Les habitants du nord d’Israël, décimé, ont peur que leurs voisins ne reviennent pas
À Manara et Kiryat Shmona, les habitants découvrent des dégâts immenses ; un ancien maire remet en cause les ordres d’évacuation donnés
MANARA – Pour la première fois depuis le début de la guerre il y a 14 mois, Hagar Ehrlich est retournée dimanche dans son kibboutz situé à la frontière du Liban dans le nord du pays. L’après-midi était ensoleillé et étrangement calme, à peine quatre jours après le cessez-le-feu de 60 jours conclu entre Israël et le groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah, soutenu par l’Iran.
Ehrlich, ainsi que ses voisins, avait reçu l’ordre d’évacuer le kibboutz Manara après les premiers tirs de roquettes du Hezbollah sur Israël depuis le Liban le 8 octobre 2023. Assise à une petite table pliante remplie de collations, devant sa maison endommagée, en compagnie de son fils, de quelques amis de la famille, elle faisait face à la frontière avec le Liban, juste en face de Mays al-Jabal, un village libanais connu pour être un bastion du Hezbollah.
« Les dégâts dans le kibboutz sont incroyables », a-t-elle confié à cette journaliste du Times of Israel. « C’est un sentiment horrible. »
Le kibboutz Manara est l’une des communautés les plus durement touchées par le conflit dans le nord du pays. Sur 155 bâtiments, 110 ont été endommagés par des roquettes et des missiles guidés antichars du Hezbollah. L’odeur de fumée imprègne l’air et le kibboutz, autrefois verdoyant, est aujourd’hui jonché de voitures détruites, de maisons éventrées et d’arbres noircis. L’électricité, les égouts et les conduites de gaz ont été endommagés. Le réfectoire et l’école maternelle ont subi des impacts directs. Le kibboutz est en ruines.
Ehrlich, âgée de 72 ans, est née et a grandi à Manara. Son père fait partie des sept personnes qui ont fondé le kibboutz en 1943. Son fils, Noam Ehrlich, dirige Beerlich Beer, une entreprise familiale de brassage de bière artisanale, auparavant située dans leur maison du kibboutz.
Lorsque la guerre a éclaté, Noam a transféré la brasserie dans la ville de Karmiel, dans le nord d’Israël. Bien qu’il ignore quand il pourra reprendre sa production à Manara, il a hissé dimanche le drapeau de l’entreprise au sommet de la colline devant sa maison, tournée vers le Liban.
« Ainsi, ils verront que nous sommes revenus », a déclaré Noam Ehrlich.
Cessez-le-feu temporaire
L’accord de cessez-le-feu conclu sous l’égide des États-Unis a mis fin à 14 mois de conflit entre Israël et le Hezbollah, qui a débuté le 8 octobre 2023 avec les tirs du groupe terroriste chiite libanais en soutien au groupe terroriste palestinien du Hamas à Gaza, un jour après le pogrom perpétré par ce dernier dans le sud d’Israël. Lors de ce massacre, les terroristes du groupe ont assassiné plus de 1 200 personnes et enlevé 251 personnes pour les emmener dans la bande de Gaza, déclenchant ainsi la guerre en cours. Les attaques incessantes de missiles et de drones du Hezbollah depuis le Liban ont forcé quelque 60 000 habitants du nord d’Israël à quitter leur domicile.
Le cessez-le-feu prévoit une période de transition de 60 jours. Durant cette période, Tsahal doit retirer ses troupes du sud du Liban, tandis que l’armée libanaise doit déployer environ 5 000 soldats au sud du fleuve Litani, dans 33 postes le long de la frontière avec Israël. Le Hezbollah est interdit d’opérer au sud du fleuve, situé à plusieurs kilomètres de la frontière.
Les membres des kibboutzim doutent toutefois de la capacité de l’armée libanaise à contenir le Hezbollah. Selon eux, ce n’est qu’une question de temps avant que le Hezbollah, puissance politique libanaise et ennemi juré d’Israël, ne renforce son arsenal et n’attaque à nouveau Israël.
Vendredi, le général Ori Gordin, chef du Commandement Nord de l’armée israélienne, a informé les maires des communautés déplacées du nord qu’ils pouvaient entamer la reconstruction des infrastructures endommagées par les attaques du Hezbollah.
