Les évacués du nord rêvent de leur maison et des odeurs du dîner du vendredi soir
Les résidents du kibboutz Dan, à Shlomi, dans l'Ouest de la Galilée, essaient de trouver leurs marques à Haïfa. Cela pourrait durer, en témoignent les menaces à la frontière libanaise
Dans les hôtels, les évacués du nord rêvent de revenir chez eux
Les quatre grands-mères originaires du nord d’Israël qui tricotent des bonnets pour les soldats, dans le couloir de l’hôtel Dan Carmel de Haïfa, en cette journée de mardi, ont toutes élevé leurs enfants dans l’ombre des guerres et des attentats terroristes.
Résidentes du kibboutz Dan, au pied du mont Hermon, à l’extrême nord du pays, elles ont survécu aux raids effectués depuis le Liban par l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à la fin des années 1960 ; à la guerre de Yom Kippour, en 1973 ; au tumulte de l’invasion militaire israélienne du Liban en 1982 et à la Seconde guerre du Liban en 2006 ainsi qu’aux pluies de roquettes Katiouchot du Hezbollah qui s’étaient abattues sur le nord de l’État juif dans ce contexte.
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Mais toutes conviennent du fait que la nouvelle menace émanant de l’organisation terroriste soutenue par l’Iran – avec notamment un réseau de tunnels qui pourrait être plus vaste encore que celui du Hamas à Gaza et un arsenal de missiles de précision – est différente et, selon elles, plus terrifiante. Leur principale inquiétude est celle d’une infiltration transfrontalière massive dans le nord d’Israël comme celle qui a pris pour cible le sud du pays, le 7 octobre dernier.
Jusqu’à ce Shabbat noir – ce jour-là, des milliers de terroristes avaient franchi la frontière avec Gaza et ils avaient tué 1 200 personnes, des civils en particulier, enlevant également 253 personnes, prises en otage dans la bande de Gaza – le kibboutz Dan ne cessait de croître. Pas moins de 27 familles s’y étaient installées l’année dernière, racontent ces femmes âgées, et la liste d’attente était longue alors que d’autres familles disaient être en quête d’un logement abordable, avec un bon système d’éducation et une qualité de vie élevée.
Mais, déclare Ruti Fried, dont la fille a fait livrer 800 bonnets en laine pour les soldats jusqu’à présent, « si j’avais de jeunes enfants, aujourd’hui, je ne suis pas certaine que je retournerais à moyen-terme chez moi ».
Depuis le 8 octobre, les forces placées sous l’autorité du Hezbollah attaquent les communautés et les postes militaires israéliens proches de la frontière nord presque quotidiennement. Six civils israéliens ont été tués ainsi que neuf soldats et réservistes.
Jusqu’à présent, le kibboutz Dan, qui se situe à 2,3 kilomètres de la frontière avec le Liban, n’a pas été touché.
La perspective d’une opération militaire visant à repousser les terroristes du Hezbollah à distance de la frontière n’est pas impossible.
En attendant, les 80 000 résidents évacués au mois d’octobre par l’armée des communautés situées dans un périmètre de dix kilomètres de la frontière avec le Liban restent dans le flou, installés dans des hôtels, dans des maisons d’hôtes situées dans d’autres kibboutzim et autres logements temporaires.
« Le plus difficile à gérer, c’est l’incertitude », dit une femme du kibboutz Dan, qui n’a pas souhaité que son nom soit publié, au Times of Israel.
Haïfa accueille environ 2 800 évacués et la majorité d’entre eux sont originaires de la région frontalière avec le Liban, explique Yaïra Tampesco, qui travaille au conseil municipal de la ville.
Les deux tiers environ des 900 habitants du kibboutz Dan sont restés ensemble au Dan Carmel. (La similarité entre les deux noms est une pure coïncidence, Dan étant l’une des plus grandes chaînes hôtelières en Israël).
