Les Juifs de l’ancien fort cosaque d’Irkoutsk célèbrent leur bicentenaire
Fondée par des soldats juifs cantonistes libérés en 1818, cette petite communauté sibérienne a fait des dons à des causes communes dans le monde entier et a été menacée d'expulsion
- Un groupe de Juifs d'Irkoutsk à l'intérieur de la synagogue. (Eli Itkin/ Dorit Wagner/La communauté juive d'Irkoutsk)
- La synagogue d'Irkoutsk, inaugurée en 1879. (Dorit Wagner/ Communauté juive d'Irkoutsk)
- Le rabbin Aharon Wagner (premier à partir de la gauche) et quelques-uns des invités qui ont assisté aux événements du 200e anniversaire passent devant un bâtiment en bois local caractéristique. (Eli Itkin/ Dorit Wagner/La communauté juive d'Irkoutsk)
- Le rabbin Aharon Wagner s'exprimant au théâtre dramatique d'Okhlopkov, où des centaines de personnes se sont réunies pour célébrer le 200e anniversaire de la communauté le 22 octobre 2018. (Dorit Wagner/La communauté juive d'Irkoutsk)
- Capture d'écran de la synagogue vue d'en haut du film documentaire de la communauté locale d'Irkoutsk, produit pour le 200e anniversaire et projeté au théâtre le 22 octobre 2018 (YouTube)
IRKOUTSK, Russie – Aujourd’hui, cette ville glaciale d’un peu plus d’un demi-million d’habitants en Sibérie orientale est surtout connue pour être un point de départ pratique pour visiter le lac Baïkal – une destination populaire pour la randonnée et les sports d’hiver située à 70 kilomètres et qui contient un cinquième de l’eau douce non gelée du monde.
Mais Irkoutsk détient aussi la clé d’une partie inattendue de l’histoire juive qui remonte à plus de deux siècles.
Le premier juif d’Irkoutsk, un marchand nommé Israel Fershter, est arrivé dans la ville située à l’écart de la route de la soie en 1818.
Fondée en 1661 en tant que garnison cosaque, Irkoutsk était au début du XIXe siècle un centre culturel et intellectuel pour les élites envoyées en exil pour leur participation à la révolte décembriste contre le tsar de Russie, Nicolas Ier. La ville était également en passe de devenir un important centre commercial.
Officiellement, aucun Juif n’était autorisé à résider en Sibérie – ou ailleurs dans l’Empire russe en dehors de la région de la « Zone de Résidence », une région établie en 1791 qui comprenait des parties de la Pologne, de l’Ukraine et de la Lettonie actuelles, ainsi que du Belarus, de la Lituanie et de la Moldavie.
Dans la pratique, cependant, il y avait des exceptions. Non seulement Fershster s’est installé à Irkoutsk, mais il a aussi entrepris de réunir un minyan – le quorum de dix personnes nécessaire à la récitation de certains passages de la prière et à la lecture de la Torah].

Pour ce faire, Fershter s’est adressé aux familles d’anciens cantonistes – des enfants juifs enrôlés dans l’armée du tsar dès l’âge de 8 ans, et forcés à servir pendant 20 ans ou plus. Souvent, ces enfants ont été forcés de se convertir au christianisme. Ceux qui ont réussi à éviter la conversion ont vu leur identité juive affaiblie, au mieux, ou au pire détruite, en laissant derrière eux leur famille et leur communauté.
Ceux qui s’accrochaient à leur identité retournaient à une forme de vie juive après avoir reçu des parcelles de terre dans des régions éloignées de la Russie après avoir été démobilisés de leur service militaire – bien que ces régions n’aient souvent aucune présence juive officielle, comme ce fut le cas à Irkoutsk.
Ceux qui s’accrochaient à leur identité retournaient à une forme de vie juive après avoir reçu des parcelles de terre dans des régions éloignées de la Russie après avoir été démobilisés de leur service militaire – bien que dans ces régions, il n’y avait souvent aucune présence officielle juive, comme c’était le cas à Irkoutsk.
Les efforts de Fershster ont porté leurs fruits : Le quorum de prière a été réuni et la communauté juive d’Irkoutsk a vu le jour.
Deux siècles plus tard, le 22 octobre 2018, des centaines de personnes se sont rassemblées dans le théâtre dramatique d’Okhlopkov de la ville pour célébrer le 200e anniversaire de la vie juive à Irkoutsk.

La soirée comprenait un court métrage documentaire produit par la communauté juive, ainsi qu’une pièce de Sholem Aleichem, en présence des autorités locales. L’arrière-arrière-arrière-arrière-petit-fils de Fershter, Evgeny Fershter, a également envoyé une vidéo de bienvenue depuis l’Arctique, où il est actuellement en expédition scientifique.
« En 1915, la communauté a publié un livre intitulé ‘Les Juifs d’Irkoutsk’, plein d’informations sur le siècle précédent. C’est ainsi qu’il nous a été possible de déterminer exactement quand la communauté a été fondée », a déclaré la femme de l’émissaire du mouvement Habad Loubavitch, Dorit Wagner au Times of Israel.
Sauver la synagogue
Originaire d’Israël, Wagner s’est installée à Irkoutsk il y a 15 ans avec son mari, le grand rabbin de la ville, Aharon Wagner, pour aider à encourager la vie juive.
Parmi leurs premiers efforts, il y a eu la restauration de la synagogue historique, un bâtiment de deux étages, jaune vif et turquoise, qui se trouve au cœur de l’architecture typique sibérienne en bois des maisons environnantes, entre déclin et charme.

