Israël en guerre - Jour 500

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Les chefs israéliens à la conquête de New York

Alors que le houmous et le shawarma déferlent sur l'île, les résidents de la Grande Pomme surfent avec bonheur sur cette vague de la gastronomie israélienne

Le chef israélien Eyal Shani prépare une pita dans la branche de New York de son restaurant Miznon qu'il vient d'ouvrir (Crédit : Danielle Ziri/Times of Israel)
Le chef israélien Eyal Shani prépare une pita dans la branche de New York de son restaurant Miznon qu'il vient d'ouvrir (Crédit : Danielle Ziri/Times of Israel)

NEW YORK — C’est un vendredi matin et le marché Chelsea de Manhattan est encore vide. Quelques personnes sont venues prendre un café avant de repartir, d’autres parce qu’elles se préparent à travailler dans l’un des restaurants qui y sont installés et qu’elles s’apprêtent pour le rush habituel de midi qui surviendra dans quelques heures.

Le chef Eyal Shani est un nouveau-venu. Il est assis à l’une des tables en bois de son nouveau restaurant, le Miznon, un espresso à la main alors que le personnel – arrivé une heure plus tôt – est déjà en cuisine, alignant des morceaux parfaitement découpés de chou-fleur.

« Bonjour », dit-il à ses cuisiniers alors que ces derniers passent devant lui, s’arrêtant parfois pour bavarder durant quelques minutes.

L’enseigne Miznon à Tel Aviv — dont Shani se souvient avoir rédigé le menu, centré autour du pain pita, en quatre minutes pendant la nuit qui avait précédé l’ouverture – est d’ores et déjà devenu une institution. Au cours des cinq dernières années, des branches ont ouvert leurs portes à Paris, Vienne et Melbourne. Ce jour-là, c’est au tour de New York de se régaler.

L’intérieur spartiate de la branche du restaurant Miznon à New York d’Eyal Shani (Crédit : Danielle Ziri/Times of Israel)

L’espace en lui-même ressemble à un stand à falfalel haut de gamme : Des murs industriels en béton sur lesquels le menu est écrit à la craie, des conduits d’aération apparents, des paniers à légumes vides répartis dans la salle et un guirlande de fanions de toutes les couleurs pend au-dessus d’une table.

D’un côté du restaurant, une large ouverture vers l’intérieur du marché Chelsea, bondé de touristes et d’employés de Google lors de la pause de midi. Au fond, une petite porte de verre offre une sortie directement sur la 15ème rue. Et cette porte, dit Shani, est son ouverture sur la conquête de la Grande Pomme.

« Tout d’abord, quand j’ai vu le marché Chelsea, je me suis dit que je ne voulais pas être à l’intérieur d’un centre commercial, que je ne voulais pas être à l’intérieur d’une foire alimentaire, que je voulais être dans la rue, que j’étais venu pour travailler dans la rue », dit-il. « Et puis on m’a montré cette ouverture vers la rue et j’ai compris que c’était formidable : Que d’ici, je pourrais conquérir la ville et que depuis le marché Chelsea, je ferais venir les gens ».

L’extérieur du restaurant Miznon, d’où le chef israélien Eyal Shani espère conquérir la ville de New York (Crédit : Danielle Ziri/Times of Israel)

Shani avait pour la première fois rêvé de lancer un restaurant à New York dans les années 1990, quand Israël vivait le chaos de la Première intifada. Dans une période de grand désespoir, il avait eu l’opportunité d’ouvrir un restaurant en centre-ville, à Tribeca.

Shani était en train de finaliser l’ouverture de son établissement lorsqu’il a pris la décision, un jour, de renoncer.

« J’ai eu le sentiment qu’il n’y aurait pas d’espace pour ma créativité, que je n’aurais pas la liberté de faire ce que je voulais », explique-t-il. « Après ça, je n’ai plus voulu de New York. Je ne comprenais pas la ville comme je la comprends aujourd’hui mais, à mon sens, New York avait cessé de m’attirer ».

Le chef israélien Eyal Shani prépare une pita dans son nouveau restaurant de New York de la chaîne Miznon (Crédit : Danielle Ziri/Times of Israel)

De retour en Israël, oubliant New York pendant un moment, Shani a pu trouver l’espace nécessaire pour faire ce qu’il voulait sur la scène gastronomique du pays. Il explique au Times of Israel avoir joué avec les moules, tentant constamment de les casser, avec l’objectif de « semer la pagaille et de voir ce qui doit arriver ». C’est ainsi que l’idée de mettre ses préparations gastronomiques dans des pitas est apparue et que Miznon est né.

Et il est aujourd’hui de retour à New York avec un regard neuf – et un plus grand sens de l’identité.

Alors que les premiers clients commencent à passer leurs commandes, Shani entre dans la cuisine, portant sa blouse blanche et une casquette de baseball, et aligne des pitas moelleuses avec de l’aïoli avant de les remplir de viande, de légumes et de trois morceaux ovales de cornichon.

Même si le menu est en grande partie le même que celui proposé à Tel Aviv, certaines adaptations ont été faites à New York : la crevette s’est transformée en homard dans la pita, une nouvelle pita « hamburger » se mesure au classique américain, et la pita Reuben se veut être un hommage rendu à la communauté juive locale.

