Israël en guerre - Jour 560

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Interview

Le traumatisme d’enfance, selon Gilles Rozier

Dans Mikado d’enfance, un roman délicat et touchant dont l’enfance nourrit la trame narrative, l'auteur fait de l’intime une œuvre littéraire qui parle à chacun de nous

Illustration. Jeu de mikado. (Autorisation)
Illustration. Jeu de mikado. (Autorisation)

Romancier, Gilles Rozier fut durant vingt ans à la tête de la Maison de la Culture Yiddish devenue, sous son impulsion, une institution prisée du public et reconnue par ses pairs. C’est dans les murs des Editions de l’Antilope, fondée aux côtés d’Anne-Sophie Dreyfus, qu’il a reçu le Times of Israël à l’occasion de la parution de Mikado d’enfance (l’Antilope) : un roman délicat et touchant dont l’enfance nourrit la trame narrative. Ce qu’il faut de talent pour faire de l’intime une œuvre littéraire qui parle à chacun de nous…

Times of Israël : Quelle effervescence ! Que se passe-t-il ?

Gilles Rozier : La publication du livre de H. Leivick Dans les bagnes du tsar, chef-d’œuvre yiddish traduit pour l’Antilope par Rachel Ertel, est un tel succès que nous devons le faire réimprimer en urgence ! Nous sommes en train de « négocier » les délais avec notre imprimeur…

Quitte à passer outre l’injonction proustienne selon laquelle l’homme qui fait des vers et celui qui cause dans un salon n’est pas la même personne, quelques éléments biographiques s’imposent dans ce livre à l’évidence très personnel. Vos parents se sont installés à Grenoble, fief paternel. Sauf erreur, le prénom du père, catholique, n’est pas précisé…

Non, en effet, il n’y a pas son prénom dans ce livre.

Votre mère, juive et fille de déporté, s’appelait-elle bien Annette Szwarcbrot ?

Ce n’est ni le vrai prénom ni le vrai nom.…

Gilles Rozier. (Autorisation)

Peu importe, finalement, la véracité des noms et prénoms. L’idée n’est-elle pas de souligner la volonté de votre mère d’adopter « un bon nom français pour se fondre dans la masse » ?

Bien sûr. J’ai joué avec cela. Dans un passage du livre, je dis que j’aurais pu changer les prénoms dès la première ligne mais que j’avais envie des vrais. Et finalement, j’ai modifié la plupart. C’est la liberté octroyée par le roman…

Votre judéité d’enfance ne s’est-elle pas incarnée de façon
« folklorique », dans les « Oyabrokh » de votre mère, les cornichons au sel, le bouillon de Knaydeledh, le kugel, les galettes de matza tartiné de beurre, de confiture ou de graisse d’oie saupoudré de sel ?

Elle fut principalement culinaire et un peu linguistique. Il faut se remettre dans le contexte de l’époque : Grenoble est à six cents kilomètres de Paris et à huit heures de train. C’est plutôt une ville de rapatriés d’Algérie, avec très peu de familles ashkénazes qui ne peuvent compter que sur un commerce arménien pour trouver quelques cornichons et, de temps en temps, du Pickelfleish.

Dans cet environnement, ma mère se sent totalement en exil par rapport à son enfance ashkénaze, d’abord chez ses parents, jusqu’à leur disparition, puis dans l’orphelinat de la Commission Centrale de l’Enfance (ndlr La CCE créée après la Libération de Paris pour s’occuper des enfants des déportés et fusillés) et enfin chez sa grande sœur qui tenait table ouverte tous les soirs pour ses amis juifs.

Vous évoquez ce qu’il faut bien appeler le mépris avec lequel étaient considérés les « pieds-noirs », ces « Juifs joviaux à l’identité juive affirmée, au teint mat et à l’accent ensoleillé, qui portaient des noms bizarres qui ne se terminaient ni en sztajn, ni en man, ni en
owicz » …

Je me suis emparé de ce passage de manière littéraire mais effectivement, ma mère, toute à son ambivalence, n’arrêtait pas de dire « Je n’ai rien à voir avec ces gens » ou « J’ai quand même à voir, mais pas beaucoup ». C’est très ambigu.

Et l’injure suprême que vous rapportez tient au fait qu’ils
« tournaient de l’œil devant une carpe farcie ou un pied de veau en gelée » ! De la même manière, dans son roman Tyrannie (Grasset), l’avocat Richard Malka évoque un expert psychiatre ashkénaze qui, lassé d’une audience interminable au cours de laquelle il doit témoigner, « pense à la carpe farcie de sa mère, ce plat d’Europe de l’Est objectivement écœurant »…

Cela va, pour moi, au-delà du souvenir d’enfance car j’entends systématiquement : « Franchement, la nourriture ashkénaze, c’est pas génial ! ». C’est pour cela que j’en parle dans le livre. L’un de mes amis m’a dit un jour : « À part la carpe farcie et les Knaydelekh, il n’y a rien ! ». Je l’ai pris au mot et j’ai lancé une invitation à dîner. Autour et sur la table, il y avait moitié séfarade, moitié ashkénaze. Je dois dire que le côté ashkénaze n’a pas fait l’unanimité. C’est surtout le pied gelé qui bloquait. Et il y en a quand même un qui a failli tourner de l’œil !

Le frère aîné du narrateur – son prénom n’est pas davantage mentionné – traite son cadet de « filliste » parce qu’il joue à la poupée. Ce néologisme moqueur semble vous avoir terriblement marqué…

Oui, c’était très humiliant…

Au début du livre, le narrateur commente une photo de classe des années 1970 sur laquelle il pose, écolier studieux habillé de bleu parce que, selon l’injonction maternelle, « un enfant aux yeux bleus porte du bleu ». La récurrence du mot bleu en souligne-t-elle l’importance ? Vous êtes d’ailleurs aujourd’hui de bleu vêtu…

J’ai toujours été heureux d’avoir les yeux bleus, ce qui n’est pas très original dans la famille puisque mon père et mon frère ont les yeux bleus. Il faut dire qu’enfant, j’avais l’impression d’être constitué de marginalités et de singularités : je suis gaucher, daltonien, à moitié juif, à moitié goy et j’aime les garçons. Quant au bleu, il est, pour le daltonien que je suis, la seule couleur en laquelle j’ai confiance.

Gilles Rozier, à l’école en 1973-1974. (Autorisation)

Vous dressez le tableau d’une époque : celle des téléphones en bakelite noire, des pantalons « pat’ d’éph », de la chasse au « gaspi », des Claudettes, de la Séquence du spectateur, des Dossiers de l’écran et de l’annuaire téléphonique – le bottin – qui tient dans ce livre un rôle déterminant. Vous rappelez un temps où la poupée Barbie n’existait pas car « on n’osait pas donner à des jouets des noms de tortionnaires nazis ».…

Je suis très sensible au langage et aux mots. Par exemple, lorsque j’étais directeur de la Maison de la culture yiddish, je relisais toujours la brochure avant impression et je supprimais systématiquement toute mention indiquant « événement organisé en collaboration avec… » pour mettre à la place « en coopération avec ». Les mots ont un sens et ils peuvent être pervertis par l’histoire. Je trouve hallucinant que des enfants de France jouent avec une poupée qui s’appelle Barbie. Et je trouve encore plus hallucinant que l’onglet sous lequel on pouvait choisir et conserver des archives sur le site du Mémorial de la Shoah, comme on le fait ailleurs sous l’intitulé « Mon panier », s’est longtemps appelé « Ma sélection »… On se dit qu’il y a derrière un webmaster et un directeur qui n’ont plus aucune distance par rapport au sujet. Ce n’est quand même pas possible qu’au Mémorial de la Shoah, le panier s’appelle Ma sélection…

Un autre exemple : lors d’une rencontre en Allemagne pour ‘Un amour sans résistance’, un homme dans le public m’a demandé : « Qu’en est-il des Juifs à l’heure actuelle étant donné qu’ils sont, pour la plupart, « in Israël konzentriert », concentrés en Israël ? ». J’ai répété : « Konzentriert… » et j’ai laissé s’installer un silence avant de lui répondre. J’ai trouvé, là aussi, hallucinant qu’il utilise ce mot.

