Des ados israéliens en difficulté se reconstruisent au milieu des champs
Les fermes de l’ONG Kaima fournissent un foyer et une structure aux jeunes qui n'ont nulle part où aller - et ça marche
Moshe a quitté le lycée à l’âge de 15 ans. Pendant l’année et demie qui a suivi, il a travaillé un peu ici et là — parfois sur le marché des fruits et légumes de Mahane Yehuda, parfois à la rénovation de maisons. À un moment donné, il a essayé d’aller dans un lycée différent, mais cela n’a pas fonctionné non plus. Lorsqu’il est devenu évident que le mode de fonctionnement de l’éducation secondaire ne lui correspondait pas, il a perdu confiance dans le système et en lui-même. La plupart du temps, il restait à la maison, jouait sur son ordinateur, ne faisait rien et se sentait de plus en plus inutile au fil du temps.
Un jour, quelqu’un lui a suggéré de s’intéresser à Kaima — un environnement de travail agricole à but non lucratif à l’extérieur de Jérusalem — et cela a changé sa vie. Aujourd’hui, il est le responsable de la planification des récoltes de la prochaine saison, suit des cours du soir et a hâte de rejoindre l’armée dans quelques mois.
Il y a plus de 30 000 élèves en décrochage scolaire en Israël. Pourtant, contrairement à la croyance populaire, ils ne proviennent pas nécessairement de maisons brisées ou de milieux socio-économiques « problématiques ».
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Selon Nadav Bensusan, l’un des fondateurs de Kaima, ils n’étaient tout simplement pas capables de s’insérer dans le système éducatif standard et au fil des ans, ils ont perdu la foi non seulement dans le monde adulte, mais en eux-mêmes. Le résultat peut être une spirale descendante très négative.
Kaima (ou « durabilité » en araméen) n’est pas une solution au problème de l’éducation en Israël, explique Yoni Yefet-Reich, le directeur et le fondateur de Kaima, qui détestait passionnément l’école étant enfant mais qui a réussi à tenir jusqu’au bout. Yefet-Reich, qui a été élevé dans une communauté agricole, a travaillé avec des lycéens pendant son service militaire et a continué à aider les jeunes depuis.
Il y a quatre ans, il s’est réuni avec un groupe d’amis, qui voulaient tous faire quelque chose pour les jeunes qui avaient quitté l’école et n’avaient nulle part où aller et rien à faire pendant la journée.
Le groupe a eu l’idée d’un environnement naturel qui, espéraient-ils, peu à peu, aiderait à rétablir la confiance des jeunes en eux-mêmes. Leur approche unique est construite autour d’un concept qui relie l’acquisition de compétences, l’apprentissage pratique, le travail acharné, l’autodétermination et, notamment, la rémunération financière pour rappeler que tout est possible.
Kaima est une ferme fonctionnelle basée sur l’agriculture soutenue par la communauté (CSA), un système, comparable à celui des AMAP françaises, qui permet de faire le lien entre les producteurs locaux et les consommateurs qui achètent leurs produits — des produits de saisons — frais au fermier.
En Amérique, il existe 4 000 fermes CSA. Lorsque Kaima a débuté, il n’y avait que 12 fermes CSA en Israël. Maintenant, il y en a plus de 20. Parmi celles-ci, il y a trois fermes Kaima à but non lucratif qui sont situées dans différentes régions du pays (et deux autres qui vont ouvrir). Les cinq fermes ont été créées sur le modèle original de Jérusalem. Le personnel de la ferme de Jérusalem se rend une fois par semaine dans ces fermes pour prodiguer des conseils.
Afin de les aider à mettre en place le Kaima de Jérusalem, les fondateurs ont reçu une petite parcelle de terre appartenant à la communauté de Beit Zayit, située à la lisière de la capitale. Chaque semaine, Kaima envoie les fruits et légumes cultivés à la ferme ainsi que des œufs de poules élevés en plein air à 300 clients réguliers.
Les agriculteurs de Kaima ont appris que les Israéliens sont particuliers, et qu’ils ne peuvent pas se passer de tomates et concombres, même si ce ne sont pas des produits de saison. Parfois, Kaima achète donc des tomates et des concombres provenant de fermes qui peuvent les cultiver toute l’année, et les inclut dans ses livraisons.
Bien qu’ils n’utilisent pas de produits chimiques sur leurs cultures à Kaima et utilisent un engrais biologique, ils ne peuvent étiqueter leurs produits comme étant des produits bio. La principale raison est celle du coût d’employer un inspecteur régulier, trop lourd pour une entreprise à but non lucratif de ce genre.
L’argent des clients réguliers de Kaima représente 60 % de son financement et des donateurs généreux l’aident aussi. En outre, le gouvernement fournit environ 10 % de ce dont Kaima a besoin. Yefet-Reich pense que le gouvernement devrait aider beaucoup plus, car si ces adolescents étaient à l’école, le gouvernement perdrait beaucoup plus d’argent par rapport à la somme dont Kaima a besoin pour ses jeunes qui travaillent.
