Les chiites libanais de plus en plus rebutés par leur rôle de bouc émissaire dans la guerre du Hezbollah contre Israël
Plus d'1,4 million de Libanais, soutiens du Hezbollah, ont dû quitter leur maison. Et tandis que le groupe terroriste tente de conserver sa loyauté, certains appellent à sa disparition
Ahmad Yassine, commentateur chiite libanais très suivi sur X, la plateforme de réseaux sociaux, a écrit jeudi dernier que le nouveau chef du Hezbollah, Naim Qassem, avait concédé la capitulation du groupe en tant que formation militaire dans son dernier discours, la semaine passée.
« Tous ceux qui ont entendu le discours préenregistré ont compris qu’il s’agissait d’une déclaration de reddition totale », a écrit Yassine. « Le Hezbollah est tombé, il n’a plus qu’à annoncer la date des funérailles », a-t-il ajouté.
Les propos de Yassine ont beau correspondre à la vision des capacités militaires fortement diminuées du groupe et de sa direction totalement décimée, tout le monde, au niveau de la base chiite du Hezbollah, ne partage pas ses conclusions – alors même qu’il fait les frais des initiatives militaires d’Israël contre l’organisation soutenue par l’Iran.
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Selon des chiffres récents de l’ONU reprenant des informations du gouvernement libanais, plus d’1,4 million de personnes, soit près d’un quart de la population libanaise, ont fui depuis le début des hostilités entre Israël et le Hezbollah, le 8 octobre 2023.
L’écrasante majorité des personnes déplacées sont parties depuis l’intensification des frappes israéliennes, il y a de cela deux mois, qui visent, pour l’essentiel, des bastions chiites du Hezbollah dans le sud-Liban, l’est de la vallée de la Bekaa et le quartier de Dahiyeh, à Beyrouth. Les 11 premiers mois du conflit déclenché par le Hezbollah, près de 110 000 Libanais avaient été évacués.
« Les chiites sont historiquement les opprimés du Liban », estime Nagi Najjar, officier de renseignement lors de la guerre civile libanaise et ex-consultant de la CIA, aujourd’hui installé aux États-Unis.
Cette communauté a été politiquement marginalisée lors des quatre siècles qu’a duré l’empire ottoman, dominé par les sunnites, et le mandat français qui a suivi a plutôt eu tendance à favoriser les Chrétiens. Par ailleurs, les chiites vivent traditionnellement dans des zones rurales du sud et de la vallée de la Bekaa, régions négligées en termes de développement économique.
« Grâce au Hezbollah, [les chiites] ont pris de l’importance, ce qui leur a permis de prendre le pouvoir politique et de s’enrichir. Ils ne tourneront pas facilement le dos au Hezbollah », explique Najjar au Times of Israel.
Un pays au bord de l’effondrement économique
Selon un récent rapport de l’ONU reprenant des données du gouvernement libanais, parmi les personnes évacuées en raison des hostilités, près de 560 000 – essentiellement des réfugiés syriens – sont parties vers la Syrie, et plus de 875 000 sont restées au Liban.
La crise interne des réfugiés a précipité l’effondrement économique du Liban. Il y a de cela deux semaines, la Banque mondiale a indiqué que le conflit avait coûté au Liban 8,5 milliards de dollars – 3,4 milliards de dollars de dégâts directs et 5,1 milliards de pertes dans les secteurs du commerce, du tourisme ou de l’agriculture.
Selon la Banque mondiale, l’économie libanaise, en chute libre depuis déjà des années, était, avant le début de la guerre, adossée à une population à 44 % sous le seuil de pauvreté – dégradation enregistrée ces dix dernières années avec un triplement des taux.
Soucieux de préserver le délicat équilibre du pouvoir entre les différentes communautés, le Liban ne collecte pas de données sur l’appartenance religieuse de ses concitoyens. Toutefois, le Factbook de la CIA estime que les chiites représentent 31 % de la population.
De nombreux chiites restent dans les zones ciblées par les frappes israéliennes, mais les plus riches sont déjà partis à l’étranger.
Selon des sources gouvernementales citées par le journal libanais L’Orient Le Jour (OLJ), la majorité des chiites sont déplacés au Liban et 20 % seulement d’entre eux ont trouvé refuge dans les 1 250 centres établis par le gouvernement. La plupart auraient trouvé refuge chez des proches ou loué des maisons, souvent à des tarifs très élevés.
