réunions qui étaient consacrées à la guerre.
Outre la petite affaire des élections américaines, ce sont ces deux enquêtes, profondément troublantes pour le Premier ministre, qui auraient dû faire les gros titres en Israël dans la soirée de mardi.
Le Premier ministre a peut-être estimé que les Israéliens, meurtris et épuisés par plus d’un an d’une guerre – une guerre qui avait commencé par la pire catastrophe de toute l’Histoire de l’État moderne – ne seraient pas enclins à se précipiter par centaines de milliers dans les rues, comme ils l’avaient fait à plusieurs reprises en mars 2023, pour condamner sans relâche le limogeage du ministre de la Défense. Et c’est en effet ce qui s’est passé mardi soir.
Le renvoi de Gallant par Netanyahu est bien plus dangereux pour Israël aujourd’hui qu’il ne l’était la dernière fois. Le Premier ministre a mis à la porte l’ex-général expérimenté à la tête de l’armée, le penseur indépendant dévoué à la sécurité d’Israël qui cherchait à renforcer Tsahal malgré le prix qu’il risquait de payer au niveau politique. Très apprécié par les soldats, son éviction fortuite et son remplacement par Katz, dépourvu d’aucune expérience militaire, ne peuvent que saper la compétence, l’unité et le moral de l’armée, et susciter de nouvelles inquiétudes au sein d’une partie du public israélien au sujet de la supervision de cette armée où ils servent eux-mêmes, avec leurs proches.
Gallant avait également établi de très bonnes relations avec son homologue américain Lloyd Austin, dans le cadre d’un partenariat vital, Washington ayant déployé ses forces dans la région pour dissuader l’Iran d’attaquer et prenant la tête d’une coalition régionale qui a permis d’intercepter la quasi-totalité des drones et des missiles que les ayatollahs avaient lancés en direction d’Israël.
Dans une déclaration faite par le biais d’une vidéo qui a été enregistrée et diffusée immédiatement après le renvoi de Gallant, Netanyahu est allé jusqu’à accuser le ministre de la Défense d’avoir indirectement aidé les ennemis d’Israël, affirmant que Gallant avait dit et fait des choses qui avaient contredit les décisions prises par le gouvernement, et que leurs désaccords « ont été portés à l’attention de nos ennemis – qui s’en sont réjouis et qui en ont tiré profit de façon significative ».
En vérité, c’est la décision inadmissible et imprudente de Netanyahu de limoger un ministre de la Défense courageux, attaché aux principes et patriote au plus fort d’une guerre acharnée, sapant la cohésion interne dont dépend la résilience vitale d’Israël, qui ravira et qui profitera potentiellement aux ennemis d’Israël.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel