L’envoyée des USA pour les questions sur la Shoah rappelle la part d’ombre de certains Etats
Ellen Germain veille à ce que les pays qui tentent de réécrire l’Histoire respectent la justesse des faits et leurs nuances

WASHINGTON (JTA) — Au moment où certains pays européens réécrivent l’histoire de la Shoah pour s’ériger en victimes, une haute fonctionnaire de l’administration Biden a rappelé l’attachement des États-Unis à leur rappeler les heures les plus sombres de leur passé.
Ellen Germain, envoyée spéciale du Département d’État pour la Shoah, a déclaré avoir beaucoup dialogué, ces derniers temps, avec des chefs d’Etat qui érigent en héros ceux qui ont résisté à l’oppression soviétique.
Le problème est que nombre d’entre eux ont également collaboré avec les nazis pour persécuter les Juifs.
À la Jewish Telegraphic Agency, la semaine passée, Germain expliquait que son travail consistait à s’assurer que ces pays prennent en compte la totalité de l’histoire.
Elle est favorable au retrait – ou tout du moins à la modification des plaques, statues et autres monuments commémoratifs – dédiés à des personnes qui se sont illustrées avec les nazis.
« Je comprends pourquoi on en a fait des héros nationaux après la Seconde Guerre mondiale, mais on ne peut pas tout bonnement passer sous silence ce qu’ils ont fait pendant la guerre », déclarait Germain à la JTA.
Le service que dirige Germain a été créé en 1999 et elle occupe ce poste depuis août 2021.
Son rôle est de convaincre les Etats impliqués d’accorder des réparations sous forme financière aux familles des Juifs assassinés et exilés de force pendant la Shoah.
À la fin des années 1990, nombre d’Etats se faisaient encore tirer l’oreille pour remplir leurs obligations envers les communautés juives persécutées sinon anéanties.
Stuart Eizenstat, alors Secrétaire adjoint au Trésor américain, a suggéré à l’administration Clinton de créer un poste témoignant de l’engagement des États-Unis à soutenir ces réparations.
Depuis 2017, ce service a rédigé des rapports sur la manière dont les Etats ont appliqué la Déclaration de Terezin, accord conclu en 2009 entre 47 pays pour l’indemnisation des survivants.
Il travaille également en étroite collaboration avec la World Jewish Restitution Organization, pour faire en sorte que davantage de pays prennent des lois facilitant les indemnisations, ainsi qu’avec l’observatoire de l’antisémitisme du Département d’État, pour suivre et lutter contre l’antisémitisme, promouvoir l’enseignement de la Shoah, préserver les archives de l’époque de la Shoah et organiser les commémorations de la Journée de commémoration de la Shoah.

Diplomate de carrière qui a occupé plusieurs postes en Europe, au Moyen-Orient et aux Nations unies, Germain a déclaré que la plupart des pays disposaient désormais de politiques d’indemnisation satisfaisantes, ce qui avait permis de relâcher les pressions américaines en la matière.
Elle a ajouté que certains pays, parmi lesquels la Pologne et la Croatie, devaient adopter une loi sur la question.
Ces derniers temps, elle a mis l’accent sur certains pays, afin qu’ils affrontent plus ouvertement et honnêtement leur rôle dans la Shoah, travail compliqué par la tendance naturelle des États à se créer des mythes nationaux héroïques.
Elle aimerait que les monuments érigés en mémoire aux auteurs d’atrocités soient supprimés, ou tout du moins modifiés.
À titre plus général, la résurgence de l’extrême droite inquiète les organisations juives et l’administration Biden.
La Pologne a ainsi adopté des lois rendant criminelles les accusations selon lesquelles des Polonais auraient collaboré avec les nazis ou empêché les indemnisations ou restitutions de biens.
L’approche de la Hongrie quant à son rôle dans la Shoah fait depuis longtemps l’objet d’un débat entre le gouvernement et la communauté juive.
Les partis d’extrême droite ont fait de considérables avancées lors des récentes élections en Autriche, en Allemagne et en France, entre autres et les défilés néo-nazis defraient toujours la chronique en Europe.
« Il existe à plus ou moins grande échelle ce que nous qualifions de révisionnisme ou réhabilitation, comme la réhabilitation ou la glorification d’individus considérés comme des héros parce qu’ils ont combattu le communisme », explique-t-elle.
« Ils ont combattu les Soviétiques après la Seconde Guerre mondiale, mais ils ont également pris part au génocide nazi. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ils ont collaboré et ont parfois même été directement impliqués dans les déportations ou les massacres. Il existe de pareils cas en Lituanie, en Ukraine, en Croatie. Des rues portent le nom de certains d’entre eux. »