Est-ce l’importance accordée aux mots qui vous conduit, dans le livre, à user d’un expédient graphique <…> pour exprimer votre embarras quant à la manière de qualifier la mort de votre grand-père et de votre grand-mère maternels, l’un mort du typhus, l’autre suite à une pleurésie contractée à force d’attendre, dans le froid, devant les barbelés de Beaune-la-Rolande ?

Ma mère disait : « Mon père est mort en déportation ». Je dis aujourd’hui : « Mon grand-père a été assassiné à Auschwitz ». C’est un assassinat. Il n’est pas mort par hasard du typhus à Auschwitz. Les années 1970 ont été marquées par l’utilisation d’euphémismes, pour atténuer une réalité ou mettre à distance un souvenir trop atroce. Ceux qui sont restés en France ont dû s’en accommoder.

Vous parlez d’une enfance vécue dans « la clandestinité » ou encore « en exil intérieur ». Ce livre, dédié à l’enfance, ne souligne-t-il pas également la toxicité des non-dits ?

Je n’ai pas encore la réponse me permettant de savoir pourquoi j’ai tellement joué avec la clandestinité. Est-ce dû aux circonstances, à ma sensibilité, aux non-dits, à une mémoire mal digérée ?… Je ne sais pas.

« Si ma mère m’avait amené à la cérémonie du Souvenir à la Synagogue, j’aurais pu entendre le ministre officiant entonner la prière El malé rahamim. Je l’aurais écouté détacher les mots Oyyyyyshvits, Maydaaaanek, Treblllinka. Mais ma mère, laïque convaincue (…) n’entretenait aucune relation avec la communauté juive de Grenoble » Mikado d’enfance (p 75)

(A 39 minutes et 25 secondes, à la Grande Synagogue de la Victoire, Paris lors de la Cérémonie du Souvenir, El malé rahamim interprété par Adolphe Attia, en 2012)

D’où cette enfance que vous comparez à « une boîte noire gisant au fond de l’océan ». La boîte noire a-t-elle parlé ?

Ce livre est, je m’en rends compte après l’avoir écrit, le fait de l’adulte qui essaie de réparer l’enfant avec son petit mécano…

De ces non-dits découlaient également la question « En étais-je ou
non ? ». C’est de votre judéité qu’il s’agit…

J’étais minoritaire parce que j’étais moitié juif, moitié pas juif. Marianne Rubinstein (ndlr Auteure, notamment, de Tout le monde n’a pas la chance d’être orphelin, Ed. Verticales, 2002) m’a dit un jour : « Gilles, nous ne sommes pas moitié-moitié : nous sommes doubles ! ». Ses mots ont eu pour moi l’effet d’une révélation. Parce que je suis double, j’éprouve à la fois un attachement à l’exil et un attachement à la terre.

Si vous parlez de « traversée », c’est que vous avez atteint une autre rive. Votre identité s’est-elle forgée grâce à votre rencontre avec le monde yiddish ?

Maintenant, dans le yiddish, je me sens chez moi. Et pourtant, je me suis senti très illégitime pendant bien longtemps. D’ailleurs, je me suis longtemps senti à ma place nulle part. Dans le yiddish, je me sens bien.

Une étape de votre « parcours yiddish » correspond à la thèse que vous avez consacrée à l’écrivain Moyshe Broderzon, sous la direction de Rachel Ertel

Au départ, ma démarche par rapport au yiddish relève, comme je l’explique dans le livre, d’une volonté de mettre la langue de mon grand-père dans ma bouche. Si je n’avais pas rencontré Yitskhok Niborski et Rachel Ertel qui m’ont fait découvrir la force de cette langue et de sa littérature, peut-être n’aurais-je pas plongé à corps perdu dedans.

L’écrivain Moyshe Broderzon, (Autorisation)

Est-il vrai qu’en guise de conseil pour écrire votre thèse, Rachel Ertel, grande intellectuelle, professeure émérite pétrie de culture et pesant chacun de ses mots, vous aurait enjoint de faire « comme tout ce que l’on fait dans la vie : avec sa libido » ?

C’est vrai ! À ma grande surprise d’ailleurs. Et c’est une leçon dont je me souviens tous les jours de ma vie.

Vous avez fondé, avec Anne-Sophie Dreyfus, l’Antilope, maison d’édition exclusivement dédiée à ce que l’on serait tenté de désigner par l’anglicisme « Jewish literature », dans la mesure où la France ne rassemble pas, sous cette entité, des livres de littérature juive. Les écrivains craindraient-ils, en France, d’être « réduits » à leur judéité ?

C’est ce que nous avons dit lorsque nous avons créé l’Antilope. Aux Etats-Unis, en Allemagne ou en Pologne, l’intitulé « Jewish litterature » est très bien perçu.

Nous affirmons qu’une transversalité est possible. S’il se construit à travers notre subjectivité, le catalogue finit par nous surprendre et établit des dialogues symboliques entre les auteurs. Il est devenu une sorte d’œuvre d’art qui tend à expliquer ce qu’est la « Jewish litterature ».

Mikado d’enfance s’ouvre sur une citation de Jean Genet dont les propos anti-sionistes ont parfois pris une coloration antisémite. Pourquoi le citer ?

Ce que j’admire, chez Hannah Arendt, c’est qu’elle ne fait jamais passer les affects avant la pensée. Eh bien, je suis comme cela. Je ne fais jamais passer les affects avant l’intellect. Jean Genet est l’un de mes auteurs préférés. C’est un grand écrivain dont les problématiques m’intéressent. Les deux chocs littéraires que j’ai connus, au sens physique du terme, ceux qui m’ont fait trembler, ont été Uri Zvi Grinberg, poète yiddish et hébraïque d’extrême droite – alors que je ne suis pas du tout d’extrême droite – et Jean Genet.

On relève la récurrence du mot « bêtise ». Avant d’en arriver à celle que vous avez commise, vous évoquez la bêtise des maquisards du massif du Vercors, décors de votre enfance…

Mon père disait que c’était une bêtise, tout en ayant une grande admiration pour ce geste. Hisser un drapeau aux couleurs de la République sur le bord du plateau en juin 1944, si peu de temps avant la Libération, constituait une bêtise tactique mais symboliquement, c’était un geste plein de panache. Le résultat fut que les Allemands sont descendus en planeurs et qu’ils ont massacré les maquisards et les populations….

Une autre bêtise est liée à la légende familiale selon laquelle votre grand-père serait mort pour avoir changé des dollars en pleine guerre. « Ouh ! Le vilain ! (…). Voilà ce qui arrive quand on fait des bêtises ». Le mot n’est-il pas en décalage dans ce contexte ?

J’ai abordé ce sujet dans un roman précédent, Projections privées (Denoël, 2008) qui déconstruit la légende que ma mère m’avait transmise sur les circonstances de l’arrestation et de la déportation de mon grand-père. Quand j’ai indiqué à une historienne du CERCIL (ndlr le Centre d’Etude et de Recherche sur les Camps d’Internement de Beaune-la-Rolande, Pithiviers et Jargeau) qu’il serait arrivé de la prison de la Santé à Beaune-la-Rolande le jour de la rafle du billet vert (ndlr nom donné à la convocation et à l’arrestation de Juifs étrangers par la police française le 14 mai 1941), elle n’en a retrouvé aucune trace. De même, mes recherches dans les archives pénitentiaires de la guerre ont été vaines.

Mon grand-père s’est vraisemblablement présenté à la convocation et a été envoyé à Beaune-la-Rolande. L’historienne a conclu : « Des histoires comme la vôtre, j’en ai entendu une centaine ». Il était tellement insupportable de se dire qu’un membre de la famille avait été déporté parce que juif qu’il fallait créer des micro-culpabilités. C’était d’ailleurs toute la perversité de la stratégie des nazis. Une étoile jaune mal cousue pouvait vous expédier à Drancy. On disait ensuite : « Eh oui, l’étourdi, s’il l’avait bien cousue, son étoile, il ne serait pas allé à Drancy »…

Photo envoyée par un prisonnier juif polonais du camp de Pithiviers (Archive personnelle)

Venons-en à la bêtise, celle que vous avez commise pour vous rapprocher de deux camarades d’école, Pierre et Vincent, que vous admiriez. Vous leur avez communiqué, en la cherchant dans l’annuaire, l’adresse de votre professeur d’anglais, Monsieur Guez. Ils lui ont posté une lettre qui disait : « Vieux Juif, tu seras puni par le IIIe Reich », assortie de croix gammées. Dans son dernier roman L’ours qui cache la forêt, justement édité par l’Antilope, Rachel Shalita évoque un python qui, après avoir englouti l’antilope, en rejette les poils, les ongles et les cornes qu’il n’a pas métabolisés. Ce fait, refoulé en vous depuis plus de quarante ans, représente-t-il ce que vous n’aviez pas encore digéré ?

J’explique, dans le livre, que cela m’a sauté à la figure il y a quelques années…

Vous parlez du mail envoyé par un certain Jacques : « Cher Gilles
Je viens d’apprendre qu’en 1975 vous avez dû quitter votre collège pour une affaire d’antisémitisme concernant un « vieux Juif » (un certain Monsieur Guez) » ?

En effet. Je n’en avais pas vraiment fait un secret mais je me suis rendu compte que je n’en avais pas parlé à l’immense majorité de mon entourage. Et j’ai pris conscience que cela avait été un traumatisme qui
« traînait » dans ma mémoire et « m’empêchait », exactement comme quelqu’un qui a du mal à digérer. Le fait que je n’en ai jamais parlé était révélateur. Mon ancienne éditrice, à laquelle j’avais fait lire un premier manuscrit non publié, m’a dit que j’étais un écrivain de la complexité. J’ai alors compris que c’était ce sujet que je devais traiter, parce qu’il était complexe. Il y avait aussi la question de l’antisémitisme. La phrase que ma mère a prononcée devant le conseil de discipline : « Comment voulez-vous que mon fils soit antisémite alors que mon père est mort à Auschwitz ? » a été le point de départ de cette histoire complexe. Honnêtement, ce qui s’est passé méritait deux paires de claques ou une mise à pied d’une semaine, ce dont j’ai écopé. Pour les deux autres, l’exclusion du collège a été horrible et disproportionnée.

Beaucoup de mots sont en italiques : lusine, lévénement, lescamps, mortendéportation, copinesdedéportation. Dans une interview accordée à Times of Israël à l’occasion de la publication de La plus précieuse des marchandises. Un conte, Jean-Claude Grumberg confiait : « Quand vous êtes enfant et qu’on vous explique qu’il y a eu six millions de morts dont votre père et votre grand père, ça ne veut pas dire grand-chose. C’est petit-à-petit que l’on individualise. C’est cette individualisation qui instille la vie ». Les blocs en italiques témoignent-ils du travail qu’il vous a fallu accomplir pour parvenir à en détacher les syllabes et à jouer enfin sereinement au Mikado ?

Couverture du livre de J.C. Grumberg. (Autoirisation)

Ces mots en italiques sont des mots plaqués. lévénement permet l’euphémisme, comme lorsqu’on parlait des « événements » d’Algérie qui étaient bien plus que des événements. On finit par ne plus savoir ce qu’il y a à l’intérieur des mots. C’est le cheminement personnel qui permet, progressivement, de reconstituer.

En dernière page, vous écrivez :
« Je n’ai jamais osé demander à Olivier Guez, l’écrivain, s’il avait un lien de parenté avec mon ancien professeur d’anglais ». Times of Israël lui a posé la question : l’auteur n’a pas d’oncle à Grenoble…

J’ai donc la réponse…

La dernière phrase est une vibrante demande de pardon adressée à tous les Guez de France par « ce petit être brisé dans son devenir qui niche encore tout au fond de moi et qui tente encore de verser des larmes »…

Couverture du dernier livre d’Olivier Guez, La disparition de Josef Mengele (Grasset).Prix Renaudot 2017.

À tous les Guez de France, de Navarre et des trois anciens départements de l’Algérie Française…

« Enchevêtrement, désembrouillé, aggloméré » : ces mots, qui font penser à un matériau malmené auquel on aurait tenté de redonner sa forme initiale, évoquent la résilience. Ce livre a-t-il eu raison de votre culpabilité ?

On aura compris que, confrontés à la même situation, d’autres auraient mieux résisté. Je me suis fait écraser par mon enfance et par cet évènement.

D’ailleurs, toute ma démarche à l’égard du judaïsme, pour autant qu’elle ait été indispensable à ma survie, a été faite, à l’époque, avec énormément de culpabilité. C’était une passion coupable.

Quant à savoir si ce livre m’a guéri, je n’en sais rien. Ceux qui ont lu mes livres précédents m’ont dit que j’étais plus touchant. Il semble que je me protégeais de l’émotion. L’humour est aussi peut-être un peu moins grinçant et surtout, plus tendre, plus bienveillant. Il n’empêche que j’ai la trouille, même si les retours que j’ai eus sont très rassurants.

Le court texte de la page 39, isolé, vous décrit, perché en haut d’un plongeoir de dix mètres : « je regarde l’eau onduler et scintiller sous mes pieds. Vais-je m’écraser si je m’élance ? Me noyer dans un marécage aux eaux sulfureuses ? ». Est-il la métaphore de vos craintes face à l’écriture de ce livre ?

Oui, mais ce sont, comme souvent, de fausses peurs. Comme je le dis dans le livre, quand j’ai reçu le mail, je n’ai pas eu peur d’être viré pour antisémitisme alors que j’étais Directeur de la Maison du yiddish et que certains m’attendaient au coin du bois parce que j’ai mon caractère, que je n’ai pas que des amis et que le succès de cette maison a créé des jalousies…

Il s’agissait plus d’une peur intime liée au dévoilement de quelque chose.

Ce livre vous a-t-il fait comprendre que votre mère, qui avait demandé aux membres du conseil de discipline si « vieux chrétien » aurait été insultant, avait trouvé les mots en regard de cette lettre dont elle a souligné que les arguments ne tenaient pas ?

À l’époque, je ne les avais pas compris, contrairement à mon petit camarade Vincent. Je n’avais pas compris que c’était moi qui avais été pris au piège de la pression sociale et que le problème, c’était le mot juif auquel la société donnait une image péjorative.

Qui, pour l’instant, a lu le livre dans votre famille ?

Personne. En découvrant les premiers commentaires, ma mère a
déclaré : « Je sens qu’on va encore déguster ! ». Être proche d’un écrivain n’est pas toujours une situation très confortable.

Pourquoi l’avoir confié à l’Antilope ?

Lecture faite, Anne-Sophie avait très envie de le publier. C’est la principale raison. Je peux vous dire qu’elle m’a fait bosser ! Si elle l’a fait, c’est qu’elle savait qu’il y avait quelque chose que je n’étais pas encore arrivé à faire sortir. J’a hésité mais je trouve maintenant que c’était une très bonne idée, qui a une cohérence avec la maison, avec nos parcours respectifs et notre engagement.

Mikado d’enfance, Gilles Rozier, l’Antilope, 192 p, 18 €

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