Sur les 600 personnes arrivées en octobre, 100 ont depuis trouvé un autre logement. Les membres occupant des emplois essentiels sont restés au kibboutz, pour en assurer la sécurité ou s’occuper des ruches et des fermes piscicoles. Le kibboutz Dan produit des truites, ainsi que de l’esturgeon et un caviar très apprécié.
Le porte-parole du kibboutz, Shmuel Gardi, explique que la communauté est très organisée et que le degré de coopération entre membres ou avec l’hôtel et la ville, va « au-delà de l’imaginable ».
Des écoles maternelles se sont formées à l’intérieur de l’hôtel. Les enfants plus âgés sont acheminés en autobus vers une école primaire et une école secondaire à proximité.
Mais cet hôtel de luxe est bien loin des maisons et vastes pelouses du kibboutz.
« Pour les familles avec enfants, ce n’est pas facile de vivre dans une petite pièce où le « salon » est aussi l’entrée », précise Gardi. « Il n’y a pas d’intimité, ce qui peut être agaçant et épuisant. »
Il ajoute que la plupart des personnes réunies dans cet hôtel sont coupées de leur activité professionnelle du fait de l’évacuation.
Dans le hall, nettement plus petit, de l’hôtel Leonardo Plaza, toujours à Haïfa, des habitants de la ville frontalière de Shlomi sont assis, en groupes, sans grand chose à se dire. « Dites aux gens que c’est de la merde », déclare Lior, qui a conservé son emploi dans une entreprise de production de boissons.
À 21 heures, une fois les plus jeunes enfants endormis, mais avant que les adolescents ne colonisent les fauteuils pour leurs rendez-vous nocturnes, le hall s’anime. Alors qu’ils sont déjà nombreux à promener leur chien le long de la promenade de bord de mer toute proche, un jeune homme descend de sa chambre avec un chiot maltais miniature.
Tout le monde veut toucher et prendre dans ses bras Punch, petite boule de poils toute blanche, âgée d’à peine deux mois et demi.
Contrairement au kibboutz Dan, Shlomi est une ville de 9 000 habitants dépourvue de feux de circulation. Après le 16 octobre, les habitants ont commencé à évacuer : deux jours et demi plus tard, tout le monde était parti, à l’exception de quelques centaines de personnes. La plupart des personnes évacuées sont réparties entre Haïfa, Tibériade et Jérusalem.
Alors que la guerre semble inéluctable à la frontière nord et que la menace du Hezbollah, positionné au niveau de la frontière, se fait de plus en plus sentir, ils sont fort peu nombreux à envisager un retour rapide chez eux.
Une diaspora à l’intérieur d’Israël
Nombre d’entre eux quittent au contraire leur chambre d’hôtel pour s’installer dans des hébergements plus adaptés aux séjours de longue durée.
Le gouvernement contribue à hauteur de 290 shekels par jour par adulte et 100 shekels par enfant pour les logements privés loués par les évacués. Désormais, on retrouve des habitants de Shlomi jusque dans la ville la plus méridionale d’Israël, Eilat, ce qui met la communauté à l’épreuve, tout autant que le système éducatif de la ville.
Tout a été fait pour que les élèves du lycée ORT de Shlomi restent ensemble : ceux qui sont partis s’installer à Jérusalem, Haïfa ou Tibériade ont été accueillis, ensemble, dans les écoles ORT de ces villes.
D’autres se trouvent encore ailleurs, un peu partout en Israël. Une semaine avant la visite de cette journaliste, une cinquantaine de pré-adolescents et adolescents de Shlomi étaient revenus – certains de loin – pour se retrouver à l’hôtel Dan Panorama de Haïfa et célébrer les bar et bat mitzvah ensemble.
Selon Tamar Meir, désignée par le directeur de la ville de Shlomi pour prendre en charge les affaires éducatives et sociales de la communauté dans le secteur de Haïfa, les quelque 700 enfants en âge d’aller à l’école primaire de la ville sont dispersés dans plus de 200 écoles.