Des clients manquent au restaurant Miznon de New York, dernier-né de la célèbre chaîne de restaurants d’Eyal Shani (Crédit :Danielle Ziri/Times of Israel)

« La nourriture israélienne est tumultueuse », s’amuse Shany. « Ici, vous allez dans un restaurant, vous pouvez très bien manger, mais – je ne suis pas sûr de pouvoir l’expliquer – rien n’arrive véritablement au-delà du moment où la nourriture a touché votre corps, rien n’arrive quand elle passe dans votre sang ».

« Et la note d’hygiène A que vous voyez devant les restaurants vous promet que si rien ne vous arrivera en mangeant, ça vous garantit aussi hélas que rien n’arrivera jusqu’à votre âme », déplore-t-il.

C’est là l’objectif poursuivi par Shani : Surprendre les gens au point de les amener à rêver de ses pitas pendant la nuit.

Une pita du restaurant Miznon à New York d’ Eyal Shani’, célèbre chaîne de restaurant centrée autour de la pita (Crédit : Danielle Ziri/Times of Israel)

L’une des premières clientes du jour est Cindy Zhou, influenceuse en termes de gastronomie sur Instagram avec plus de 55 000 abonnés et connue sur la Toile sous le nom de Chubby Chinese Girl Eats.

Cela fait un moment que Zhou voulait essayer Miznon. Elle n’avait pas été en mesure de s’y rendre la dernière fois qu’elle était à Paris et lorsqu’elle a entendu que Shani ouvrait un établissement à New York, il n’a pas été question de manquer cette opportunité.

« Il y a des pitas et plein d’autres choses ici mais j’ai entendu dire qu’il y avait encore un autre niveau », explique-t-elle, tout en enlevant lentement le papier contenant sa pita. « Jusqu’à présent, je pense que c’est vraiment bon. C’est très différent de ce qu’on a ici. C’est plus porté sur les ingrédients et, visuellement, c’est plus attractif ».

« Je pense qu’il se passe quelque chose avec la gastronomie israélienne, les gens sont ouverts à cette alimentation », ajoute Zhou.

Journal d’un gourmet expatrié israélien

L’histoire d’amour de New York avec la cuisine israélienne a atteint son apogée ces dernières années. De nombreux chefs, nés en Israël, se sont installés et ont rencontré le succès à Mangattan. Encore l’année dernière, le chef célèbre Meir Adoni a ouvert son restaurant, Nur, sur la 20ème rue. Un établissement où il faut réserver un mois à l’avance pour avoir une table.

A quelques pas du Miznon, à l’intérieur du marché Chelsea, un autre Israélien fait des vagues. Le chef Michael Solomonov, un Israélo-américain acclamé, a ouvert Dizengoff – où se dégustent salades, houmous, pita et même la limonade à la menthe populaire appelée « limonana ».

Le chef Michael Solomonov, à gauche, rend visite à Meir Adoni à son restaurant Mizlala de Tel Aviv. Ils goûtent le Kubaneh d’Adoni, un pain yéménite dégusté pour le Shabbat (Crédit : Florentine Films)

Solomonov, qui possède déjà 10 établissements aux Etats-Unis, notamment le célèbre Zahav de Philadephie, a commencé sa carrière en lavant des plateaux dans une petite boulangerie de la rue Weizmann à Kfar Saba, attiré par l’odeur des bourekas sortant du four.

« Quelques mois après, j’ai obtenu une place de cuisinier dans un endroit qui s’appelait le Coffee Tree. Je fabriquais des ‘toasts’ [fromage grillé] et des pâtes », se souvient-il.

Petit à petit, Solomonov a monté les échelons. Il a fini aux Etats-Unis, préparant la cuisine dans un restaurant français, puis italien. A ce moment-là, son jeune frère, David, était dans l’armée israélienne.

Devant le marché Chelsea qui accueille le restaurant de hummus de Michael Solomonov, le Dizengoff, ainsi que le dernier établissement de la chaîne Miznon d’Eyal Shani. (Crédit : Danielle Ziri/Times of Israel)

« Nous vivions des vies très différentes », dit-il. « En 2003, juste avant qu’il ne quitte l’armée, il a réussi à avoir des vacances qui coïncidaient avec mes congés du restaurant italien. Je me suis donc envolé vers Israël et on a passé quelques semaines ensemble après ne pas avoir vécu dans le même pays pendant quatre ans ».

Ces vacances devaient être la dernière occasion où Solomonov voyait son frère. Peu de temps après, le téléphone a sonné : David était mort au combat à proximité de la frontière libanaise.

« Cela a changé le cours de ma vie », raconte Solomonov. « L’idée de se reconnecter à Israël, d’une manière ou d’une autre, était devenue pertinente. C’est vraiment étrange, cette manière dont la tragédie vous ramène à des choses qui sont dans votre coeur et dans votre âme ».

Quelques semaines après, il a décidé de partir pour l’ancienne base de son frère, à Metula, et de faire la cuisine pour son unité entière – une façon de lui rendre hommage.