Germain évoque les noms de Juozas Krikštaponis et Jonas Noreika en Lituanie, Roman Shukhevych en Ukraine et Miklos Horthy en Hongrie, dont la mémoire est honorée en raison de leur lutte contre les soviétiques, mais qui ont par ailleurs collaboré avec les nazis.
Germain évoque le problème de ces commémorations, et même parfois leur regain, au cours de ses déplacements.
La réceptivité de ses interlocuteurs, confie-t-elle, est très variable.
Fin 2022, elle s’est rendue en Lituanie, en Hongrie et en Allemagne, où elle a donné un cours sur la Shoah aux diplomates et spécialistes des questions de sécurité de toute l’Europe.
En janvier, elle a accompagné Douglas Emhoff, l’époux juif de la vice-présidente Kamala Harris, lors de son déplacement en Pologne et en Allemagne.

Les responsables lituaniens ont été sensibles à ses arguments pour les inciter à examiner leur propre histoire de la Shoah, explique-t-elle.
« J’ai été vraiment, vraiment agréablement surprise et impressionnée par l’ouverture de tous mes interlocuteurs en Lituanie à la discussion à ce sujet », précise-t-elle.
« Tout le monde, du gouvernement aux universitaires en passant par les journalistes. »
« J’ai organisé une table ronde là-bas, diffusée en direct et qui a attiré 20 000 téléspectateurs. Les questions et commentaires du public étaient francs : « Oui, nous prenons conscience que nous avons un problème et nous devons trouver comment le régler. »
Les Hongrois, en revanche, étaient méfiants.
Les responsables hongrois ont tenté d’assimiler la Shoah à la répression soviétique et de raviver la réputation de personnalités comme Horthy.
Le Premier ministre Viktor Orban en a déstabilisé plus d’un, en Occident, en négociant un virage vers la droite dure et en épousant un discours qui a, parfois, des accents racistes et antisémites.

« La Hongrie est un sujet plus difficile », concède-t-elle.
« Je n’ai pas trouvé le même niveau d’ouverture. Mais il y avait tout de même la volonté d’en parler. »
Elle n’établît pas de parallèle entre les deux pays, aux trajectoires démocratiques radicalement opposées : la Lituanie, avec l’Estonie et la Lettonie, se sont tournées avec empressement vers l’Europe et les États-Unis ces dernières années, d’autant plus que la menace russe se trouve de l’autre côté de la frontière.
La Hongrie, en revanche, est devenue plus insulaire et hyper-nationaliste.
Germain explique adopter une approche nuancée pour favoriser un examen critique de l’histoire.
Des personnes impliquées dans la Shoah, dont elle aimerait qu’elles soient confrontées à leurs crimes, ont véritablement été à l’avant-garde de la lutte contre les Soviétiques.
« Il ne s’agit pas de les effacer de l’histoire, car les gens ont besoin de savoir ce qu’ils ont fait, le bon comme le mauvais », explique-t-elle.
« Mais il faut avant tout restituer l’histoire dans toutes ses nuances et l’enseigner aux habitants de ces pays. Si on a élevé des statues ou des monuments commémoratifs à la gloire de certaines de ces personnes … eh bien, il convient soit de les retirer, soit d’y ajouter des éléments de contexte. »
Elle évoque « cette plaque en hommage à Jonas Noreika, à la Bibliothèque nationale de Vilnius, en Lituanie, qui dit simplement qu’il était un grand homme ».
Noreika était un policier de haut rang qui aurait personnellement supervisé l’assassinat de Juifs. Il est vénéré en Lituanie pour avoir combattu l’Union soviétique aux côtés des Allemands.
Germain dit comprendre le besoin de se trouver des héros pour se forger une identité nationale, après que les Soviétiques ont tout fait pour nier l’histoire des pays qu’ils dominaient, surtout face à une Russie impérialiste de retour sur la scène internationale avec l’invasion de l’Ukraine.
« Je pense qu’il leur a fallu un certain temps pour commencer à examiner leur histoire », dit-elle.
« Dans certains cas, ce n’est que ces cinq ou 10 dernières années qu’une réelle attention a été accordée au fait que certains ont pu ne pas être aussi héroïques qu’on le pensait initialement. »
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