La Banque mondiale estime les besoins alimentaires de court terme des personnes déplacées au Liban à 131 millions de dollars par mois – une somme que le gouvernement n’a pas encore déboursée car les finances sont tendues, expliquent des membres des autorités cités par le journal libanais.
Les ressources gouvernementales étant limitées, le Hezbollah a apporté son aide financière et promis la reconstruction. Des sources au sein du groupe, citées par l’OLJ, explique que nombre de familles ont reçu 7 000 dollars chacune plus l’assurance que les maisons détruites seraient reconstruites.
Le groupe terroriste se donne beaucoup de mal pour garder le lien avec sa base et continue d’alimenter son vaste réseau d’organisations caritatives.
Le spectre d’une nouvelle guerre civile
Le Liban vit dans le traumatisme de la guerre civile brutale qui l’a frappé de 1975 à 1990 et qui a déchiré le pays en clivages religieux et fait près de 150 000 morts.
Le déplacement massif de chiites vers des zones dominées par d’autres confessions religieuses menace de raviver les conflits politiques et sociaux, car les communautés d’accueil craignent que l’accueil de membres du Hezbollah cachés parmi les déplacés ne les expose à des frappes israéliennes.
Le Premier ministre par intérim, Najib Mikati, musulman sunnite, a rappelé l’importance de maintenir la « paix civile » et même les rivaux du Hezbollah, à commencer par le parti chrétien des Forces libanaises, en ont fait leur ligne en modérant leur discours politique et en exhortant leurs partisans à ne pas attiser les tensions. Pour autant, sur le terrain, le danger plane.
Des habitants ont récemment expliqué à Reuters que les conflits se concentraient souvent autour des écoles qui hébergent des personnes déplacées. Les alliés du Hezbollah auraient pris le contrôle de la circulation et des admissions au sein de certaines institutions.
Les tensions sectaires ont régulièrement refait surface, ces dernières années, et certains analystes ont mis en garde contre le risque de guerre civile.
L’expert du Hezbollah, Matthew Levitt, chercheur principal au Washington Institute for Near East Policy, expliquait récemment au Times of Israel qu’à mesure que le groupe terroriste perd du terrain sur le champ de bataille, il pourrait utiliser des armes pour garder son emprise sur le Liban.
Certains experts estiment que la marginalisation du Hezbollah sur la scène politique libanaise, suite à son démantèlement militaire, pourrait avoir d’importantes conséquences sur les soutiens chiites du Hezbollah.
« La communauté est traumatisée, disloquée et lourdement armée, sans leader capable de contrôler le ressentiment et l’humiliation ressentie par les chiites en leur qualité de seule et unique communauté prise pour cible par Israël », a récemment écrit Michael Young, expert du Liban pour le Carnegie Endowment installé à Beyrouth.
« Le Hezbollah va faire courir le bruit qu’ils [les politiciens libanais] se sont servis des raids israéliens pour marginaliser une fois de plus les chiites, ce qui lui permettra de canaliser vers l’intérieur la colère que nombre de membres de la communauté doivent ressentir, eux qui ont tout perdu », a-t-il ajouté.
Mécontentement croissant à l’égard du Hezbollah parmi certains chiites
Le Hezbollah se positionne comme le défenseur des chiites et capitalise sur la colère et la vulnérabilité de la communauté pour maintenir le lien.
Toutefois, d’importantes voix, au sein de la communauté chiite, contestent l’autorité du groupe terroriste, en écho aux critiques de plusieurs dirigeants chrétiens libanais.
L’éminent religieux chiite libanais Ali al-Amin, une épine dans le pied du Hezbollah, ne cesse d’appeler le groupe terroriste à désarmer et donner le contrôle à l’État libanais.
Dans une récente interview à la chaîne saoudienne al-Arabiya, al-Amin a dit que le Hezbollah était une menace permanente pour la stabilité et que ses actions mettaient en danger le Liban sans pour autant bénéficier à Gaza.
Dans une allocution vidéo en date du 14 novembre publiée sur son site internet, le religieux a fait l’éloge du Liban comme « modèle de coexistence basé sur l’ouverture et la tolérance entre les différents groupes religieux » et condamné « ceux qui profitent de la faiblesse de l’État libanais pour établir des mini-États ».
« Tant qu’il y aura des armes hors contrôle de l’État, il y aura des problèmes », conclut-il.
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