Les femmes de la dynastie juive Sassoon, longtemps oubliées, au cœur d’une expo
Les femmes de l'une des plus grandes dynasties du monde ont joué un rôle déterminant ; leur histoire est enfin dévoilée au Musée juif de New York
- Détail d'un portrait de Rachel Sassoon Beer réalisé en 1887 par Henry Jones Thaddeus. (Crédit : Collection privée. Londres/ Anciennement dans la collection Siegfried Sassoon)
- La famille de Sir William Young, 1767-69 par Johan Zoffany (Crédit : National Museums Liverpool, Walker Art Gallery/ Anciennement dans la collection Philip Sassoon)
- Une Haggadah de la famille Sassoon de France ou du sud de l'Espagne, vers 1320. (Crédit : Achetée par l'État d'Israël grâce à un donateur anonyme ; anciennement dans la collection David Solomon Sassoon/via le Musée juif)
- La cathédrale en ruine d'Arras de John Singer Sargent, 1918. (Crédit : Collection Houghton Hall, Norfolk, Royaume-Uni. Anciennement dans la collection Sir Philip Sassoon)
- William Orpen, "The Drawing Room at 25 Park Lane", 1913. (Crédit : Collection privée via le Musée juif)
- Photo de 1936 de Sir Victor Sassoon et de trois danseuses qui se sont produites dans sa boîte de nuit de Shanghai, le Ciro's. (Crédit : Autorisation)
- Détail du "Portrait de l'artiste avec sa femme et sa fille" de Thomas Gainsborough, vers 1748. (Crédit : National Gallery, Londres. Acquis dans le cadre du système d'acceptation en lieu et place à la demande de Sybil, Marquise de Cholmondeley, en mémoire de son frère, Sir Philip Sassoon, 1994/ Anciennement dans la collection Philip Sassoon/ IanDagnall Computing / Alamy Stock Photo)
- Tabatière offerte à la reine Mary par Mozelle Sassoon, Noël 1934 ; fabriquée à Paris, vers 1762-68, en or sablé avec perles, opales et émail (Prêt de Sa Majesté le roi Charles III/ Crédit photo : Royal Collection Trust/© Sa Majesté le roi Charles III 2023)
NEW YORK – Vêtue d’une robe de soie jaune bouton d’or chatoyante, Rachel Sassoon Beer contemple un portrait grandeur nature, une plume d’autruche à la main. Ce portrait convient parfaitement à une femme de son rang social, héritière de l’une des plus grandes fortunes du monde de la fin du XIXe siècle.
Il illustre aussi parfaitement la mission de la nouvelle exposition « Les Sassoon » au Musée juif, qui raconte l’histoire de quatre générations de Sassoon, surnommés les « Rothschild de l’Est« , et notamment le rôle important qu’ont joué les femmes Sassoon, dont beaucoup se sont vues marginalisées dans les récits.
L’exposition a été inaugurée le 3 mars et se tiendra jusqu’au 13 août. Envisagée pour la première fois il y a sept ans et élaborée pendant quatre ans et demi, le vernissage de l’exposition a coïncidé avec la sortie récente du livre à succès du professeur Joseph Sassoon, intitulé The Sassoons : The Great Global Merchants and the Making of an Empire [NDLT : “Les Sassoon : Les premiers marchands de la globalisation, la construction d’un Empire “], qui décrit l’ascension fulgurante de la famille et sa chute tout aussi spectaculaire.
« L’histoire des Sassoon a toujours été perçue comme une histoire de triomphes masculins, tels que David Sassoon, le patriarche, ou encore Siegfried Sassoon, le poète de guerre. C’étaient des histoires d’hommes à n’en plus finir et nous voulions porter l’attention sur les femmes qui ont été soit ignorées, soit négligées », a déclaré Esther da Costa Meyer, l’une des co-commissaires de l’exposition.
Première femme britannique à diriger deux journaux, The Sunday Times et The Observer, Sassoon Beer a joué un rôle clé dans la couverture de la tristement célèbre affaire Dreyfus, qui s’est déroulée entre 1894 et 1906. Parmi les pièces de sa remarquable collection d’art figurent des peintures de Peter Paul Rubens, Gustave Courbet et John Constable. On peut également admirer un tableau de Jean-Baptiste-Camille Corot réalisé en collaboration avec Charles François Daubigny.
Du début du XIXe siècle à la Seconde Guerre mondiale, la famille s’est impliquée dans le commerce, la collection d’art, le mécénat architectural et l’engagement civique. Outre l’étalage de la magnificence de leurs biens, The Sassoons raconte comment cette famille, autrefois apatride, s’est hissée aux échelons supérieurs de la société anglaise.