« En 1878, les cantonistes de la ville ont obtenu l’autorisation de construire une synagogue, mais ils n’avaient pas les moyens financiers de le faire », explique Wagner. « Mais les nombreux marchands juifs qui vivaient alors à Irkoutsk avaient l’argent ».
« Bien que les deux groupes se soient méfiés l’un de l’autre, ils ont accepté de coopérer sur ce point. A ce moment-là, plusieurs congrégations se réunissaient dans la ville, mais celle-ci a été construite comme une synagogue de l’unité », précise-t-elle.
La communauté, souligne Mme Wagner, était très spéciale : Les Juifs ont financé de nombreuses œuvres caritatives et ouvert des écoles pour les enfants juifs et non juifs.
« Etre juif ici était très difficile. Irkoutsk était alors vraiment au milieu de nulle part. Pourtant, ils ont donné de l’argent aux yeshivot [écoles juives] dans le monde entier. Nous avons trouvé des lettres d’institutions de Jérusalem, de Vilnius et même de Philadelphie qui remerciaient les Juifs d’Irkoutsk pour leur soutien », raconte Wagner.
En effet, en 1897, un an à peine avant que le Transsibérien n’atteigne la ville, environ 10 % de l’activité commerciale appartenait à des familles juives, qui possédaient également certaines des plus belles maisons d’Irkoutsk.

Malgré toutes leurs richesses, les Juifs d’Irkoutsk étaient constamment menacés d’expulsion après qu’une loi adoptée en 1890 a rétabli l’interdiction faite aux Juifs de vivre en Sibérie.
La prospérité de la ville et de sa communauté juive commença à décliner au lendemain de la Révolution d’Octobre. Irkoutsk ne succomba à l’armée bolchevique qu’en 1920, ce qui ruina son commerce.
Les Juifs qui le pouvaient ont fui la ville et, en 1923, la plupart des organisations, associations et clubs juifs étaient fermés. La synagogue elle-même a été fermée et saisie par le gouvernement de 1935 à 1945, et bien que le gouvernement en ait rendu une partie, la synagogue a été fermée de nouveau en 1958.
L’étincelle juive s’est rallumée
Pendant le régime communiste et sa répression féroce, la communauté essayait encore de célébrer les grandes fêtes, mais la vie juive florissante qui existait auparavant avait disparu.
« Quand nous sommes arrivés ici, ceux qui étaient actifs dans la communauté n’étaient que quelques personnes âgées », raconte Wagner.
« Quelques mois après notre arrivée, lors de notre premier Pessah à Irkoutsk, nous avons organisé un Seder communautaire dans un hôtel, et plus de 400 personnes y ont participé », ajoute-t-elle. « C’était incroyable. Depuis, nous nous sommes consacrés à la renaissance des traditions, à l’organisation de shiourim [cours juifs], à la célébration des fêtes, et ainsi de suite. »

Le lendemain de l’événement, les membres de la communauté et les autorités locales se sont réunis au théâtre pour la réouverture de l’ancien cimetière juif. Utilisé entre la fin du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle, le site a été restauré et transformé en parc commémoratif et musée.
« Maintenant, les gens peuvent le visiter, s’y asseoir, réfléchir. Lors de l’inauguration, les invités ont été invités à ramasser une pierre et à la déposer sur l’une des tombes. C’était très émouvant de voir des gens rendre hommage à des tombes qui avaient été négligées pendant des décennies », a déclaré Mme Wagner.
La première pierre a également été posée pour la construction d’un monument dans l’ancien cimetière de la ville, qui contenait des sections pour les différents groupes religieux présents dans la ville – juifs, musulmans et catholiques, ainsi que chrétiens orthodoxes – avant d’être transformé en parc par le régime communiste.
Récemment, les autorités locales ont décidé d’honorer ceux qui y sont enterrés en invitant les différentes communautés religieuses à construire des monuments commémoratifs. La conception du monument juif s’inspire d’une pierre tombale juive, la seule tombe qui restait dans le cimetière.

Plus tard dans la soirée, des gens se sont rassemblés dans la synagogue pour inaugurer un nouveau centre de jeunes « pour que les jeunes viennent apprendre, écouter des conférences, jouer à des jeux, traîner et se côtoyer », dit Wagner.
En raison des dégâts causés à l’identité juive sous le régime communiste, il est difficile – presque impossible – a-t-elle ajouté, de déterminer combien de Juifs vivent aujourd’hui à Irkoutsk – peut-être 5 000, peut-être plus. Mais les reconnecter à leur passé est considéré comme une étape cruciale dans la reconstruction de la vie juive dans la ville.
« Mon mari et moi croyons qu’il est essentiel d’explorer l’histoire de la communauté parce que cela permet aux gens de se sentir partie intégrante de l’histoire juive dans son ensemble », a expliqué Mme Wagner.
« Il ne leur sera peut-être pas facile de s’identifier à nos ancêtres qui ont quitté l’Égypte il y a des milliers d’années. Mais si nous parlons des Juifs locaux qui vivaient à Irkoutsk quelques générations avant eux, si nous parlons de leurs grands-parents et arrière-grands-parents, ils commencent à sentir que ces histoires parlent aussi d’eux et de leur identité, même s’ils ont été loin du judaïsme toute leur vie », poursuit Wagner.
« De cette façon, ils peuvent se reconnecter à la nation juive dans son ensemble », conclut-elle.
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