Dans le Miznon, le restaurant de pitas ouvert par Eyal Shani à New York. (Crédit : Danielle Ziri/Times of Israel)

« A ce moment-là, quelque chose a changé en moi : Je savais que pour devenir plus proche de mon frère et pour raconter l’histoire d’Israël, il fallait que je fasse de la gastronomie israélienne », dit-il. « Je me suis trouvé, d’une certaine façon. Ma mission n’est pas seulement de cuisiner des plats israéliens – c’est de représenter Israël à travers ce véhicule qu’est la nourriture ».

Avant d’ouvrir la première branche de Dizengoff à Philadephie, Solomonov n’était pas sûr de la réponse qu’apporteraient les Américains à ce que les Israéliens considèrent comme la nourriture du quotidien.

« Cela n’a pas été difficile à expliquer – les gens gravitent vers cette cuisine », ajoute-t-il. « Je pense que tout le monde adore le houmous ».

Le Chef Eyal Shani supervise les cuisiniers dans la nouvelle branche de restaurant Miznon, à New York (Crédit : Danielle Ziri/Times of Israel)

Le succès connu par la cuisine israélienne aux Etats a de multiples explications, note Solomonov.

« Aujourd’hui, c’est vraiment tendance aux Etats-Unis d’avoir de petites assiettes comme des tapas dans les restaurants espagnols et ce qui est vrai aussi, c’est que la gastronomie israélienne représente un grand nombre de cultures différentes et c’est très stimulant dans un pays comme l’Amérique qui est un melting pot, une tapisserie d’un grand nombre de cultures également. C’est la même chose », dit-il.

« L’idée que la cuisine israélienne est dorénavant mondiale et qu’elle parle à un public plus large, c’est ce qui la rend moderne. Et cela revient à nous de la faire passer d’une simple cuisine à quelque chose de plus vaste », ajoute-t-il.

Le rêve de Solomonov est d’ouvrir, un jour ou l’autre, un restaurant à Tel Aviv. Mais ce défi sera différent, dit-il, parce que l’industrie du restaurant n’est pas du tout la même là-bas.

Une pita de la branche de New York du restaurant Miznon du chef Eyal Shani (Crédit : Danielle Ziri/Times of Israel)

« Il y a moins de patience et beaucoup de pression », dit-il, moitié en hébreu, moitié en anglais.

Moins ‘balagan’ en Amérique

Les règles du jeu sont en effet différentes en Israël et à New York. Shani, qui se trouve depuis deux mois dans la ville pour préparer l’ouverture de Miznon, dit qu’il a remarqué qu’ici, « il est facile de maintenir un certain niveau en raison du système ».

« Tout est organisé, comme la municipalité elle-même, dans une grille. Chaque personne a une responsabilité qui lui est propre et il est facile de diriger les choses », explique-t-il. « En Israël, chaque jour, on regarde le ciel et on recommence de zéro. D’un côté, cela ralentit votre croissance mais de l’autre, cela donne l’opportunité de croître sans limites ».

En Israël, Shani accueille environ 3 500 clients par jour. Même s’il s’est fait un nom et qu’il est même une star dans une émission de télé-réalité, c’est encore un « défi quotidien ».

Un panneau écrit à la craie en hébreu annonce le menu à la branche du restaurant Miznon de New York du chef Eyal Shani (Crédit : Danielle Ziri/Times of Israel)

« Ici, la peur du moment n’existe pas », dit-il à l’attention du Times of Israel. « J’ai l’habitude de me battre pour la journée, pour la minute. En Israël, je ne peux que regarder le moment présent : C’est une affaire de vie ou de mort. Si un jour, il y a moins de gens, on peut avoir le sentiment que tout est perdu ».

A New York, ajoute-t-il, « tant qu’il est bien géré, votre restaurant peut vivre pour toujours. Cela ne veut pas dire que tant que vous êtes créatif, ce sera le cas ».

Penser à long-terme est quelque chose de nouveau pour Shani. En Israël, les équipements utilisés dans ses restaurants, il le sait, sont prévus pour durer trois à quatre ans parce que l’incertitude règle. Mais pour ce Miznon, il a investi dans des machines qui fonctionneront plus longtemps.

Même ainsi, Shani n’a pas besoin de ressentir une certaine sécurité. Il s’épanouit dans le risque, tentant constamment d’abattre les murs de la tradition.

Les morceaux de chou-fleur bien connus Eyal Shani dans son nouveau restaurant Miznon à New York (Crédit : Danielle Ziri/Times of Israel)

« En Israël, je fais ce que je peux pour créer des mutations en moi-même, je vais très loin pour briser mes propres moules », dit-il. « Je ne crois pas que New York se dirige vers des mutations mais plutôt dans la mise en valeur de ses propres gènes, en investissant dans ce qui est déjà ici ».

« Je pense que venir ici – en tant que système génétique qui produit des mutations – a le potentiel de changer l’ADN de la ville », continue-t-il. « Et c’est mon rêve, c’est la grande raison pour laquelle je suis venu ici : Tenter de sortir les gènes de leur zone de confort, de secouer les choses ».

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