« L’exposition invite les visiteurs à faire un voyage de l’Irak et de l’Inde à la Chine et à l’Angleterre à travers les magnifiques œuvres d’art qu’ils ont collectionnées et commandées. Chaque œuvre individuelle de l’exposition raconte sa propre histoire, mais ensemble, elles incarnent le voyage mondial que cette famille a entrepris. Elle offre aux visiteurs la possibilité d’entrer dans cette période dynamique de l’histoire à travers le prisme d’une famille », a déclaré Claudia J. Nahson, conservatrice principale du musée Morris et Eva Feld, à propos de l’exposition, dont la préparation a duré quatre ans.
L’histoire commence dans les années 1830, lorsque David Sassoon, le patriarche de la famille, fuit sa ville natale, Bagdad, après que le souverain mamelouk Dawud Pacha a commencé à persécuter impitoyablement les Juifs de la ville. Installé à Mumbaï, anciennement Bombay, il se lance dans le commerce des épices, du coton, de la laine, du blé et des perles. Il finit par se lancer dans le commerce lucratif – et légal à l’époque – de l’opium.
Lorsque la Compagnie des Indes orientales s’est effondrée dans les années 1800, Sassoon a cherché une protection ailleurs. Il s’est acoquiné avec les intérêts coloniaux britanniques et en a profité, a expliqué da Costa Meyer. Plusieurs branches de la famille ont fini par s’installer en Angleterre. David Sassoon, le patriarche, est décédé à Pune, en Inde.
« Ils ont dû se réinventer plusieurs fois. Le commerce les a habitués à la diversité et a encouragé une fluidité culturelle qui a caractérisé toute la famille », a déclaré da Costa Meyer.
Cette fluidité se retrouve dans les pièces qu’ils ont collectionnées, dont 120 sont exposées au musée. On y trouve un manuscrit en hébreu du XIVe siècle, décoré de manière extravagante, et de rares sculptures chinoises en ivoire datant du XVIe siècle. Il y a de nombreuses peintures de Thomas Gainsborough et de John Singer Sargent, ainsi que des albums de photos de famille datant des années 1800.

Au fil du temps, les Sassoon ont recherché des pièces et commandé des œuvres qui reflétaient ce passé. Il y a un étendard en argent en forme de main qui a été porté lors d’un pèlerinage au sanctuaire du prophète Ezekiel à Al-Kifl, en Irak, vers 1862. Il y a également plusieurs ketubot, ou contrats de mariage juifs, allant d’un simple contrat à l’encre et à l’or sur papier datant du mariage de Reuben Sassoon et Kate (Khatun) Ezekiel à Mumbaï en 1853, à celui, plus orné, d’Aziza Sassoon et d’Ezekiel Gubbay.
« Profondément croyants, les premières générations de Sassoon ont utilisé les bénéfices du commerce de l’opium pour construire des infrastructures destinées aux populations locales », a expliqué da Costa Meyer. La famille a également commandé des objets d’art cérémoniel juif, des livres de prières à des rouleaux de Meguilat Esther.

Outre l’art, l’exposition s’intéresse aux propriétés de Sir Philip Sassoon. Membre du Parlement britannique pour le parti conservateur, cet arrière-petit-fils de David Sassoon aimait organiser des fêtes somptueuses pour des acteurs, des écrivains et des hommes politiques à Port Lympne, une maison de campagne dans le Kent. Aujourd’hui, la propriété abrite un safari animalier.
Un livre d’or datant de 1919 à 1928 apporte une touche plus légère à l’exposition. Il s’ouvre sur une page remplie de plusieurs dessins ludiques au crayon et d’inscriptions de Charlie Chaplin.

Au fur et à mesure que la famille s’enracinait en Angleterre, elle devenait également proche de la famille royale. Le fait que le roi Charles III ait prêté plusieurs des objets exposés montre à quel point les deux familles étaient liées. Il y a une boîte en verre, en or et en tortue contenant une médaille d’accession à George IV que Reuben Sassoon a offerte au roi Édouard VII au début des années 1900. Il y a aussi l’horloge de bureau Cartier en lapis-lazuli, sertie de diamants et de saphirs, que Philip Sassoon a offerte à la reine Mary pour son anniversaire en 1932.
Au fil des siècles, les Sassoon ont canalisé leur richesse vers des institutions sociales. Par exemple, avec sa cousine Hannah, Philip Sassoon a co-organisé dix expositions d’art différentes dans sa maison au profit du Royal Northern Hospital de Londres. Après la Seconde Guerre mondiale, sa cousine Mozelle Sassoon a contribué à la restauration de la cathédrale Saint-Paul, qui avait été gravement endommagée pendant le Blitz – la campagne de bombardements stratégiques menée par l’aviation allemande contre le Royaume-Uni du 7 septembre 1940 au 21 mai 1941.
Bien que les Sassoon aient fréquenté la famille royale et des hommes politiques de haut rang tels que Winston Churchill, cela ne les a pas protégés de l’antisémitisme. « Au contraire, cela l’a exacerbé », a déclaré da Costa Meyer.
« L’antisémitisme était constant. Dans leur dos, des gens comme [l’écrivaine] Virginia Woolf, qui a un jour qualifié Philip Sassoon de ‘Juif de Whitechapel’, faisaient des commentaires antisémites. Plus les Sassoon s’élevaient, plus certaines personnes leur en voulaient », a-t-elle déclaré.
Néanmoins, la famille a poursuivi son engagement civique. Quatorze petits-fils et arrière-petits-fils de David Sassoon ont combattu pour les Britanniques pendant la Première Guerre mondiale ; de nombreuses femmes se sont portées volontaires sur le front intérieur.

Le journal de guerre de Siegfried Sassoon est peut-être l’un des objets les plus émouvants de l’exposition. Décoré pour sa bravoure sur le front occidental, ce poète et écrivain de guerre a dénoncé le patriotisme excessif de la guerre. Les pages de son journal contiennent des descriptions et des illustrations graphiques de la vie dans les tranchées.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, plusieurs Sassoon ont servi dans les forces armées et dans l’auxiliaire féminin. Ils ont également donné de l’argent pour aider près de 20 000 Juifs fuyant l’Europe nazie. Victor Sassoon, l’un des petits-fils de David, a mis ses propriétés de Shanghai à la disposition du Comité international pour les immigrants européens.
« Leur histoire est celle d’une réussite financière et intellectuelle. C’est l’histoire d’un art captivant et de personnes captivantes », a déclaré Claudia Gold, directrice du musée.
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