« Nos directeurs d’école travaillent sans relâche pour s’assurer que les enfants s’intègrent au mieux », explique Meir.
Elia Fridman, âgée de presque 11 ans, est la seule évacuée de sa classe à Haïfa et elle redoutait de s’y installer, se souvient sa mère Svetlana, qui a immigré de Tachkent, en Ouzbékistan, dans les années 1990. Assistante d’enseignement dans une école primaire de Shlomi, Svetlana Fridman s’était installée à Shlomi, il y a de cela 17 ans, par amour pour celui qu’elle avait rencontré dans le cadre professionnel.
Elia confie que son père, décédé d’une maladie il y a trois ans, et ses chiens lui manquent – l’un d’entre eux est avec ses grands-parents, à Haïfa, et l’autre est nourri à Shlomi –, ce qui ne l’a pas empêchée de tomber sous le charme du chiot Punch, comme tout le monde.
Elle s’est fait quelques amis à l’école – « trois filles et un garçon », dit-elle. Mais sa meilleure amie du kibboutz fait partie de ceux qui ont quitté le Leonardo Plaza pour un appartement.
« Elles étaient ensemble chaque soir », précise sa mère.
Des dispositions spéciales ont été prises pour les élèves évacués des classes de Première et de Terminale qui passent leurs examens de fin d’études secondaires cette année : ils auront plus d’épreuves sous forme de projets et moins d’examens externes, a annoncé le ministre de l’Éducation Yoav Kisch en octobre.
Un projet de centre éducatif à Haïfa est en cours de finalisation : doté d’enseignants et de bénévoles, il aidera les lycéens à étudier pour leurs examens de fin d’année. Il sera ouvert « aussi longtemps et souvent que les élèves en éprouveront le besoin », précise Meir.
Les services de l’éducation de Haïfa ont également créé des centres éducatifs et d’activités pour les jeunes au Dan Panorama et au Leonardo Plaza. Les jeunes peuvent y faire leurs devoirs, profiter d’activités informelles et même de cours d’arts ou de sport, entre autres, avec souvent les mêmes enseignants que chez eux.
Une cuisine maison réconfortante
Naomi Ftecha, l’une des tricoteuses du kibboutz Dan, a pu retourner un peu chez elle depuis l’évacuation. Elle en a profité pour y faire des biscuits, qu’elle a ramenés à l’hôtel pour les offrir à ses petits-enfants, qui vivent auprès d’elle.
Nombreuses sont les femmes qui ont témoigné auprès du Times of Israël et ont confié que c’était finalement la cuisine, et le fait de s’asseoir à table avec toute la famille lors du repas du vendredi soir de Shabbat, qui leur manquait le plus.
Ziva Krief, originaire de Shlomi, raconte être allée voir sa sœur, à Kiryat Shmuel, communauté religieuse du nord-est de Haïfa, avec une seule requête : « Toute ma vie, je n’ai fait que cuisiner. Je lui ai demandé : ‘Laisse-moi cuisiner' », se souvient-elle. « J’aime préparer des soupes et des plats comme le poisson épicé. Les odeurs me manquent. »
Des réunions de cuisine sont organisées dans une école de cuisine de Haïfa pour aider les évacués à combler ce manque tout particulier.
Le dîner au Dan Carmel est un somptueux buffet. Une jeune fille, en train de se servir de croustillants feuilletés à la viande, dit que la nourriture est bonne.
« Mais les pâtes de papa et la sauce à la crème de maman me manquent », s’empresse-t-elle d’ajouter.
Toutes les personnes auxquelles cette journaliste a parlé n’ont pas tari d’éloges au sujet des hôtels et de la municipalité de Haïfa.
Mais toutes attendent de rentrer chez elles.
Ruti Fried, du kibboutz Dan, arbore un T-shirt om l’on peut lire « Ticket to Anywhere » [NDLT : « Un billet pour n’importe où »]. Mais ce n’est plus vrai. Lorsqu’on lui demande où elle aimerait aller, elle répond : « Dans ma maison. »
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