Cette saison, Kaima cultive des courgettes, du maïs, des melons, des poivrons, du gombo, des choux-fleurs, des aubergines, des mangues, des citrouilles, des fenouils, des betteraves et une sorte de concombre appelé facus. Les jeunes qui travaillent à Kaima commencent petit à petit, par deux jours par semaine, et passent au fur et à mesure à temps plein. Et ils sont récompensés pour leurs efforts, avec des salaires qui reflètent leur travail. La plupart des adolescents de Kaima gagnent environ 3 000 shekels par mois.
Une atmosphère d’écoute calme
Selon Bensusan, ce n’est pas seulement l’argent, ni le travail qu’ils font, qui donnent à ces adolescents un sentiment de valeur, qui les rendent fiers d’eux-mêmes et les aident à se rendre compte qu’ils peuvent réussir. C’est plutôt la façon dont le personnel interagit avec eux, l’absence de pression, la compréhension et le calme. Le personnel de Kaima pense qu’il existe des jeunes pour lesquels l’apprentissage efficace est le résultat d’une expérience interactive, et non d’une leçon classique dispensée en classe.
Certains des adolescents qui travaillent à Kaima ont passé des années à ne rien faire ou à avoir des problèmes. Mais à Kaima, ils comprennent que, pour gagner de l’argent, ils doivent faire face à des responsabilités et doivent accomplir certaines tâches. Ils arrivent à 7h30, travaillent dur dans les champs, emballent des boîtes ou livrent les produits, et commencent à avoir le sentiment qu’ils peuvent réellement faire quelque chose de bien.
Remarquablement, il n’y a pas de problème de discipline à proprement parler à Kaima. Et ça, déclare Yefet-Reich, c’est parce qu’il n’y a pas de discipline. Il n’y a pas de règle, mise à part l’interdiction de consommer de l’alcool et des drogues, mais à part cela, il n’y a pas d’interdiction. On ne dit pas aux adolescents qu’ils n’ont pas le droit d’utiliser leurs téléphones mobiles, et le personnel a constaté qu’ils savaient quand utiliser leurs téléphones et quand ne pas le faire. S’ils prennent un appel ou appellent, ajoute Yefet-Reich, c’est toujours pour quelque chose d’important pour eux, et donc ce n’est pas grave.
Personne n’est renvoyé de Kaima. S’ils arrivent en retard pour leur journée de travail, note Yefet-Reich, alors ils ont une raison ou vivent une sorte de crise. « Ce jour-là, ou le suivant, nous allons nous asseoir avec eux et écouter ce qu’ils ont à dire. Ce qui est important, c’est la communication entre nous. »
Yefet-Reich pense qu’il existe un autre secret à l’absence de problèmes disciplinaires.
« Nous, les adultes, avons pris la décision calculée de ne pas courir après quelqu’un qui semble exceptionnellement fatigué, agité ou pas motivé. Nous ne mettons jamais la pression sur nos jeunes. En effet, si l’un des adolescents se lie avec un adulte de Kaima, ce n’est pas parce que nous sommes des thérapeutes et eux des patients. C’est parce que nous prenons soin des uns et des autres. Nous sommes des partenaires. »
« Si quelqu’un arrive sous l’emprise de la drogue, nous en parlons, poursuit-il. La communication est la clé. Et cela n’arrive généralement pas une deuxième fois, car nous aidons l’adolescent à comprendre pourquoi il pourrait ne pas vouloir le faire. Nous transférons la responsabilité sur ses épaules. »
Personne ne s’attend à ce que les jeunes de Kaima deviennent des agriculteurs, à moins que cela ne devienne leur objectif dans la vie. Donc, Kaima a également un atelier l’après-midi pour le travail du métal et du bois, et un autre pour les adolescents qui veulent entrer dans le monde de l’industrie.
Le déjeuner à Kaima est une expérience lente et relaxante et nous avons accepté avec plaisir leur invitation lors de notre visite guidée du site. Avec le personnel et les jeunes qui y travaillent, nous avons mangé du riz, de la tehina et des légumes provenant directement des champs. C’est un moment spécial pour l’équipe, qui parle de ses accomplissements du matin, et, bien sûr, tout simplement de tout et de rien.
Chaque année, les jeunes de Kaima vont deux fois dans le désert, où ils testent leurs compétences de survie et forment des liens avec le personnel et les uns avec les autres. À cette occasion, ils sont rejoints par des membres du personnel et des jeunes de la deuxième entreprise de Kaima, une serre hydroponique sophistiquée, installée dans le jardin botanique de Jérusalem.
La serre produit des légumes de haute qualité, exempts d’insectes et savoureux tout au long de l’année, tout en favorisant l’objectif économique à long-terme de Kaima qui est d’assurer 70 % de son budget avec la vente des produits de la ferme.
Près de 80 % des quelque 150 adolescents issus de Kaima retournent dans le système éducatif, s’est réjoui Bensusan. Outre les cours du soir, ajoute-t-il, certains vont même au lycée. Et quand ils atteignent 18 ans, 100 % des jeunes de Kaima rentrent dans l’armée ou commencent le service national.
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Aviva Bar-Am est l’auteure de sept guides en anglais pour découvrir Israël.
Shmuel Bar-Am est guide touristique habilité. Il organise des visites privées et personnalisées en Israël qu’elles soient individuelles, familiales ou pour de petits groupes.
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