Le seul mot qu’il n’a pas prononcé est celui d’Apartheid
En marginalisant la signification de l’hostilité palestinienne et celle du terrorisme, l’administration Obama a perdu il y a longtemps une grande partie de l’opinion publique israélienne. C'est peu de dire que le discours d’adieu de Kerry n’aura pas amélioré les choses avec sa focalisation prévisible sur les implantations
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Environ une demi-heure après le début du discours d’adieu de John Kerry depuis le Département d’Etat dans la soirée de mercredi, la chaîne de télévision la plus populaire d’Israël, la Deuxième chaîne, a interrompu sa diffusion et enchaîné ses programmes par une autre émission. Les deux autres chaînes principales du pays, la Première et la Dixième chaînes, avaient pour leur part déjà déserté les lieux.
Dans la mesure où l’allocution anti-occupation et anti-implantations de Kerry s’adressait de prime abord au public israélien, la transition impatiente des faiseurs d’audimat vers un autre type de contenu télévisuel définit assez bien le climat dans lequel les propos extensifs du Secrétaire d’Etat américain ont été reçus ici.
En 1999, les Israéliens avaient rejeté le Premier ministre Netanyahu, qui assumait son premier mandat, à l’issue de trois années largement dénuées d’actes terroristes parce qu’un grand nombre d’entre eux pensaient qu’une opportunité existait pour que survienne enfin un progrès spectaculaire vers un accord de paix avec les Palestiniens et que Netanyahu, loin de saisir cette chance, venait l’entraver.
Ils avaient élu à sa place l’ex-chef de l’armée israélienne Ehud Barak, qui s’était rapidement rendu à Camp David.
Et là-bas, sous l’égide bien informée du président d’alors, Bill Clinton, un travail sérieux visant à forger les contours d’un accord permanent avait été réduit à néant par l’intransigeance de Yasser Arafat, chef de l’OLP, ce que Clinton allait ultérieurement reconnaître dans ses Mémoires – et spécifiquement le refus d’Arafat de légitimer un état juif.
En Israël, en 2016, nombreux sont ceux qui seraient susceptibles de partager certains arguments qui n’ont pas été entendus dans le discours que Kerry a prononcé mercredi soir. Un grand nombre de gens reconnaissent le danger de se trouver en permanence entremêlés à des millions de Palestiniens hostiles et craignent que l’expansion – en particulier de ces implantations et de ces avant-postes qui s’étendent à l’est de la barrière de sécurité – vienne augmenter ce risque.
Ils estiment donc que la solution à deux états est bel et bien en péril, qu’une menace plane sur l’identité juive d’Israël ou sa démocratie, ou les deux.
Mais l’administration Obama n’a jamais véritablement intériorisé l’impact de ces décennies interminables de lutte contre les tentatives de destruction
Kerry, pour sa part, s’est montré férocement critique, affirmant que le mouvement des implantations dirige l’agenda du gouvernement israélien et que Netanyahu a autorisé l’expression de certaines des voix les plus extrêmes et qu’en cela, il rapproche Israël du cauchemar sioniste d’un état unique binational s’étendant de la mer Méditerranée au fleuve du Jourdain.
La seule accusation que Kerry n’a pas lancée, cette fois-ci, est celle d’un apartheid.
Mais le secrétaire d’Etat et son président ont déjà perdu la sympathie d’une grande partie de l’opinion publique israélienne il y a longtemps, même parmi un grand nombre d’Israéliens somme toute critiques des activités d’implantation.
Parce que les deux hommes ont sous-estimé la profondeur de l’opposition palestinienne au simple fait de l’existence d’un état juif. Le président et son Secrétaire ont sous-estimé également les blessures conséquentes – physiques et psychologiques – que l’opinion publique israélienne a accumulé tout au long de décennies de guerre, de terrorisme et de diabolisation, les Palestiniens et ceux qui ont épousé leur cause n’ayant cessé de rechercher la destruction d’Israël.
Kerry a articulé des mots, mercredi, évoquant ce monde arabe qui avait rejeté le renouveau de l’état juif à la fin des années 1940 et qui était parti en guerre contre lui. Il a rappelé fortement qu’Israël avait dû combattre pour sa survie une fois encore en 1967. Il a mentionné le terrorisme, les incitations.
Mais l’administration Obama n’a jamais véritablement intériorisé l’impact de ces décennies interminables de lutte contre les tentatives de destruction.