Les habitants, ne pourront, cependant, pas retourner chez eux avant le 1er février 2025, selon un article de presse.
Naor Shamia, chef de l’équipe d’urgence locale de Manara, a indiqué que, face aux dégâts considérables subis par le kibboutz, lui et les quelque 300 membres de l’équipe ne savent pas quand ils pourront revenir. Ils sont dans l’incapacité d’évaluer pleinement les dommages ou de fixer un calendrier pour le retour à la vie normale au kibboutz.
Ce qui est évident, cependant, c’est que « tout dépendra de trouver suffisamment d’argent pour reconstruire », a déclaré Shamia. « Le gouvernement promet de nous aider, mais cela ne suffira pas. »
Shamia a également précisé que le kibboutz envisageait de rouvrir son système éducatif en septembre 2025, afin de permettre aux habitants de revenir avec leurs familles à temps pour la rentrée scolaire.
« Mais les familles avec de jeunes enfants reviendront-elles ? » s’est-il interrogé.
Shamia a emmené cette journaliste dans une des maisons du kibboutz détruite par les roquettes du Hezbollah. À travers ce qui était autrefois la fenêtre de la cuisine, il contemplait les collines ondulantes du sud du Liban, dont le paysage pittoresque masque le danger toujours présent.
En 2011, le Hezbollah a créé l’unité Radwan, des forces spéciales, spécifiquement chargée de pénétrer en Israël lors de futurs conflits pour infliger un maximum de dégâts. En 2020, le groupe avait diffusé une vidéo montrant des membres de cette unité tirant sur des cibles représentant Israël, un avertissement explicite à l’État hébreu.
Au cours des 14 derniers mois, le Hezbollah a tiré sur Manara et d’autres communautés israéliennes depuis des villages du sud du Liban, notamment Mays al-Jabal.
Ces attaques ont coûté la vie à 45 civils israéliens depuis le mois d’octobre 2023. De plus, 76 soldats et réservistes de Tsahal ont été tués dans des affrontements transfrontaliers, des attaques en Israël et lors de l’opération terrestre lancée dans le sud du Liban fin septembre.
Rien n’a changé dans l’idéologie du Hezbollah, a souligné Shamia.
« Cette guerre n’est pas terminée », insiste-t-il. « Ce n’est qu’un cessez-le-feu temporaire. Le Hezbollah aura besoin de quelques années pour reconstituer son arsenal. »
En 2018, un mur de béton de 11 kilomètres de long et 9 mètres de haut avait été érigé le long de la frontière libanaise.
Jusqu’au pogrom du Hamas du 7 octobre 2023, lorsque des milliers de terroristes du groupe palestinien ont déferlé sur le sud d’Israël pour y commettre un carnage, Shamia dit qu’aucun membre de kibboutz n’avait jamais envisagé la possibilité d’une infiltration à partir du Liban.
« Nous pensions que nous serions toujours protégés par l’armée », a-t-il déclaré. « Mais que se passera-t-il quand l’armée quittera le Liban ? Aujourd’hui, nous sommes ici, en sécurité. Mais qu’en sera-t-il dans un
an ? »
Soudain, le bruit d’une explosion se fait entendre et un panache de fumée s’élève de l’autre côté de la frontière.
« C’est le bruit du cessez-le-feu », lance Shamia avec cynisme. Il affirme qu’il s’agit probablement de frappes menées par Tsahal contre des terroristes du Hezbollah ayant enfreint l’accord.
Depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, Tsahal a frappé des sites actifs du Hezbollah dans le sud du Liban et déjoué des tentatives de livraison d’armes iraniennes au groupe terroriste via la Syrie. L’armée a également effectué des tirs d’avertissement dans plusieurs zones du sud du Liban pour disperser les membres du Hezbollah s’approchant de secteurs interdits près de la frontière.
Samedi soir, des soldats de la brigade des parachutistes ont repéré un groupe de terroristes armés du Hezbollah près d’une église dans le sud du Liban, un site connu pour avoir été utilisé par le groupe terroriste. Les troupes ont ouvert le feu et neutralisé les terroristes.
Eddie Azran, directeur de la gestion des déchets du Conseil régional de Haute Galilée, qui englobe Manara, était présent lors de la visite du kibboutz.
Inspectant un morceau de verre déformé, posé sur le rebord d’une fenêtre, Azran, un passionné de la fabrication de vitraux a expliqué que
« pour tordre le verre, il faut atteindre une température de 1 000 degrés Celsius ».
« Vous pouvez vous imaginer la chaleur dégagée [par les tirs de roquettes] », a-t-il ajouté.
Sur les 29 communautés du Conseil régional de Haute Galilée , une zone couvrant environ 300 km2, 14 ont été évacuées pendant la guerre, selon Azran.
« Les gens viennent aujourd’hui pour constater les dégâts causés à leurs habitations », a-t-il ajouté. « Mais reviendront-ils ? Leurs enfants ont repris l’école ailleurs. Ils ont déjà commencé une nouvelle vie. »
Nous avons perdu notre sens de la communauté
Avant la signature de l’accord de cessez-le-feu, Avichai Stern, maire de Kiryat Shmona, une ville voisine, exprimait son désarroi sur Facebook :
« Je ne comprends pas comment nous sommes passés d’une victoire totale à une capitulation totale », a-t-il écrit, en référence au slogan utilisé par le Premier ministre Benjamin Netanyahu pendant la guerre contre le Hamas. « Que retrouveront nos habitants ? Une ville détruite, sans sécurité ni horizon ? »
Pourtant, dimanche matin, le balayage des rues de Kiryat Shmona avait commencé, ainsi que l’élagage des arbres et le déblayage des débris occasionnés par les tirs de roquettes sur cette ville du nord du pays qui compte 23 000 habitants et se trouve à environ deux kilomètres de la frontière libanaise.
À Kiryat Shmona, 383 bâtiments ont été endommagés. En octobre, un couple a été tué par une roquette tirée sur la ville pendant qu’ils promenaient leurs trois chiens.
Les autorités israéliennes estiment les dégâts matériels dans le nord d’Israël à au moins 1 milliard de shekels.
Près de 90 % des habitants ont été évacués, mais Prosper Azran, cousin d’Eddie Azran et ancien maire de Kiryat Shmona (de 1983 à 1997), est resté, invoquant des raisons idéologiques. La maison de sa mère et deux voitures sur sa propriété ont été détruites, et de nombreuses habitations voisines portent encore les marques des éclats d’obus et des tirs de roquettes.
« Le gouvernement n’aurait jamais dû évacuer les gens de leurs maisons », déclare Azran, assis dans son jardin où des clémentines et des oranges pendent aux arbres. Autour de lui, quelques chats errants se promènent. Tous ses voisins sont partis, raconte-t-il, et il s’occupe désormais de 11 chats.
« La guerre aurait dû être menée chez l’ennemi, mais au lieu de cela, nous avons permis qu’elle soit menée ici », a-t-il ajouté.
Pendant 14 mois, la ville a été frappée par les roquettes du Hezbollah, souvent plusieurs fois par jour. Étant donné la proximité de la frontière, Azran explique qu’il entendait les explosions avant même le déclenchement des sirènes.
« Nous avons moins de zéro seconde pour atteindre une zone protégée », précise-t-il.
Lorsque la ville a été évacuée, ses habitants ont été répartis dans 400 localités à travers tout le pays. « Nous avons perdu le sens de la communauté », déplore Azran.
Il s’inquiète des conséquences économiques de cet abandon du nord, qu’il qualifie de « dommages irréparables pour les entreprises, les usines et notre économie ».
Selon Azran, l’approvisionnement alimentaire d’Israël a été sévèrement touché, avec la perte de récoltes, de vergers, de poulets et de vaches.
Par ailleurs, environ 55 000 hectares de forêts, de réserves naturelles, de parcs et de terrains ouverts dans le nord d’Israël et sur le plateau du Golan ont été ravagés par les flammes depuis le début de la guerre, selon les autorités israéliennes.
Azran craint que de nombreux habitants renoncent à retourner dans le nord par peur pour leur sécurité.
Mais les oiseaux sont revenus, fait-il remarquer.
« Je n’ai pas entendu d’oiseaux pendant 14 mois », a-t-il déclaré. « Pendant la guerre, ils étaient sans doute effrayés par toutes les explosions ».
Il incline la tête pour écouter les gazouillis.
« Ils ont certainement entendu la nouvelle du cessez-le-feu. »
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