L’écrivaine israélienne Zeruya Shalev se confie sur la guerre contre le Hamas
C'est "comme si on recevait des images d'Auschwitz, de l'Holocauste". Et c'est "si proche et c'est maintenant", décrit l'auteure
La célèbre écrivaine israélienne Zeruya Shalev se dit « paralysée » dans son travail littéraire depuis l’attaque du Hamas, mais affirme essayer « très fort » de trouver de l’espoir dans « l’esprit d’entraide de la société israélienne ».
« Je ne peux pas continuer mon livre en cours comme si rien ne s’était passé », explique dans un entretien à l’AFP l’autrice de 64 ans, parmi les plus traduites à l’étranger dans son pays. « Alors j’utilise mes mots pour écrire sur les victimes » dans les journaux.
L’offensive du 7 octobre a fait environ 1 140 morts côté israélien selon un décompte de l’AFP à partir des derniers chiffres officiels israéliens. Quelques 250 personnes avaient été prises en otage et 136 sont toujours retenues à Gaza -pas tous en vie. Ce chiffre comprend les corps des soldats tombés au combat, Oron Shaul et Hadar Goldin depuis 2014, ainsi que deux civils israéliens, Avera Mengistu et Hisham al-Sayed, qui seraient tous deux vivants après être entrés dans la bande de Gaza de leur propre gré en 2014 et 2015 respectivement.
En représailles, Israël, qui a promis de détruire le mouvement terroriste islamiste palestinien, bombarde la bande de Gaza.
Plus de 22 000 personnes ont été tuées d’après le Hamas – un bilan invérifiable – et pour Mme Shalev, première israélienne à obtenir le prix Femina du roman étranger pour Ce qu’il reste de nos vies en 2014, « la mort d’innocents, de femmes et d’enfants à Gaza est dévastatrice ».
« Je partage la colère et le chagrin », réagit-elle, visage doux, long cheveux bruns, alors qu’avant le début du conflit, elle était engagée contre les réformes judiciaires du gouvernement israélien.
« Mais il est difficile d’envisager d’autres options », le Hamas continuant de « lancer des roquettes sur Israël, encore et encore », tout en se « servant de la population palestinienne comme d’un bouclier humain ».
Zeruya Shalev, née dans un kibboutz est, elle-même, restée immobilisée de longs mois en 2004 après avoir été blessée lors d’un attentat suicide, commis par un terroriste palestinien contre un autobus à Jérusalem-ouest et revendiqué, déjà, par le Hamas.
« Voir ces tueurs marcher » dans les rues de ces communautés « symbolisant une société meilleure, égalitaire » et désormais « tachées de sang » lui a « brisé le coeur » : ses grands-parents, arrivés d’Europe en 1912, ont construit l’un des premiers kibboutz.
Pourtant, elle ne veut pas « ignorer » les « images insoutenables » des crimes commis par le Hamas, à l’origine d’un traumatisme qui « restera pendant des générations », dit-elle en référence à ‘l’attaque du 7 octobre.
C’est « comme si on recevait des images d’Auschwitz, de l’Holocauste ». Et c’est « si proche et c’est maintenant », explique-t-elle, « choquée par le silence des organisations de femmes sur les violences sexuelles ».
Mais elle préfère « lire sur le sujet », parce qu’à trop les regarder, « les images pourraient nous hanter » et nous ne pourrions plus les contrôler », estime-t-elle.
Face à des réactions provoquées par les bombardements israéliens jusque dans les plus prestigieux campus américains, jugées antisémites par le mémorial de Yad Vashem, Zeruya Shalev exprime sa « grande solitude » et sa « forte inquiétude ».
« J’y vois un manque total de responsabilité », affirme-t-elle. « Observer des étudiants libéraux soutenir le Hamas, c’est tellement absurde. Le Hamas tue les LGBT+ et traite les femmes d’une manière terrible », ajoute-elle.
D’ailleurs, l’une des « nombreuses causes » de la guerre en cours prend selon elle ses racines « précisément dans le fait qu’il n’y ait pas assez de femmes au pouvoir, ni en Israël », ni côté palestinien.
Dans son dernier roman traduit en français, Stupeur, paru chez Gallimard en août, Zeruya Shalev rappelle le rôle important joué par les femmes dans l’histoire d’Israël, souvent les armes à la main.
Aujourd’hui, elle se réjouit que leur « courage » dans l’armée soit reconnu, tout en se disant « tellement mal et déçue » que sa « lutte », engagée avec d’autres pour « impliquer d’avantage de femmes dans les hautes sphères des décisions relatives à la paix et à la guerre », ait « échoué ».
Malgré tout, elle demeure en contact avec le mouvement « Women wage peace », fondé en 2014 pour donner aux femmes de diverses communautés les moyens d’instaurer la confiance au-delà des clivages.
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Car la « séparation entre Juifs et Arabes » ne lui « semble pas pertinente », Mme Shalev étant « contre les extrémistes, même s’ils sont juifs ».
L’espoir qu’il fera beau demain, elle le voit dans la « solidarité avec les Arabes israéliens » à Haïfa (nord), ville mixte où elle habite. « Il y a une belle solidarité » et « je sens que nous sommes ensemble ». « Cela me donne de la force », conclut-elle.