Et Kerry n’a bien évidemment jamais eu la volonté d’intérioriser que, dans le Moyen-Orient vicieux de ces dernières années, évoquer la possibilité d’abandonner le contrôle sur l’histoire de la Cisjordanie adjacente – avec sa récente histoire d’usines à kamikazes pour attentats à la bombe, avec le Hamas qui cherche à en prendre la maîtrise, avec un Iran hostile enhardi à l’est par le propre accord sur le nucléaire de la même administration Obama – cette évocation n’est simplement pour les Israéliens que du bavardage.
Nous avons quitté le Sud-Liban, le Hezbollah s’en est emparé. Nous avons quitté Gaza. La Bande est dorénavant dirigée par le Hamas. Lorsque le Secrétaire d’Etat exprime sa “confiance totale” que les exigences sécuritaires israéliennes puissent être garanties via des défenses frontalières à couches multiples et autres, il ne fait que perdre Israël.
Benjamin Netanyahu quittera le pouvoir un jour. On peut le présumer. Mais, contrairement avec ce qu’il s’est passé en 1999 et indépendamment des inquiétudes répandues en Israël portant sur les constructions érigées au-delà de la barrière de sécurité, ce ne sera probablement pas parce que les Israéliens auront le sentiment qu’il puisse bloquer ce qui aurait été, s’il n’avait pas été là, un chemin ouvert vers la paix.
Kerry a consacré très peu de son allocution à l’évocation de la violence et du terrorisme palestiniens en Israël, et beaucoup à dénoncer les implantations – continuant l’agression qu’il avait commencé au Centre Saban au début du mois. Il a également défendu l’abstention, dont l’écho résonne encore, des Etats Unis au Conseil de Sécurité vendredi dernier.
Il est apparu comme ayant réalisé que la Résolution 2334, à laquelle les Etats Unis ne pouvaient opposer un veto “en toute conscience”, a déterminé que toutes les parties de Jérusalem capturées en 1967 – parmi lesquelles le mur Occidental et le mont du Temple – étaient des “territoires palestiniens occupés”.

En contraste avec l’explication apportée à l’issue du vote par Samantha Power, Kerry a souligné les liens profonds aux niveaux religieux et historique existant entre Israël et la ville sainte et a affirmé que la Résolution « ne présumait en rien l’issue des négociations sur Jérusalem-Est ».
Il a également semblé indiquer que les Etats Unis ne feraient pas d’autres tentatives pour présenter les principes qu’il a établis au terme de son discours lors d’une résolution ultérieure à l’ONU, qui viserait à imposer d’éventuelles conditions.
Mais peu d’Israéliens se réjouiront de cela après les dommages infligés dernièrement à Israël par l’administration sortante au niveau international. Et qui pourrait affirmer avec certitude ce que feront les autres groupes et les autres pays de cette résolution, ou des anciens-nouveaux principes de Kerry qui, parmi d’autres caractéristiques, établissent bien, en définitive, des cadres qui pourraient définir l’avenir de Jérusalem ?
En fin de compte, comme il l’a reconnu en tout, à demi-mots, le discours prononcé mercredi a été l’aveu d’un échec : Son échec à faire avancer la paix entre les Israéliens et les Palestiniens. A l’issue d’un mandat au cours duquel il a tenté infatigablement de forcer les Israéliens et les Palestiniens à trouver un accord, il est enfin arrivé à la conclusion que c’est pour le moment impossible et que cela pourrait le rester pour un certain temps encore.
Il aurait eu plus de chance de réussite – ou tout du moins, la possibilité de créer un climat où les perspectives de paix auraient été plus brillantes – s’il avait concentré plus son attention sur le climat toxique parmi les Palestiniens.
Ces derniers sont éduqués sans relâche à l’idée de l’illégitimité d’Israël, à travers des récits narratifs répétés sans cesse sur les médias sociaux, par leurs dirigeants politiques et spirituels, parfois même au sein de leurs écoles. Il n’a jamais stratégiquement tenté de gérer ce processus d’endoctrinement.
Il est plus facile de blâmer de manière démesurée les habitants des implantations que les Palestiniens. Voire – Dieu nous en préserve – de se blâmer soi-même.
Cela a été une route bien difficile que celle qui a été empruntée au cours des huit dernières années.
Et à quelques jours de la fin du voyage, la profondeur des frustrations et des colères accumulées entre Washington et Jérusalem est apparue dans sa nudité crue.
Le vote de vendredi dernier à l’ONU a incarné l’exemple le plus flagrant en huit ans de « mise à distance » entre les Etats Unis et Israël, comme il avait averti qu’il pourrait le faire dès 2009. Le discours de Kerry mercredi a été l’occasion de lever un rideau qui était jusqu’alors seulement entrebâillé.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel